Sylvie MALECOT
Président de Millenium I-Research
« Nous devons être conscients du pouvoir que nous avons et être capable d’imaginer son impact, si nous ne voulons pas qu’il nous domine à son tour. »
David BALTIMORE
Si les actionnaires regardent de longue date la politique RSE des entreprises, une nouvelle étape via d’être franchie, puisque les lignes de crédit des entreprises se corrèlent désormais à des critères de durabilité.
C’est l’une des tendances fortes de la finance durable selon Bloomberg. Malgré leur apparition récente sur le marché, certains qualifient les emprunts à impacts de “futur de la banque”. Depuis leur création, fin 2017, les emprunts à impacts, positive incentive loans ou sustainability loans, font une percée remarquée dans le monde de la finance durable et au-delà, dans une dynamique de convergences des banques, investisseurs et entreprises autour de la performance globale.
Face à un marché des green bonds de 180 milliards de dollars, ce nouveau produit est déjà évalué à près de 40 milliards de dollars (36,4 milliards en 2018) et les banques lui prédisent un grand avenir, avec un afflux de demandes très important provenant des entreprises, encore essentiellement européennes.
Les green bonds portent par construction leur limite : ils sont spécifiquement dédiés au financement de projets verts. Les emprunts à impacts répondent à une vision plus large, puisqu’ils ne sont pas alloués à des projets précis, et concernent les entreprises de toute taille et de tous secteurs. Néanmoins, choisir ce type de financement demande de la part des entreprises émettrices une certaine maturité en termes de responsabilité sociétale.
Les indexations des emprunts sont de natures diverses : sur la performance extra-financière des entreprises, sur leur notation ESG réalisée par des agences spécialisées, ou sur quelques indicateurs spécifiques définis entre la banque et l’entreprise. Ce dernier cas tend à se généraliser. En pratique, si l’entreprise atteint ou dépasse ces objectifs, elle bénéficie d’un bonus, si elle échoue, elle peut écoper d’un malus, voire d’une obligation de réaliser des actions correctives dans l’année qui suit. L’intérêt principal est que l’on évalue l’entreprise non pas sur ses engagements mais bien sur leur réalisation. On est au-delà de la simple obligation de moyens.
Parmi la cinquantaine d’émetteurs ayant souscrit des prêts indexés sur des critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance (ESG), on trouve plusieurs entreprises françaises, telles que EDF, Danone, les Fromageries Bel, Séché Environnement.
Danone a annoncé en 2018 l’introduction de critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans sa ligne de crédit syndiqué (contractée auprès de plusieurs banques) de 2 milliards d’euros. Cette ligne de crédit intègre désormais un mécanisme d’ajustement des marges de crédit, revu au moins une fois par an, à la baisse ou à la hausse, sur la base des critères ESG de l’entreprise fournis par des tiers.
Ce levier de transformation et de dialogue, est partagé par un autre acteur majeur de l’agro-alimentaire, le groupe Bel. En 2018, le fromager a indexé sa ligne de crédit renouvelable multidevises de 520 millions d’euros sur des objectifs de réductions des émissions de gaz à effet de serre (GES), le développement de programme d’éducation nutritionnelle dans les pays clé du groupe et le déploiement d’un programme d’actions concrètes en faveur d’une filière amont laitier durable.
L’objectif affiché est de montrer aux banques et investisseurs qu’ils financent une entreprise qui s’engage, et de prouver à l’ensemble des parties prenantes que la RSE est bien au cœur de la stratégie du Groupe.
Pionnier en France, EDF a annoncé en mai 2017 avoir signé un accord de facilité de crédit avec la banque ING pour un montant de 150 millions d’euros. L’originalité est que “le taux d’intérêt sera lié à la performance de l’entreprise en matière de développement durable“. Cette performance est mesurée par l’agence indépendante de notation extra-financière Sustainalytics.
Un pas supplémentaire a été franchi début 2019 par EDF pour étendre l’impact à sa principale ligne de crédit syndiqué (24 banques) pour un montant de 4 milliards d’euros. “Les montants des bonus ou malus ne vont pas modifier les frais financiers d’EDF, mais cela est suffisamment important pour créer un levier interne, une incitation à la performance extra-financière et à l’ancrer dans les différents métiers : finance, RSE, commerce, etc. In fine, cela est réellement porteur de transformation au sein de l’entreprise“, selon Alexandre Marty responsable des relations investisseurs de la Direction financière d’EDF. L’enjeu réside surtout dans le choix des indicateurs sur lesquels porteront l’évaluation de l’entreprise. Le dernier crédit d’EDF porte sur les émissions de CO2 directes du groupe, la mesure de l’engagement de ses clients particuliers dans le suivi de leur consommation et l’électrification de sa flotte de 40 000 véhicules légers.
Tous les émetteurs qui font le choix de financements à impacts considèrent qu’ils font un pari sur l’avenir. Dans un monde où les évolutions comptables conduisent à se focaliser sur la fin du trimestre à venir, l’impact associé au financement aide à ne pas se focaliser sur les gains financiers de court terme.
Certains anticipent que d’ici quelques années, dans un monde où les liquidités pourraient être plus contraintes, les banques feront payer plus cher les entreprises n’ayant pas une politique responsable ou durable et choisiront en priorité ou feront payer moins cher les entreprises qui prouveront leur engagement durable.
En ce sens, banques et entreprises convergent vers la position définie par les investisseurs institutionnels. Si la surperformance des sociétés impliquées dans la démarche ESG n’est pas avérée, celles-ci démontrent une vision stratégique de moyen terme, une implication à contribuer à un monde meilleur, de nature à rassurer les investisseurs, privés et institutionnels.