L’emploi des seniors en France

En France, le taux d’emploi des seniors (55 ans et plus), bien qu’en augmentation constante, reste faible en comparaison avec les autres pays européens, en particulier chez les plus de 60 ans. Cet écart peut notamment s’expliquer par l’âge moyen d’ouverture des droits à la retraite plus faible en France. Par ailleurs, si les seniors sont moins souvent au chômage que les autres catégories d’âge, leurs chances de retrouver un emploi après un épisode de chômage sont moins élevées. Par Simon AKRICHE, Anna BORNSTEIN, Clément BOURDIER

  • Des freins à la demande de travail pour les seniors existent : en particulier, la perte d’employabilité avec l’âge qu’elle soit réelle ou perçue – est probablement accentuée par un recours à la formation plus faible en fin de carrière, ce qui limite les possibilités d’adaptation des emplois. De même, les niveaux de salaires, s’ils sont déterminés indépendamment de la productivité – par exemple par le biais de grille salariales – peuvent peser dans certains cas sur la demande de travail de la part des entreprises.
  • Du côté de l’offre de travail, les règles d’indemnisation chômage, plus protectrices des salariés seniors, conduisent dans le même temps à réduire les incitations financières à l’emploi en fin de carrière.
  • Enfin, pour certains métiers, le manque d’adaptation des conditions de travail au vieillissement peut également conduire à une sortie précoce de l’emploi : les seniors ni en emploi ni en retraite se déclarent plus souvent en mauvaise santé que ceux qui ont un emploi, une perception qui apparaît plus dégradée en France que chez ses voisins européens.

Évolution du taux d’emploi par tranche d’âge jusqu’au troisième trimestre 2021

1. La situation des seniors sur le marché du travail

Le taux d’emploi des seniors a progressé ces dernières années mais reste plus faible en comparaison internationale

En 2019, les seniors (55-64 ans) représentaient 4,8 millions d’actifs, soit environ 16 % de la population active (ce chiffre était de 16,8 % au troisième trimestre 2021). En dix ans leur taux d’emploi a progressé fortement pour se rapprocher du taux d’emploi moyen de l’ensemble de la population. Il est passé de 38 % au début de l’année 2008 à près de 54 % fin 2019, contre 66 % pour l’ensemble de la population (cf. Graphique introductif).

Cette hausse du taux d’emploi des seniors, portée par le relèvement du taux d’activité, est particulièrement marquée depuis 2011. Ceci s’explique en partie par la réforme des retraites de 2010, mais aussi par d’autres mesures spécifiques comme la suppression des dispositifs de cessation anticipée d’activité ou des dispenses de recherche d’emploi.

Le taux d’emploi des seniors en France reste toutefois inférieur à celui de ses voisins européens, surtout du fait des plus de 60 ans (cf. Graphique 1). Si le taux d’emploi des 55-59 ans était comparable en France à celui de ses voisins européens fin 2019, celui des 60- 64 ans était de 34 % en France, contre 47 % au niveau de la zone euro (56 % au Royaume-Uni et 63 % en Allemagne).

Graphique 1 : Comparaison internationale de l’évolution des taux d’emploi des seniors

Source : Eurostat, calculs DG Trésor. Note de lecture : l’emploi est exprimé en pourcentage au sein de chaque classe d’âge.

Cet écart reflèterait en particulier l’âge effectif de départ en retraite des hommes en France, qui demeure le plus précoce des pays de l’OCDE malgré les réformes. En effet, lorsque l’on observe cette fois le taux d’emploi des seniors selon la distance à l’âge normal de départ à la retraite, la France ne s’éloigne guère de la moyenne OCDE. Ainsi, 10 à 6 ans avant l’âge normal d’ouverture des droits, le taux d’emploi de la France est de 75,5 % (17ème position sur 35 dans les pays comparés sur le Graphique 2, et 1 point au dessus de la moyenne). Entre 5 et 1 an avant l’âge d’ouverture, ce taux n’est plus que de 48,5 % (6 points en-dessous de la moyenne, en 25ème position). Certains pays parviennent à maintenir des taux d’emploi élevés à l’approche de l’âge de la retraite, soulignant l’existence d’autres facteurs.

