Le télétravail, un outil efficace face
à la crise sanitaire ?

En 2020 et 2021, le télétravail a été un outil important de la politique sanitaire du gouvernement. Alors qu’une très faible minorité de salariés français y avaient recours avant la crise, le télétravail a concerné près d’un salarié sur quatre lors du premier confinement, un sur cinq lors du deuxième et jusqu’en juin 2021. Trésor Eco, Rédigé par Cyprien BATUT.

Le télétravail avait un double objectif : freiner la diffusion de l’épidémie en réduisant la mobilité et les contacts tout en préservant l’activité des entreprises.

Pour estimer son efficacité au regard de ces deux objectifs, on peut comparer l’évolution des indicateurs de mobilité, des variables épidémiques et du recours à l’activité partielle à la sortie des périodes de confinement entre régions ou secteurs d’activité présentant des probabilités différentes de recours au télétravail, calculées en estimant la part des emplois télétravaillables. Toutes choses égales par ailleurs, on s’attend à ce que l’épidémie rebondisse moins vite dans les régions et les secteurs où il est plus facile de télétravailler.

Il apparaît que la télétravaillabilité a permis d’éviter des contaminations et de réduire les coûts liés à l’activité partielle. On estime que si la proportion d’emplois télétravaillables avait été plus haute de 10 points de pourcentage, la mobilité aurait moins augmenté que ce qui a été observé en sortie de confinement (–32 points en moyenne, sachant que la mobilité est indicée à 100 début janvier 2020), la surmortalité par rapport à 2018/2019 aurait moins augmenté (–4 points de pourcentage). Par ailleurs, pendant les confinements, la proportion de salariés en activité partielle aurait été de 1 point inférieure à ce qui a été observé.

Télétravail et télétravaillabilité en France

Source : Acemo Covid – Sumer 2017 – Calculs DG Trésor. Note de lecture : L’enquête considère comme télétravailleurs effectifs les individus ayant déclaré télétravailler au moins occasionnellement (quelques jours ou demi-journées par mois)

1. Le recours au télétravail a été élevé pendant la crise de la Covid-19

1.1 Trois confinements successifs

Entre 2020 et 2021, trois confinements se sont succédé en France : le premier entre la 12e et la 20e semaine de 2020 (mars-mai 2020), le deuxième entre la 44e et la 51e semaine de 2020 (de novembre jusqu’à fin décembre 2020) et un troisième entre la 14e et la 18e semaine de 2021. Ces différents confinements avaient pour objectif de ralentir la propagation de l’épidémie en restreignant les déplacements et les contacts entre les Français.

Les deux premiers confinements ont fortement réduit les déplacements (cf. Graphique 1), tandis que cela fut nettement moins le cas lors du 3e confinement en 2021.

Graphique 1 : Chronologie des trois confinements et mobilité en France

Source : Apple Mobility data. Note : Le graphique montre l’évolution de la mobilité des Français à partir de leurs données mobiles en fonction de leurs différents modes de déplacement en 2020 et 2021. Les indices de mobilité sont normalisés pour être égaux à 100 la deuxième semaine de 2020. Les zones bleutées correspondent aux périodes de confinement.

1.2 Au plus fort de la crise près de trois salariés sur quatre qui le pouvaient ont télétravaillé

Le télétravail a été partie intégrante de la réponse du gouvernement à la crise sanitaire. Celui-ci, dès mars 2020, a mis en place un protocole national sanitaire de prévention dans les entreprises, qui recommandait un recours au télétravail à 100 %, quand cela était possible. La proportion de salariés en télétravail déclarée par les entreprises au premier confinement a été de 25 %, a diminué à l’été 2020 puis s’est de nouveau établie autour de 20 % à compter du deuxième confinement et jusqu’en juin 2021, pour se stabiliser autour de 15 % ensuite (cf. Graphique 2).

Il s’agit d’une augmentation notable par rapport à la pratique avant-crise. Même si les chiffres ne sont pas totalement comparables2, en 2017, seulement 3 % des salariés pratiquaient le télétravail de manière régulière (c’est-à-dire au moins un jour par semaine), et 7 % au total de manière occasionnelle (quelques fois par mois).

Graphique 2 : Recours au télétravail en 2020 et 2021

Source : Acemo Covid, Avril 2020-Décembre 2021, Dares. Note : Ce graphique montre l’évolution de la part des salariés que les entreprises déclarent en télétravail d’avril 2020 à décembre 2021. Les zones bleutées correspondent aux périodes de confinement.

En s’inspirant des travaux publiés par Dingel et Neiman (2021), et à l’aide de l’enquête Sumer 2017 qui fournit des informations sur les conditions de travail d’un échantillon représentatif des salariés français, il est possible d’estimer la proportion des salariés qui possèdent un emploi « télétravaillable ». Un emploi est, par exemple, considéré comme télétravaillable s’il n’implique pas de travail à la chaîne, de contacts directs avec le public ou de manutention de charges. Ainsi, 46 % des emplois seraient télétravaillables dans la région Île-de-France contre 24 % en Normandie. Sur la base de cet indice, au total 34 % des salariés auraient un emploi télétravaillable. Avec cette définition, près de trois-quarts des salariés qui le pouvaient ont télétravaillé en avril 2020 (cf. Graphique en première page).

