LES PAYS ÉMERGENTS – QUELLES PERSPECTIVES POUR 2022 ?

Le choc de la crise sanitaire a été particulièrement violent avec une contraction moyenne du PIB dans les pays émergents de 7,4 % en 2020, affectant davantage les pays les plus dépendants au tourisme et centrés sur les services. Par Laetitia Baldeschi, Responsable des Études et de la Stratégie – CPR AM

QUELLES SONT LES PERSPECTIVES POUR LES INVESTISSEMENTS SUR LES MARCHÉS ACTIONS ÉMERGENTS ?  

A la différence des crises précédentes, la réactivité accrue en matière de politique budgétaire a permis d’absorber une partie du choc. Surtout, l’assouplissement monétaire sans précédent mis en œuvre dans les grands pays développés a largement contribué à assouplir les conditions financières mondiales et donc faciliter le financement des pays émergents. Pour finir, plus de 90 % des banques centrales des pays émergents ont procédé à un assouplissement conventionnel par le biais des baisses de taux directeurs, et -fait nouveau-, elles ont été très nombreuses à mettre en œuvre des programmes d’achat d’actifs.

Mais le retard pris dans la vaccination, l’accès réduit aux vaccins à ARN messager, plus efficaces, et la modestie relative des soutiens budgétaires expliquent le retard dans la phase de reprise des émergents sur les pays développés. Ces éléments pèseront encore sur les perspectives de croissance pour 2022. La structure sectorielle des différents pays importe également ; les pays très dépendants du tourisme sont en retard, et le resteront tant que l’épidémie continuera à sévir. L’inflation médiane en glissement annuel parmi les pays émergents est passée de 3 % environ avant la pandémie à 6,7 % fin 2021, ce qui provoque un durcissement des politiques monétaires qui va freiner la dynamique de rebond des économies émergentes.

LA CRISE EN UKRAINE ASSOMBRIT L’HORIZON ET VA ATTEINDRE LES PAYS ÉMERGENTS ESSENTIELLEMENT PAR LE BIAIS DE TROIS CANAUX

Le premier canal est celui du commerce mondial. Au-delà de la place assez modeste de la Russie et de l’Ukraine dans les échanges commerciaux mondiaux, la désorganisation des échanges sur cette zone géographique avec notamment les perturbations du trafic maritime de la mer Noire pourrait quelque peu freiner la dynamique commerciale au-delà des pays d’Europe de l’Est, affectés en premier lieu. Le poids de la Russie et de l’Ukraine sur le marché du pétrole, du gaz, des céréales, des engrais ou de certains métaux va avoir de lourdes conséquences pour un grand nombre de pays.

Les prix de ces matières premières flambent d’ores et déjà. C’est le deuxième canal de transmission des effets du conflit au reste du monde, et vraisemblablement le plus important. Le monde émergent a été fortement affecté par l’accélération de l’inflation au cours de l’année 2021. Initialement occasionnée par l’accélération des prix de l’énergie et de l’alimentation, cette inflation se transmet à l’ensemble de l’économie. Elle est largement plus marquée en Amérique latine et en Europe de l’Est et a entrainé des durcissements monétaires parfois brutaux dans certains pays. Cette accélération de l’inflation un peu partout dans le monde a été jusqu’à présent plus contenue en Asie. En effet, les prix des céréales, des légumes et du riz sont restés relativement modérés en Asie en 2021. Sur la zone, en moyenne, la demande intérieure a été moins soutenue, en raison d’un soutien budgétaire plus faible et de mesures de restriction d’activité plus fortes. De plus, les devises des pays asiatiques sont restées plus stables que dans les autres zones émergentes. Pour finir, la proportion de prix administrés notamment dans l’énergie est importante. La nouvelle flambée des prix des matières premières liée au conflit ukrainien va affecter l’ensemble des zones émergentes et se traduire par une accélération de l’inflation, y compris vraisemblablement en Asie. Le poids de l’énergie, mais aussi et surtout de l’alimentaire dans le panier de consommation moyen des pays émergents est un élément aggravant.

Le troisième effet de cette crise ukrainienne relève plus spécifiquement de la contagion financière. En effet, le retour violent de l’aversion au risque n’est jamais favorable aux actifs émergents, si on observe les expériences passées. Au-delà de la chute de l’ensemble des actifs financiers russes, certaines situations particulières, notamment celle de la Turquie dont les choix de politique économique peu orthodoxes ont conduit les investisseurs à une certaine défiance depuis quelques mois, ne manqueront pas d’être exacerbées dans un tel contexte.

Il existait, avant le déclenchement de la crise ukrainienne, certains arguments qui plaidaient pour reprendre quelques positions sur les marchés actions émergents. Parmi eux, un niveau de valorisation des marchés plus bas en relatif par rapport aux marchés actions des pays développés. Les attentes en matière de croissance des bénéfices sont élevées en Asie pour 2022, en partie portées par le cycle des semi- conducteurs. Par ailleurs, l’assouplissement monétaire en Chine est historiquement un catalyseur pour les marchés actions émergents. Les « deux sessions » mettent de plus l’accent sur la stabilisation de la croissance autour de 5,5 % pour 2022, avec l’aide d’une politique budgétaire plus accommodante. Dans le contexte actuel qui devrait se traduire par une normalisation monétaire accélérée dans la plupart des pays émergents, l’orientation économique de la Chine, qui n’a pas de tensions inflationnistes doit donc être soulignée. Il n’en demeure pas moins que la question de la régulation en Chine restera présente, même si l’on peut espérer une petite accalmie jusqu’au XXème Congrès du Parti communiste en octobre.

Mais il est clair que cette crise ukrainienne va avoir des répercussions sur les pays émergents, avec au premier chef les économies d’Europe de l’Est, dont la chute des devises observée sur les derniers jours en est une illustration. Les pays d’Amérique latine semblent pour le moment mieux résister, bénéficiant de leur statut de pays exportateurs de matières premières. Attention toutefois à garder en mémoire l’impact inflationniste de cette crise sur des pays d’ores et déjà en net durcissement monétaire pesant sur la demande intérieure. De plus, les pays producteurs de matières premières ont une faible pondération dans les indices actions émergents. Ainsi, la Chine, la Corée, Taiwan et l’Inde représentent 75 % de l’indice MSCI Emerging et sont globalement importateurs nets de matières premières ; certains pourraient enregistrer une dégradation de leur balance courante. Au total, un environnement qui va rester compliqué et qui invite à la prudence.

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