Graphique 2 : Comparaison internationale des taux d’emploi selon l’écart à l’âge normal de départ en retraite

L’impact de la réforme des retraites de 2010 sur l’emploi des seniors

La réforme des retraites de 2010 consistait à progressivement reculer l’âge d’ouverture des droits de 60 ans à 62 ans. Rabaté et Rochut (2020)a ont estimé, à l’aide d’une microsimulation, l’effet d’une telle mesure sur l’activité de la première cohorte de seniors pleinement concernée par la réforme (génération 1952). Les résultats mettent en évidence un effet important de la réforme sur le taux de retraités à 60 ans, qui baisse de 48 points de pourcentage. Plus de 70 % de cette baisse se traduirait par une hausse du taux d’activité des personnes ayant 60 ans, notamment par une hausse du taux d’emploi de 21 points de pourcentage. En observant les transitions individuelles, les auteurs constatent qu’après la réforme les seniors ont maintenu leur situation sur le marché du travail.

Ces résultats sont proches d’une autre étude conduite par l’Insee sur les cohortes 1951-1952b selon laquelle la réforme de 2010 aurait significativement augmenté la probabilité d’être actif à 60 ans (+23 points du fait de la réforme) et la probabilité d’être en emploi (+16 points). La réforme s’est aussi traduite par une augmentation du nombre de seniors au chômage et dans différentes formes d’inactivité autres que la retraite (hausse du nombre de bénéficiaires d’une pension d’invalidité de près de 150 000 personnes entre la fin de 2010 et 2017, et hausse de moitié du nombre de bénéficiaires des principaux minimas sociaux à la fin 2016)c, même si dans l’ensemble le taux d’inactivité à 60 ans a diminué.

Impact à la marge de la réforme des retraites de 2010 sur la probabilité du statut à 60 ans

Source : Koubi et Dubois (2017). Selon l’étude, à moyen terme la réforme de 2010 a diminué de 25 points la probabilité d’une personne d’être en retraite à 60 ans, et a augmenté de 16 points la probabilité d’être en emploi au même âge.

Parmi les seniors, il y a moins de chômeurs mais davantage de chômeurs de longue durée que dans le reste de la population

Les seniors sont moins exposés au risque de chômage que le reste de la population. 92 % des salariés senior sont en CDI en 2019. Malgré deux fortes hausses en 2008-2010 et 2012-2015, sous l’effet conjugué de la crise économique et de la suppression du dispositif de dispenses de recherche d’emploi, le taux de chômage des seniors reste toujours inférieur de près de 1,5 points à la moyenne de la population en âge de travailler (cf. Graphique 3). À titre de comparaison, le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) est trois fois supérieur à celui des plus de 55 ans (respectivement 20,4 % et 6,1 % fin 2019). Toutefois, la part des chômeurs de longue durée (plus d’un an) chez les chômeurs de plus de 55 ans est en 2018 de 60 %, contre 42 % pour l’ensemble de la population des plus de 15 ans. De fait, la probabilité de reprendre un emploi après un épisode de chômage est moitié plus faible pour les seniors que pour les 25-54 ans.

Le taux d’emploi des seniors est positivement corrélé au niveau de formation (de 40,7 % pour les 55-64 ans sans diplôme à 72,8 % pour les diplômés du supérieur long, voir tableau 2). Le lien entre niveau de formation et chômage est plus ténu : les seniors diplômés du baccalauréat ou équivalent ont une probabilité trimestrielle de retour à l’emploi de 11,9 %, contre 10,0 % pour ceux diplômés du supérieur long.

Source : Enquête emploi 2019, Calculs : DG Trésor. Les probabilités de retour à l’emploi correspondent à la fraction de chômeurs (à âge et diplôme donnés) retrouvant un emploi d’un trimestre à l’autre. Note de lecture : Le taux d’emploi des seniors sans diplôme est de 40,7 %. Parmi ceux au chômage, la probabilité de retour à l’emploi le trimestre suivant est de 9,5 %.

Lorsqu’ils sont indemnisés, les chômeurs seniors le sont généralement davantage, puisque leur salaire moyen perdu est plus élevé et leur durée de cotisation plus longue. La durée d’indemnisation est plus élevée que pour les autres chômeurs, car les demandeurs d’emploi de 55 ans ou plus peuvent bénéficier, s’ils ont cotisé suffisamment, d’une durée d’indemnisation chômage de 36 mois et de 30 mois pour les 53-54 ans, contre 24 mois pour les moins de 53 ans : 74 % des chômeurs seniors indemnisés ont ouvert un droit au chômage d’une durée maximale supérieure ou égale à deux ans.

