A partir des données de long terme sur les concentrations de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère, un groupe international de scientifiques, coordonné par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA/CNRS/UVSQ), a découvert que la végétation de l’hémisphère nord absorbait des quantités de plus en plus grandes de CO2 produit par l’Homme, contribuant ainsi à ralentir le réchauffement climatique. Ces résultats sont parus dans Nature, le 3 avril 2019.
Genèse de cette découverte
Au début des années 1990, un petit nombre de stations atmosphériques et de données océaniques a permis de découvrir que les biomes terrestres de l’hémisphère nord absorbent des quantités substantielles de CO2. Cette découverte, initialement controversée, a été confirmée ultérieurement par des inventaires de la biomasse des forêts et par la mise en place de nouvelles stations de mesure atmosphérique.
Trente ans plus tard, l’ampleur exacte et l’évolution du puits de carbone terrestre de l’hémisphère nord sont encore méconnues. Les résultats des modèles de cycle du carbone diffèrent les uns des autres. En effet, la grande diversité des écosystèmes allant des arbustes méditerranéens à la toundra arctique, la gestion contrastée de ces milieux, notamment la récolte forestière et les pratiques culturales, ainsi que les événements comme les sécheresses et les incendies compliquent fortement l’estimation des bilans de carbone à l’échelle continentale.
Une équipe internationale de chercheurs, coordonnée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (CEA/CNRS/UVSQ), a reconstruit l’évolution des puits de carbone des continents, à l’aide d’enregistrements de la teneur atmosphérique en CO2, entre 1958 et 2016. Ces enregistrements uniques qui couvrent une période de plus de 50 ans proviennent des deux plus anciennes stations de mesure atmosphérique du CO2: « Mauna Loa », situé à Hawaï pour l’hémisphère nord et « Pôle Sud » en Antarctique pour l’hémisphère sud.
La végétation de l’hémisphère nord, élément essentiel contre le réchauffement climatique
La différence entre les enregistrements de CO2 dans le Nord et dans le Sud révèle que la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère reste en moyenne plus élevée dans l’hémisphère nord. Ceci s’explique par les émissions de CO2 issues des combustibles fossiles qui sont principalement localisées dans les régions industrialisées du Nord. Cependant, cette différence de niveau n’est pas aussi importante que ne le laisse anticiper la différence entre bilans des émissions fossiles dans l’hémisphère nord et sud. Cela ne peut s’expliquer que par l’ajout d’un puits de CO2 considérable chaque année en partie dans les océans, mais principalement sur les continents du Nord.
On savait jusqu’à présent que la végétation terrestre et les océans capturent une quantité de CO2 égale à la moitié des émissions générées par les activités humaines (IPCC, 2013 Chapitre 6). Cette nouvelle étude montre que le puit de la végétation dans l’hémisphère nord a eu un rôle prédominant dans cette absorption globale depuis 50 ans. Loin d’être compromis par les sécheresses et les changements climatiques récents, ce puits de carbone a même considérablement augmenté au cours des vingt dernières années.
« De 1958 à nos jours, la végétation de l’hémisphère nord a continué d’absorber une quantité importante de CO2 avec deux augmentations significatives dans les années 1990, puis 2000. D’autre part, l’absorption du carbone par les continents de l’hémisphère sud semble stagner », explique Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire de recherche sur le climat et l’environnement qui a dirigé l’analyse. « Les modèles de cycle du carbone dans la végétation et les sols utilisés pour évaluer les futures projections de CO2 et envisager l’évolution climatique n’ont pas été en mesure de reproduire l’intensification de l’absorption de CO2, observée dans les années 2000 ».
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène réel d’augmentation de l’absorption du carbone dans l’hémisphère Nord, qui ne correspond pas aux simulations des modèles : la croissance et les âges relativement jeunes des forêts, notamment en Amérique du Nord et en Chine, mais aussi la fertilisation des écosystèmes en Asie qui ont été exposés à des quantités accrues d’azote provenant de l’atmosphère et à des modifications des pratiques de gestion des sols.
La reconstitution sur près de soixante ans du bilan de CO2 des écosystèmes de l’hémisphère nord permet ainsi aux climatologues de mieux comprendre le cycle du carbone et de définir une référence pour des actions de conservation ou de séquestration du carbone dans les sols et la biomasse pour les prochaines décennies.