Le coût de l’inaction

La perturbation des services liée à la COVID-19 pourrait entraîner des centaines de milliers de décès supplémentaires dus au VIH.

Les progrès réalisés en matière de prévention de la transmission mère-enfant du VIH pourraient être remis en cause, du fait de l’augmentation de 104 % des nouvelles infections par le VIH chez les enfants.

Un groupe de modélisation convoqué par l’Organisation mondiale de la Santé et l’ONUSIDA a estimé que si des efforts ne sont pas déployés pour atténuer et surmonter les effets de la perturbation des services de santé et de l’approvisionnement en fournitures sanitaires pendant la pandémie de COVID-19, une interruption de six mois d’un traitement antirétroviral pourrait entraîner plus de 500 000 décès supplémentaires dus à des maladies liées au sida, y compris la tuberculose, en Afrique subsaharienne, en 2020-2021. Selon les estimations, en 2018, 470 000 décès dus à des maladies liées au sida avaient été enregistrés dans la région.

Il existe différentes raisons susceptibles d’entraîner une interruption des services. Cet exercice de modélisation montre clairement que les communautés et les partenaires doivent agir dès maintenant car l’impact d’une interruption de six mois d’un traitement antirétroviral pourrait effectivement provoquer un retour en arrière à l’année 2008 au cours de laquelle plus de 950 000 décès liés au sida ont été enregistrés dans la région. Par ailleurs, un grand nombre de décès continuerait à être observés du fait de cette interruption, et ce pendant au moins les cinq années suivantes, avec un nombre annuel moyen plus important de décès s’élevant à 40 % au cours des cinq prochaines années. En outre, l’interruption des services liés au VIH pourrait également avoir un certain impact sur l’incidence du VIH au cours de l’année prochaine.

« La terrible perspective de voir un demi-million de personnes supplémentaires en Afrique mourir de maladies liées au sida équivaut à un retour en arrière dans l’histoire », a déclaré le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé.

« Nous devons interpréter ceci comme un signal d’alarme à l’intention des pays afin qu’ils définissent des moyens de maintenir l’ensemble des services de santé vitaux. Concernant le VIH, certains pays prennent déjà des mesures importantes, par exemple en veillant à ce que les patients puissent retirer, aux points de dépôt, de grandes quantités de médicaments et d’autres produits essentiels, notamment des kits d’autodépistage, ce qui permet de réduire la pression exercée sur les services et personnels de santé. Nous devons également faire en sorte que l’offre mondiale de tests et de traitements continue d’affluer vers les pays qui en ont besoin », a ajouté le Dr Tedros.

En Afrique subsaharienne, on estime que 25,7 millions de personnes vivaient avec le VIH et que 16,4 millions (64 %) étaient sous traitement antirétroviral en 2018. Ces personnes risquent aujourd’hui de voir leur traitement interrompu car les services de lutte contre le VIH sont fermés ou dans l’incapacité de fournir des traitements antirétroviraux en raison des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement ou tout simplement car les services sont submergés du fait des besoins concurrents en appui à la riposte à la COVID-19.

« La pandémie de COVID-19 ne doit pas être une excuse pour détourner les investissements de la lutte contre le VIH », a déclaré Mme Winnie Byanyima, Directrice exécutive de l’ONUSIDA. « Ces acquis remportés de haute lutte contre le sida risquent d’être sacrifiés au profit de la lutte contre la COVID-19, mais le droit à la santé signifie qu’aucune maladie ne doit être combattue aux dépens d’une autre ».

Lorsque le traitement est observé, la charge virale du VIH baisse à un niveau indétectable, ce qui permet de maintenir les personnes atteintes en bonne santé et d’empêcher la transmission du virus. Lorsqu’une personne n’est pas en mesure de prendre régulièrement un traitement antirétroviral, la charge virale augmente, ce qui a une incidence sur la santé de la personne et peut au bout du compte entraîner la mort. Des interruptions de traitement relativement courtes peuvent aussi avoir un impact négatif majeur sur la santé d’une personne et sur la possibilité de transmission du VIH.