Graphique 3 : Évolution du taux de chômage BIT jusqu’au troisième trimestre 2021

Source : Insee, Enquête Emploi ; France métropolitaine jusqu’en 2014 puis France hors Mayotte ensuite. Note de lecture : Le chômage est exprimé en pourcentage au sein des actifs de chaque classe d’âge.

Les seniors sur le marché du travail en 2020 et 2021

Sur la base de la Photographie du marché du travail en 2020 publié par l’Insee en mars 2021, à court terme la crise de la Covid n’aurait pas modifié en profondeur le diagnostic sur l’emploi des seniors. Le taux d’emploi des 50-64 ans aurait continué d’augmenter au même rythme qu’avant crise (+0,7 point par an) pour atteindre 65,4 % au deuxième trimestre 2021 (contre 64,5 % au quatrième trimestre 2019). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que les seniors sont moins représentés parmi certains secteurs fortement affectés par la crise, comme l’hébergement-restauration ou le commerce (dont l’âge moyen en emploi est de 35 ans contre 41 ans pour l’ensemble de l’économie) et moins exposés aux contrats courts ou à durée déterminée. Ils auraient donc été mieux protégés par le dispositif d’activité partielle. D’autre part, les indemnités de licenciement sont le plus souvent croissantes avec l’ancienneté du salarié (à partir de 10 ans pour l’indemnité minimale légale), ce qui pourrait avoir freiné les licenciements de seniors à court terme.

2. Les freins à la demande de travail pour les seniors

Les freins à l’emploi des seniors sont à chercher à la fois du côté de la demande de travail des entreprises et du côté de l’offre de travail des salariés âgés. Côté demande, les principaux facteurs sont la perte d’employabilité, en raison des conditions physiques ou d’un manque de formation, et le niveau de salaire des seniors, en particulier la rémunération à l’ancienneté parfois décorrélée de la productivité. Enfin, il peut exister des effets de discrimination liée à l’âge.

La perte d’employabilité avec l’âge

Les salariés pourraient ainsi voir leur productivité se dégrader avec l’âge, du fait par exemple de l’usure physique et psychique, ou de l’obsolescence des compétences face à l’évolution des tâches. Une expérience contrôlée réalisée par la Fédération « Théorie et Évaluation des Politiques Publiques » (TEPP)5 teste l’hypothèse selon laquelle l’obsolescence du capital humain des seniors pourrait être à l’origine de leur faible taux d’emploi. Les résultats montrent qu’à diplômes équivalents le taux d’accès à un entretien d’embauche diminue plus fortement avec l’âge dans les métiers les plus exposés aux chocs technologiques que dans les autres métiers. Selon les auteurs, ce biais de sélection s’expliquerait par une obsolescence des compétences affichées aux yeux des recruteurs.

De fait, les salariés seniors accèdent moins souvent à la formation que les plus jeunes. Le taux d’accès à la formation diminue à partir de 50 ans, et plus sensiblement au-delà de 55 ans (cf. Graphique 4). À caractéristiques d’emploi identiques, les salariés plus âgés se forment moins : un salarié âgé de 55-59 ans a deux fois moins de chances qu’un salarié de 40-44 ans de suivre une formation. En 20186, le taux de recours au Compte Personnel de Formation (CPF) des salariés de plus de 45 ans était inférieur d’un tiers à celui des salariés de 26 à 44 ans et, d’après l’Insee, les chômeurs de plus de 45 ans accédaient 1,7 fois moins à la formation que l’ensemble des chômeurs en 2015.

Les seniors n’ont été ciblés par aucun dispositif particulier lors de la réforme de la formation professionnelle et la mise en place du Plan d’Investissement dans les Compétences (PIC), qui visaient globalement les personnes les plus éloignées de l’emploi parmi lesquelles les seniors sont surreprésentés. Cependant, de par la structure de leur taux de chômage, les seniors devraient bénéficier du volet « demandeurs d’emploi de longue durée » du Plan de réduction des tensions de recrutement, annoncé fin septembre 2021.

Graphique 4 : Taux d’accès à la formation professionnelle selon l’âge et la CSP en 2012, en pourcentage de chaque catégorie

Source : Enquête « Formation des adultes 2012 », Insee, et Demailly (2016). Champ : Salariés au moment de l’enquête ; France métropolitaine. Pour certaines catégories socioprofessionnelles les données ne sont pas significatives au-delà de 60 ans.

