Paris, le 28 Avril 2023 l’art des dissonances de marché d’ Alexis Bienvenu, Fund Manager de la Financière de l’échiquier.
Le marché boursier connaît actuellement des incohérences apparentes entre des comportements et des points de vue, appelées dissonances cognitives. En musique, cela se traduirait par des disharmonies, mais ces désaccords, habilement agencés, peuvent construire une œuvre très appréciée. Ainsi, certains phénomènes tels que l’impressionnant écart de performance entre les géants technologiques et le reste du marché peuvent être expliqués par une logique économique profonde, tandis que d’autres dissonances peuvent être résolues historiquement. Par exemple, l’écart d’anticipation au sujet des taux directeurs américains se résoudra naturellement avec le temps, mais la douceur monétaire s’accompagnerait alors d’une amertume économique. En somme, la résolution des dissonances adviendra soit lentement, impliquant le désagrément de taux élevés pour longtemps, soit rapidement, impliquant un fort ralentissement économique.
Alexis Bienvenu, Fund Manager nous dit :
Les marchés sont confrontés depuis plusieurs mois à des perspectives pénibles : hausses de taux, vague d’inflation historique, faillites bancaires… Et pourtant les actions se maintiennent depuis le début de l’année en territoire positif, voire – dans le cas de l’Euro Stoxx 50 – tutoient des sommets historiques. A regarder seulement les performances, on pourrait croire que tout va bien.
Ce genre d’incohérence apparente entre des comportements et des points de vue, ou entre les points de vue d’une même personne, est parfois qualifié de ”dissonance cognitive”. En musique, cela se traduirait par des disharmonies. Mais ce genre de désaccords, habilement agencés, peuvent construire une œuvre très appréciée – le cas du quatuor n° 19 de Mozart appelé Les Dissonances est emblématique à cet égard. Le marché a-t-il des chances de suivre une voie mozartienne et de transformer en mélopées ses dissonances ?
Examinons deux exemples de dissonances actuelles. La première vient de l’impressionnant écart de performance entre les titans technologiques et le reste du marché. Au 27 avril, l’indice Mega Cap Tech progresse ainsi de plus de 35% alors que le Dow Jones est à peine positif. Le cas touche aussi l’Europe. Plus généralement, il se retrouve entre les grandes valeurs à forte croissance, y compris le luxe en Europe, et toutes les autres, délaissées.
Cette dissonance peut-elle se résoudre ? Distinguons les cas. Que les géants technologiques l’emportent sur la plupart des autres valeurs répond à une logique économique profonde, l’avantage au vainqueur dans la digitalisation du monde. Les plus gros raflent la mise car, grâce à leur croissance, ils peuvent investir des sommes faramineuses pour consolider leur domination, soit par leurs propres innovations, soit par des acquisitions bien menées. Le partenariat gagnant de MICROSOFT avec OPEAN AI, créateur de Chat GPT, est exemplaire. La mélopée des titans peut être durable – au prix d’une dissonance avec le reste du marché, ponctuée d’épisodes de violentes normalisations, comme en 2022 : près de -50% pour le Mega Cap Tech, contre -7% pour le Dow Jones. Quelques cris accompagnent parfois les plus douces mélodies.
En revanche, l’insolente avance entre la moyenne des grandes valeurs et les plus petites ne se vérifie pas historiquement. Au contraire, on constate sur le long terme une prime aux petites capitalisations. Sur les 24 dernières années par exemple[1], l’indice mondial des petites valeurs croît de plus de 8% par an, contre moins de 5% pour les plus grandes. Mais dans des contextes de marché perturbés, comme actuellement par le resserrement monétaire, elles peuvent susciter davantage de défiance. Si l’histoire est un bon guide – quoique faillible – il y a lieu de supposer que la tendance se rétablira lorsque les perspectives sur les banques centrales seront normalisées. La dissonance pourra alors se résoudre – en passant par un déséquilibre inverse, le rattrapage massif des petites capitalisations.
Second cas de dissonance marquante : l’écart d’anticipation au sujet des taux directeurs américains. Le marché, par le biais des contrats futures, les voit baisser dès l’automne 2023 et de nouveau en 2024, alors les gouverneurs siégeant au comité de politique monétaire les anticipent stables en 2023, et seulement en légère baisse en 2024. Entre ces deux groupes, l’écart de projection atteint près de 150 points de base à fin 2024.
Dans ce cas précis, le désaccord se résoudra naturellement avec le temps. La seule question est de savoir par quel chemin. Celui projeté par les gouverneurs est lent, mais relativement harmonieux : il suggère une inflation qui s’assagit progressivement, ce qui suppose l’absence d’un choc déflationniste dû par exemple à une récession. A l’inverse, le marché projette une banque centrale qui desserre rapidement sa politique monétaire. La mélodie pourrait ici sembler douce, mais par quel moyen l’inflation pourrait-elle chuter aussi rapidement, si ce n’est par un ralentissement brutal de l’emploi, voire une récession ? La douceur monétaire s’accompagnerait alors d’une amertume économique.
Dans tous les cas, la résolution adviendra.
Soit lentement – ce qui implique le désagrément de taux élevés pour longtemps.
Soit rapidement – ce qui n’est pas non plus une voie douce, car ce scénario implique un fort ralentissement.
Mais le gain associé à la résolution de ces dissonances est élevé. Dans Les Dissonances de Mozart, un allegro joyeux suit l’adagio dissonant, source du succès de cette œuvre.