Dans le cadre de cette recherche, cinq équipes de spécialistes de la modélisation ont été réunis, et différents modèles mathématiques ont été utilisés pour analyser les effets de diverses perturbations possibles des services de dépistage, de prévention et de traitement du VIH causées par la COVID-19.

Chaque modèle a examiné l’impact potentiel d’une interruption de traitement d’une durée de trois ou six mois sur la mortalité due au sida et l’incidence du VIH en Afrique subsaharienne. Dans le scénario d’une interruption de six mois, les estimations du nombre de décès supplémentaires liés au sida qui seraient enregistrés en une année allaient de 471 000 à 673 000, par conséquent, de toute évidence, le monde n’atteindra pas la cible mondiale d’ici à 2020, consistant à parvenir à moins de 500 000 décès liés au sida à l’échelle mondiale

Des interruptions plus courtes, de trois mois, auraient un impact réduit mais toutefois significatif sur les décès dus au VIH. Des interruptions plus sporadiques de l’approvisionnement en traitements antirétroviraux entraîneraient une observation sporadique du traitement, et ainsi une propagation de la résistance aux médicaments contre le VIH, avec des conséquences à long terme concernant les futurs succès en matière de traitement dans la région.

Des services perturbés pourraient également inverser la tendance eu égard aux progrès accomplis en matière de prévention de la transmission mère-enfant du VIH. Depuis 2010, les nouvelles infections par le VIH chez les enfants en Afrique subsaharienne ont diminué de 43 %, passant de 250 000 en 2010 à 140 000 en 2018, grâce à la forte couverture par les services de lutte contre le VIH pour les mères et leurs enfants dans la région. Une diminution de la fourniture de ces services du fait de la COVID-19 pendant six mois pourrait entraîner une augmentation considérable des nouvelles infections par le VIH chez les enfants, jusqu’à 37 % au Mozambique, 78 % au Malawi, 78 % au Zimbabwe et 104 % en Ouganda.

Parmi les autres incidences significatives de la pandémie de COVID-19 sur la lutte contre le sida en Afrique subsaharienne susceptibles d’entraîner un taux de mortalité plus élevé, figurent notamment la baisse de la qualité des soins cliniques en raison de la surcharge de la capacité des établissements de santé et de la suspension des tests de dépistage de la charge virale, la réduction des services de conseils fournis en matière d’observation des traitements et les modifications des schémas thérapeutiques. Chaque modèle a également pris en compte la mesure dans laquelle une interruption des services de prévention, notamment la suspension de la circoncision masculine médicale volontaire, l’interruption de la disponibilité de préservatifs et la suspension des tests de dépistage du VIH, aurait un impact sur l’incidence du VIH dans la région.

Les résultats des travaux de recherche soulignent la nécessité de déployer des efforts urgents pour garantir la continuité des services de prévention et de traitement du VIH afin d’éviter une augmentation des décès dus au VIH et de prévenir une incidence accrue du VIH pendant la pandémie de COVID-19. Il sera important que les pays accordent la priorité au renforcement des chaînes d’approvisionnement, qu’ils veillent à ce que les personnes déjà sous traitement puissent continuer à en bénéficier, notamment grâce à l’adoption ou au renforcement de politiques telles que la délivrance sur plusieurs mois d’antirétroviraux afin de réduire les exigences en matière d’accès aux établissements de soins de santé, réduisant ainsi la charge qui pèse sur des systèmes de santé submergés.

« Chaque décès est une tragédie », a ajouté Mme Byanyima. « Nous ne pouvons pas rester les bras croisés et laisser des centaines de milliers de personnes, dont beaucoup de jeunes, mourir inutilement. Je prie instamment les gouvernements de veiller à ce que chaque homme, femme ou enfant vivant avec le VIH reçoive régulièrement un approvisionnement en traitements antirétroviraux, lesquels sont salvateurs », a déclaré Mme Byanyima.