Les obstacles à la formation des seniors

Pour une formation donnée, le bénéfice actualisé susceptible d’en être retiré par un travailleur ou son employeur jusqu’à la fin de sa carrière décroît à l’approche de la retraite. Ainsi, le faible recours à la formation des seniors a deux causes principales. En premier lieu, l’utilité perçue de la formation et la volonté de se former diminuent passé 55 ans : seuls un quart des plus de 55 ans ressentent un besoin de formation pour les prochaines années, contre les deux tiers des 30-40 ans. Ce ressenti varie selon la catégorie socioprofessionnelle : parmi les salariés seniors, les ouvriers répondent plus souvent (85 %) que les cadres (66 %) ne pas avoir souhaité se former davantage parce qu’ils n’en n’avaient pas besoina. La part des salariés déclarant suivre une formation en vue « d’améliorer leurs perspectives de carrières » ou « d’éviter de perdre leur emploi » diminue de près de 40 % chez les seniors par rapport aux 30-44 ans, expliquant partiellement cette faible utilité perçue.

Ensuite, le manque de soutien des employeurs réduit l’accès des seniors à la formation, particulièrement pour les ouvriers et les employés. 37 % des ouvriers et employés de plus de 50 ans évoquent l’absence d’aide ou le refus de l’employeur comme raison principale les ayant empêchés de suivre une formation, contre 28 % des ouvriers et employés de 30 à 44 ans. En comparaison, pour les cadres, la variation n’est que de 1 point entre les deux catégories d’âge. À nouveau, les employeurs pourraient donc considérer que le gain marginal à former les salariés seniors est réduit (que la formation soit jugée inadaptée, trop coûteuse ou amortie sur une trop courte durée) : les compétences acquises en formation ne sont utilisées que par 60 % des ouvriers de plus 55 ans, contre 80 % de ceux de moins de 30 ans. L’information des ouvriers et des employés sur les formations disponibles est par ailleurs largement inférieure à celle des cadres. Alors que le bilan de compétences est connu en 2016 de 89 % des cadres seniors, seuls 38 % des ouvriers seniors en ont entendu parler. Cette méconnaissance peut aussi expliquer le sentiment de ne pas avoir besoin de se former.

La perte d’employabilité avec l’âge risque donc d’être plus rapide pour les ouvriers et les employés qui voient leur taux d’accès à la formation diminuer dès 35 ans, contre 50 ans pour les cadres. Ce sont pourtant les salariés moins qualifiés qui occupent la majorité des métiers les plus à risque dans le cadre de la numérisation et robotisation des entreprises. En outre, ces catégories étant les plus exposées aux facteurs de pénibilité du travail, une meilleure formation pourrait faciliter la transition vers des activités moins pénibles, plus adaptées aux fins de carrière.

Graphique 5 : La raison qui a empêché de suivre une formation chez les salariés qui le souhaitaient, selon l’âge et la catégorie professionnelle

Source : Enquête « Formation des adultes en 2012 », Insee, et Demailly (2016). Note : 18 % des salariés âgés de 50 ans et plus déclarent qu’ils ont été empêchés de suivre une formation à cause du refus de leur employeur.

Le niveau de salaire

Le risque que la perte d’employabilité constitue un obstacle à l’emploi des seniors s’accroît s’il existe un écart entre leur productivité et leur rémunération effectivement versée. Peu d’études françaises se sont attachées à mesurer cet écart. Pour les salariés âgés de plus de 50 ans, Roger et Wasmer (2011)7 indiquent que le ratio de la productivité au salaire diminue. Ce ratio est particulièrement défavorable pour les salariés seniors peu qualifiés dans l’industrie, le commerce et les services, et pour les salariés seniors qualifiés dans l’industrie et dans les services. Sur données belges, il a pu être montré que la productivité du travail augmentait jusqu’à en moyenne 23 ans d’ancienneté en entreprise, avant de diminuer au-delà.

Le niveau de salaire des seniors est ainsi souvent avancé comme un argument freinant l’embauche ou le maintien en emploi des seniors les moins productifs. Au sein d’une même cohorte, les salariés d’un niveau supérieur ou égal au baccalauréat verraient leurs salaires nets moyens augmenter de 86 % entre leur 25 et 50 ans, et de 60 % pour salariés sans le baccalauréat. Ceci reflète notamment l’organisation des grilles salariales qui permettent une revalorisation du salaire en fonction de l’ancienneté. Par exemple, en moyenne dans les pays de l’OCDE, rester 10 années supplémentaires dans le même emploi augmente le salaire d’environ 6 % pour les individus âgés de 50 à 60 ans.

