
Alors que le monde traverse une période d’incertitudes économiques, géopolitiques et sociales, les entreprises continuent d’affirmer leur volonté d’investir dans la durabilité. Le dernier rapport du Capgemini Research Institute souligne que la transition écologique reste une priorité stratégique pour la majorité des grandes organisations. Pourtant, derrière cet engagement affiché se cache une réalité plus nuancée : les stratégies climatiques existent, mais leur concrétisation demeure partielle, souvent freinée par des contraintes financières, technologiques ou organisationnelles.
La durabilité comme levier stratégique de compétitivité
Dans un contexte où la pression réglementaire s’allège dans certains pays mais reste forte ailleurs, les entreprises reconnaissent l’importance de la durabilité comme moteur de création de valeur. Plus de 82 % prévoient d’augmenter leurs investissements environnementaux au cours des 12 à 18 prochains mois, une tendance en hausse de 8 points par rapport à l’année précédente. Pour beaucoup, la conformité aux normes environnementales reste le premier catalyseur d’action, mais elle est désormais suivie de près par des motivations plus économiques : économies de coûts, gains d’efficacité opérationnelle et développement de nouveaux modèles d’affaires.
Cette orientation traduit une évolution dans la perception de la durabilité. Loin d’être une contrainte imposée par la réglementation, elle devient un outil stratégique permettant d’anticiper les risques, de séduire des consommateurs de plus en plus exigeants et de stimuler l’innovation. Pourtant, ce basculement vers une approche proactive ne garantit pas une transformation profonde et systématique. Si les ambitions sont fortes, les plans concrets et les ressources dédiées à la transition demeurent trop limités pour répondre à l’urgence climatique.
Un décalage persistant entre stratégie et action
Le rapport révèle un contraste frappant : alors que la plupart des cadres dirigeants affirment placer l’adaptation au changement climatique au cœur de leurs priorités, seule une minorité dispose de plans de transition détaillés et opérationnels. Seules 21 % des entreprises interrogées ont défini des objectifs intermédiaires clairs assortis d’une allocation de capital dédiée. Cette absence de feuille de route concrète traduit une tendance à confondre planification stratégique et véritable adaptation.
Les freins internes sont multiples : contraintes budgétaires, données environnementales incomplètes ou peu fiables, manque de coordination entre départements et difficulté à mesurer précisément l’impact des initiatives. Sur le plan externe, les tensions géopolitiques et l’incertitude économique freinent l’accélération des projets durables. Ainsi, malgré un consensus autour de l’importance de la durabilité, beaucoup d’entreprises avancent encore à un rythme trop lent pour espérer bâtir une résilience solide.
Les impacts déjà tangibles du dérèglement climatique
Si certaines entreprises considèrent encore le changement climatique comme une menace future, la réalité montre qu’il affecte déjà leur quotidien. Plus de 70 % des dirigeants déclarent avoir été confrontés à des perturbations directes : chaînes d’approvisionnement ralenties, production interrompue, pénuries de matières premières. Deux tiers anticipent des difficultés croissantes en matière de couverture d’assurance ou de risques financiers liés à la multiplication des catastrophes naturelles.
Malgré ces signaux d’alerte, la mise en œuvre de mesures concrètes reste insuffisante. Seules 38 % modernisent activement leurs infrastructures pour les rendre plus résilientes face aux aléas climatiques, 31 % déplacent une partie de leur production vers des zones moins vulnérables, et à peine 26 % adaptent leurs gammes de produits. Autrement dit, une majorité reconnaît l’importance du problème, mais tarde à transformer cette prise de conscience en actions tangibles. Ce décalage reflète un déficit d’anticipation, alors même que les effets du climat s’intensifient.
L’intelligence artificielle : alliée et menace pour la durabilité
L’essor de l’intelligence artificielle (IA) ajoute une dimension complexe au débat sur la durabilité. Pour près de deux tiers des entreprises, l’IA représente un outil stratégique afin de mieux analyser les données environnementales, optimiser la consommation de ressources et améliorer l’efficacité énergétique. Elle offre aussi des leviers pour anticiper les risques climatiques et concevoir des solutions innovantes, par exemple dans la gestion des réseaux énergétiques ou la logistique.
Mais cette technologie n’est pas neutre. L’IA générative, en particulier, suscite des préoccupations croissantes en raison de sa consommation énergétique et de son empreinte carbone. En 2025, seuls 57 % des dirigeants estiment encore que ses bénéfices dépassent ses coûts environnementaux, contre 67 % en 2024. Pourtant, moins d’un tiers des entreprises ont réellement mis en place des mesures pour limiter cet impact. Ce paradoxe souligne la nécessité d’une approche équilibrée : exploiter le potentiel de l’IA pour accélérer la transition écologique, tout en veillant à maîtriser ses externalités négatives.
Une confiance des consommateurs en net recul
L’opinion publique exerce une pression croissante sur les entreprises. Plus de 62 % des consommateurs estiment désormais que les marques pratiquent le greenwashing, soit près du double de la proportion relevée deux ans plus tôt. De plus, 77 % considèrent que les entreprises ne font pas assez pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette défiance traduit une attente forte de transparence et d’authenticité.
Par ailleurs, l’accessibilité des produits durables reste un frein majeur. Seuls un quart des consommateurs jugent ces produits financièrement abordables, et seulement 16 % estiment disposer d’informations fiables sur leur durabilité réelle. Ce déficit d’information et de confiance constitue un risque stratégique pour les entreprises : à mesure que le scepticisme grandit, les marques qui ne sauront pas démontrer des progrès concrets risquent de perdre la fidélité et la crédibilité auprès de leur clientèle.
Vers une approche plus pragmatique et opérationnelle
Face à ces constats, une conclusion s’impose : l’heure n’est plus seulement aux engagements, mais à l’action concrète. Les dirigeants sont appelés à dépasser les déclarations d’intention pour adopter une approche pragmatique de la transition climatique. Cela implique de financer des mesures d’adaptation robustes, de renforcer les capacités de résilience et de repenser les modèles économiques pour intégrer pleinement la durabilité.
Comme le souligne Cyril Garcia, membre du comité de direction de Capgemini, la durabilité doit être vue non pas comme une contrainte, mais comme un moteur d’innovation et de compétitivité. Les entreprises qui sauront investir dans des solutions crédibles, mesurables et transparentes auront une longueur d’avance, tant pour répondre aux attentes réglementaires que pour regagner la confiance des consommateurs.
Un tournant décisif pour les entreprises
Le rapport du Capgemini Research Institute met en lumière un paradoxe structurant. D’un côté, la majorité des entreprises reconnaît la durabilité comme un levier essentiel de résilience et d’innovation. De l’autre, les mesures réellement mises en œuvre demeurent trop limitées pour répondre à l’urgence climatique. L’écart entre ambitions et actions concrètes risque de fragiliser à la fois la compétitivité, la confiance des consommateurs et la stabilité à long terme des organisations.
À l’heure où les effets du dérèglement climatique se multiplient, la durabilité ne peut plus se réduire à une stratégie déclarative. Elle doit devenir un pilier opérationnel, intégré dans les choix budgétaires, les processus industriels et les modèles économiques. C’est à cette condition que les entreprises pourront transformer une contrainte en opportunité et contribuer, de manière crédible, à la construction d’un avenir durable.
À lire aussi : L’économie mondiale face aux incertitudes : entre résilience et ralentissement annoncé