2 . Le télétravail a réduit l’incidence de la crise sanitaire

2.1 Une approche économétrique des effets de la télétravaillabilité

L’estimation de l’effet du télétravail sur la diffusion de l’épidémie ou sur le recours à l’activité partielle pose plusieurs difficultés en raison de phénomènes qui biaisent la relation entre ces différentes variables et rendent difficile d’établir une causalité :

  • d’une part, il est probable que, dans les régions ou secteurs où les infections et la mortalité ont le plus augmenté, les salariés et entreprises ont spontanément eu plus recours au télétravail (causalité inverse) ;
  • d’autre part, les régions ou secteurs qui ont le pluseu recours au télétravail ont des caractéristiques qui peuvent les rendre plus vulnérables à l’impact de la crise sanitaire (biais de variable omise). Par exemple, dans les villes, qui présentent des proportions plus élevées d’emplois télétravaillables, la densité de population est plus élevée en moyenne, ce qui favorise la circulation du virus

En confrontant les variables épidémiques et le recours à l’activité partielle aux données de 2017 sur la télétravaillabilité plutôt qu’aux données sur le recours effectif au télétravail en 2020 et 2021, on évite le
problème de la causalité inverse. La télétravaillabilité des emplois en 2017 est en effet indépendante de l’effet de la crise sanitaire en 2020 et 2021 sur les entités considérées.

Cela ne résout pas cependant le biais de variable omise. En effet, les régions ou secteurs qui avaient la plus forte proportion d’emplois télétravaillables en 2017 peuvent présenter des caractéristiques qui les rendent plus vulnérables à l’impact de la crise sanitaire. Pour contourner cette difficulté, les différentes périodes de confinement sont utilisées dans un modèle en doubles différences. On fait l’hypothèse qu’en l’absence de déconfinement (c’est-à-dire si le confinement, qui réduit fortement toutes les mobilités quel que soit le recours au télétravail, avait été maintenu), les unités d’observations où les emplois sont fortement télétravaillables auraient connu des tendances similaires à celles des unités où les emplois ne sont pas télétravaillables. Ce sont donc les divergences de dynamiques entre les régions avec une proportion plus forte d’emplois télétravaillables et les autres lors des périodes sans confinement qui sont mises en relation avec les différences de télétravaillabilité entre ces régions.

Estimation en doubles-différences

En pratique, l’effet de la télétravaillabilité sur les variables d’intérêt (épidémiques ou économiques) est estimé par le modèle de doubles différences suivant, avec deux ensembles d’effets fixes (pour l’unité d’observation et pour l’unité de temps du panel), par la méthode des moindres carrées (MCO). Le coefficient d’intérêt se rapporte à l’interaction entre un score standardisé de télétravaillabilité en 2017 et une variable binaire égale à 1 lors des périodes de non-confinement et 0 dans les périodes de confinement. Le modèle comprend des effets fixes individuels et temporels : ils capturent respectivement les caractéristiques constantes de l’unité d’observation et les évolutions temporelles générales à toute la France qui ont un effet sur la variable dépendante. Le coefficient d’intérêt mesure l’effet d’un écart-type supplémentaire de télétravaillabilité en 2017 sur les variables dépendantes en période de non confinement, relativement aux périodes de confinement.

Plusieurs variables dépendantes sont prises en considération : un indice de mobilité (normalisé à 100 en janvier 2020), le taux d’incidence du Covid-19, le pourcentage de tests positifs, la surmortalité par rapport à 2018/2019 et la part des salariés en activité partielle. Les données de contamination et de décès ont été retardées respectivement d’une semaine et de trois semaines, pour tenir compte du temps qui s’écoule entre la contamination d’un individu et la matérialisation éventuelle de ces deux évènements.

Le modèle est estimé sur un panel des 18 régions françaises, observées chaque semaine, s’agissant des variables dépendantes épidémiques et de mobilité ; le panel est composé de 288 secteursa-régions, observés chaque mois, s’agissant de l’activité partielle. La méthodologie d’estimation est présentée plus en détail dans Batut 2022.

2.2 L’efficacité du télétravail pour limiter la diffusion du virus et préserver l’activité des entreprises

En dehors des périodes de confinement, la mobilité a moins crû et la situation sanitaire s’est davantage améliorée dans les régions avec plus d’emplois télétravaillables que dans les autres. Pendant les confinements, le recours à l’activité partielle a moins augmenté dans ces mêmes régions. Une augmentation de la proportion d’emplois télétravaillables de 10 points est ainsi associée à :

  • une moindre augmentation de la mobilité hors confinement par rapport aux périodes de confinements (cf. Graphique 3, –32 points en moyenne, sachant que la mobilité est indicée à 100 début janvier 2020) ;
  • une plus forte diminution de la surmortalité par rapport à la moyenne de 2018 et 2019 (–4 points de pourcentage) lors des périodes de non-confinement
  • une moindre augmentation de la proportion de salariés en activité partielle lors des périodes de confinement (–1 point).

Ces résultats tendent donc à confirmer qu’une plus forte télétravaillabilité des emplois, permettant de recourir plus intensément au télétravail6, a bien permis de réduire les déplacements et l’impact sanitaire du virus, de même qu’elle a permis de mieux préserver la continuité de l’activité des entreprises comme en témoigne le moindre recours à l’activité partielle.

Graphique 3 : Effet du télétravail sur la mobilité mensuelle en 2020 en écart à février 2020

Source : Apple Mobility data, Sumer 2017, calculs DG Trésor. Note : Le graphique présente l’effet estimé à chaque date d’un supplément de 10 points de la proportion d’emplois télétravaillables sur l’indice de mobilité issu des données mobiles Apple. Les lignes rouges encadrent le premier et les deuxièmes confinements. Lecture

En juillet 2020, 10 points de pourcentage supplémentaire de télétravaillabilité se traduisent par une baisse d’environ 60 points de l’indice de mobilité par rapport à février 2020. L’indice de mobilité est normalisé pour être égal à 100 pour chaque région la deuxième semaine de 2020.