Ces trajectoires salariales ne sont pas en contradiction avec la théorie économique : les modèles de contrats incitatifs de Lazear (1979) justifient cette hausse en expliquant que les travailleurs passeraient avec leur employeur un contrat implicite selon lequel ils toucheront moins que leur productivité au début de leur carrière, et plus à la fin de celle-ci. Ce concept trouverait sa traduction dans l’existence de grilles salariales. Ce mécanisme reste néanmoins fragile dans le cas où une entreprise connaissant des difficultés économiques est contrainte de se séparer de certains salariés, et où son intérêt est de commencer par ceux dont l’écart entre la rémunération et la productivité est le plus élevé.

Empiriquement, une étude de France Stratégie conclut que certains salariés seniors pourraient être exclus de l’emploi du fait de prétentions salariales trop élevées, possiblement par rapport à leurs compétences. Les auteurs supposent que la hausse des salaires observée en fin de carrière dans les statistiques proviendrait pour partie d’un effet de sélection, car on observe les salaires moyens uniquement sur les seniors en emploi et non sur ceux déjà sortis du marché du travail. L’étude reconstruit les salaires moyens qui seraient observés en fin de carrière chez les travailleurs à temps plein en supposant que chacun reste en emploi. À partir des trajectoires simulées, les auteurs déduisent que le maintien en emploi de l’ensemble des seniors nécessiterait, pour le surcroît de travailleurs âgés, d’accepter des salaires en moyenne inférieurs à ceux qui sont aujourd’hui observés, voire déclinant avec l’âge pour les moins qualifiés.

La discrimination selon l’âge

Toutes choses égales par ailleurs, l’âge des salariés pourrait être source de discrimination et freiner l’embauche des seniors. Plusieurs études ont mis en évidence l’existence d’une discrimination à l’embauche selon le sexe, l’origine apparente, la réputation du lieu de résidence ou la religion supposée, mais peu se sont intéressées au critère de l’âge. La difficulté principale est de raisonner toutes choses égales par ailleurs, c’est-à-dire d’isoler le critère d’âge d’autres caractéristiques pouvant influencer le recrutement, telles que l’expérience passée ou la trajectoire de carrière future envisagée. Malgré ces difficultés, quelques études tentent de mesurer une éventuelle discrimination des employeurs envers des salariés seniors.

Un rapport du TEPP a mis en place un protocole expérimental qui consiste à mesurer la probabilité d’être retenu à un entretien pour un poste de vendeur. Ce métier est choisi pour deux raisons : il est peu exposé aux chocs technologiques et le contact avec les clients y est important, ce qui doit permettre de mieux identifier les a priori du recruteur. On peut alors plus facilement repérer la présence ou non d’une culture anti-senior dans la société. Les résultats montrent que l’hypothèse d’une norme sociale qui pénaliserait l’accès à l’emploi des seniors serait validée. De plus, une étude de 201520 menée sur l’ensemble des pays de l’Union européenne a montré que 75 % des managers français pensaient qu’avoir plus de 55 ans désavantageait un candidat lorsqu’une entreprise devait choisir entre son profil et celui d’une personne plus jeune à qualifications et compétences égales, ce qui représente la troisième plus haute proportion après les Pays-Bas (77 %) et Chypre (76 %), à comparer à 60 % en moyenne dans l’Union européenne.

3.Les freins à l’offre de travail des seniors

Du côté de l’offre de travail, les revenus de remplacement des seniors peuvent peser sur les incitations financières au retour à l’emploi, et le manque d’adaptation des conditions de travail au vieillissement peut conduire à un retrait précoce du marché du travail.

Les incitations financières à l’emploi s’amenuisent en fin de carrière

L’existence de revenus de remplacement (chômage, retraite) et leur niveau par rapport au salaire, déterminent l’ampleur des gains financiers à l’exercice d’une activité. Lorsque la dépense contrainte se réduit (par exemple du fait de l’acquisition de leur logement pour une partie des actifs en fin de carrière), un revenu de remplacement plus faible peut devenir suffisant, ce qui réduit l’effet d’une incitation financière à l’exercice d’une activité professionnelle. Ainsi, dans le cas des seniors, le salaire de réserve augmenterait avec l’âge, même en tenant compte de leur employabilité ou des derniers salaires perçus. Pour cette population, l’arbitrage travail-loisir tendrait donc à se déformer au profit de ce dernier.

Par ailleurs, en France, la durée élevée de l’indemnisation du chômage réduirait les incitations à l’emploi pour les seniors. Suite à l’accord des partenaires sociaux du 14 avril 2017, la durée maximale d’indemnisation pour les demandeurs d’emploi dans le cadre de la filière « senior » est fixée à 30 mois pour les 53-54 ans et à 36 mois au-delà (contre 24 mois pour les autres demandeurs d’emploi). Cet effet d’âge est renforcé par la possibilité pour certains seniors de conserver leur indemnisation chômage au-delà de cette durée jusqu’à l’obtention d’une retraite à taux plein, ce qui peut faire courir l’indemnisation jusqu’à 67 ans, âge de fin d’application de la décote du régime de retraite.

L’effet horizona sur les ruptures conventionnelles et les licenciements en fin de carrière

Le dispositif de ruptures conventionnelles et les licenciements offrent en fin de carrière la possibilité de sortir du marché du travail de façon anticipée. Lorsque, avec la réforme de 2010, l’âge minimal d’ouverture des droits et de liquidation d’une retraite sans décote a été décalé de deux ans, on a observé que le pic des fins de CDI pour licenciement ou rupture conventionnelle s’est également décalé de deux ans, de sorte que l’indemnisation chômage couvre les personnes indemnisées jusqu’à la retraite. Avant cette réforme, on observait un pic de rupture de CDI à 57 ans, soit trois ans avant l’âge légal de départ à la retraite, durée correspondant à la durée maximale d’indemnisation du chômage des demandeurs d’emploi en fin de carrière. L’entrée en vigueur de la réforme des retraites a décalé à 59 ans ce pic de sorties de sorte à ce qu’il est toujours observé trois ans avant le nouvel âge légal de départ à la retraite (cf. Graphique 6).

En 2018, les dépenses d’allocations chômage associées à une rupture conventionnelle représentaient 21 % des dépenses totales d’allocationsb, et 24 % des allocataires indemnisés dans ce cadre avaient 50 ans et plus. En 2017, 11 % des 57 ans et plus au chômage l’étaient suite à une rupture conventionnelle, contre 7 % pour le reste de la population. Cette part est en constante augmentation depuis l’introduction des ruptures conventionnelles en 2008, ce qui pourrait traduire un accroissement relatif des séparations avec les seniors, protégés en cas de licenciement économique par les critères d’ordre de départ (ancienneté, charge de famille, compétences).

Graphique 6 : Répartition des fins de CDI pour licenciement ou rupture conventionnelle par âge

Les conditions de travail difficiles au cours de la carrière

Des conditions de travail difficiles peuvent concourir à une sortie précoce de l’emploi. Une étude de la Drees montre que, parmi les seniors ni en emploi ni en retraite (ou préretraite) âgés de 52 à 69 ans, 29 % se déclarent en mauvaise santé, contre 7 % des seniors en emploi et 10 % des seniors en retraite. Cette perception de seniors ni en emploi ni en retraite apparaît plus dégradée en France que chez ses voisins européens.

Ainsi, une méta-analyse réalisée en 2016 a relevé plusieurs études montrant que de mauvaises conditions de travail, physiques ou mentales, jouaient négativement sur la santé et sur l’âge de départ à la retraite. Si environ un tiers des seniors inactifs de moins de 62 ans le sont en raison d’une retraite anticipée pour carrière longue, autant évoquent des problèmes de santé comme raison de leur non- recherche d’un emploi (soit 50 % de plus que pour l’ensemble des inactifs de 25-54 ans).

Par ailleurs, selon une étude de la Dares, les conditions de travail difficiles au cours de la carrière sont généralement associées à un taux d’emploi plus faible. Selon l’enquête Santé et itinéraire professionnel de 2007, 68 % des seniors durablement exposés à au moins un facteur de pénibilité physique30 sont en emploi en 2007, contre 75 % pour ceux n’ayant pas été exposés ou qui l’ont été mais moins de quinze ans. Le taux d’emploi décroît avec le cumul des facteurs de pénibilité (66 % pour deux facteurs, 62 % pour trois facteurs ou plus).

Graphique 7 : Situation (en %) des 50-59 ans sur le marché du travail selon le cumul d’expositions antérieures longues (15 ans ou plus) à des pénibilités physiques