
La dynamique des fonds de fonds en Europe illustre une transformation en profondeur du paysage de l’investissement collectif. Alors que ces véhicules financiers représentent aujourd’hui un marché de plus de 1 100 milliards d’euros d’actifs sous gestion, leur composition, leur tarification et leurs stratégies évoluent rapidement, dictées par de nouvelles exigences des investisseurs, une pression réglementaire accrue et une concurrence exacerbée. Longtemps perçus comme une solution clé en main pour la diversification, les fonds de fonds font désormais l’objet d’un arbitrage plus rigoureux, notamment sur les frais. Des tendances majeures se dessinent : essor des approches passives, montée en puissance du Royaume-Uni, succès croissant de certains gestionnaires comme Vanguard et rejet progressif des frais à double étage.
Selon Bruno Boggiani, CEO de Strateggyz – Green Finance : « Le marché européen des fonds de fonds n’échappe pas à la vague de rationalisation qui touche l’ensemble de la gestion d’actifs. Ce qui fait aujourd’hui la différence, ce n’est plus seulement la performance brute, mais le rapport qualité/prix, la transparence et l’alignement avec les préférences ESG des investisseurs. ».
L’article suivant est basé sur une étude Morningstar.
Un marché massif piloté par les fonds d’allocation
Les fonds d’allocation dominent nettement l’univers des fonds de fonds en Europe, représentant environ 76 % des actifs totaux. Cette catégorie séduit par sa capacité à combiner différentes classes d’actifs – actions, obligations, liquidités, voire actifs alternatifs – dans un seul et même portefeuille. L’objectif est clair : offrir une exposition diversifiée qui s’adapte à différents profils de risque, tout en déchargeant l’investisseur de la sélection individuelle des supports sous-jacents.
En parallèle, les fonds concentrés sur une seule classe d’actifs, notamment les fonds actions (178 milliards d’euros) et obligations (57 milliards d’euros), continuent d’attirer une part significative des encours. Les fonds alternatifs et monétaires, bien que minoritaires, témoignent d’une tendance croissante, notamment en période de volatilité accrue ou de recherche de placements très liquides. Les flux récents illustrent ce phénomène : après un essoufflement général du marché en 2022, l’année 2023 a vu un regain d’intérêt pour les stratégies alternatives, tandis que 2024 marque un retour en force des fonds monétaires.
Le royaume-uni, bastion historique et moteur de croissance
Le Royaume-Uni s’impose comme la place forte des fonds de fonds en Europe. Avec 343 milliards d’euros d’actifs, il concentre à lui seul près d’un tiers du marché. Cette domination s’explique par une tradition bien ancrée dans la culture financière britannique, mais aussi par un écosystème particulièrement compétitif et régulé.
Contrairement au reste de l’Europe, qui a connu des sorties de capitaux significatives (plus de 30 milliards d’euros depuis 2023), le marché britannique a maintenu une dynamique positive, notamment en 2023 et 2024. Ce contraste reflète non seulement une plus grande maturité du marché UK, mais aussi une capacité à s’adapter rapidement aux attentes des investisseurs, particulièrement sensibles à la structure des coûts et à la transparence.
Luxembourg, en tant que hub de domiciliation transfrontalier, occupe la deuxième place avec 191 milliards d’euros, suivi de la Suisse (88 milliards), la France (84 milliards), la Suède et l’Irlande. Toutefois, seul le Royaume-Uni affiche une véritable dynamique de croissance sur la période récente.
Une guerre des frais qui redessine le paysage concurrentiel
L’un des faits marquants de ces dernières années est la chute généralisée des frais de gestion, sous la pression des régulateurs, des plateformes de distribution et des investisseurs institutionnels. Cette tendance est particulièrement marquée au Royaume-Uni, où les frais moyens sur les fonds d’allocation tournent autour de 0,86 %, contre 1,64 % pour leurs équivalents en euros.
Cette réduction drastique s’explique par une concurrence plus rude, une gamme plus large de produits à faible coût (notamment les ETF) et une vigilance accrue des conseillers financiers, souvent soumis à des règles strictes sur la transparence et l’intérêt client. En comparaison, les fonds actifs traditionnels en Europe souffrent encore d’une structure de frais plus lourde, souvent jugée injustifiée au regard de leur performance nette.
Les données montrent que les fonds dont les frais dépassent 0,96 % sous-performent systématiquement leur catégorie sur une base glissante de trois ans, tandis que les stratégies plus économiques se positionnent en tête des rendements ajustés au risque.
La montée irrésistible des modèles passifs et hybrides
Le succès croissant des portefeuilles passifs, souvent incarnés par les gammes « LifeStrategy » de Vanguard, témoigne d’un changement de paradigme. Ces fonds de fonds investissent exclusivement dans des fonds indiciels à faible coût, tout en adoptant une allocation active des poids d’actifs. Résultat : une structure simple, des frais très bas (autour de 0,22 %) et une performance stable, ce qui en fait des produits phares pour les investisseurs long terme.
Mais au-delà du tout-passif, les modèles hybrides gagnent du terrain. Ils allient une base de fonds indiciels (beta bon marché) à une sélection ciblée de stratégies actives. Cette approche permet d’optimiser le rapport coût-valeur, en captant la performance là où elle est potentiellement génératrice d’alpha, tout en gardant les frais sous contrôle. Ce modèle séduit particulièrement les investisseurs institutionnels et les gestionnaires de fortune, soucieux de conjuguer contrôle des risques et opportunités de croissance.
La concentration du marché autour d’acteurs clés
Le marché européen des fonds de fonds se concentre autour de quelques grands gestionnaires, qui cumulent près de 30 % des actifs sous gestion. Vanguard, leader incontesté, gère à lui seul 57 milliards d’euros, suivi de près par UBS (52 milliards), BNP Paribas (32 milliards), DWS (31 milliards), HSBC et Handelsbanken (30 milliards chacun).
Vanguard s’impose non seulement par la taille, mais aussi par la croissance : +32 milliards d’euros en cinq ans, grâce à une offre claire, transparente et économiquement attractive. Cette trajectoire est emblématique du basculement vers les solutions passives et les frais compressés. D’autres acteurs comme BlackRock (+22 milliards) et RBS (+20 milliards) affichent également une dynamique solide, portée par leur savoir-faire technique et leur puissance de distribution.
Les fonds les plus populaires : entre accessibilité, durabilité et diversification
Parmi les fonds de fonds les plus plébiscités, on retrouve les quatre versions du Vanguard LifeStrategy (40 %, 60 %, 80 % et 100 % d’actions), qui répondent à des profils de risque variés avec une logique commune : simplicité, faibles coûts, allocation stratégique.
D’autres produits se distinguent sur des segments spécifiques. Le LGT CP Premium Strategy GIM s’adresse aux investisseurs institutionnels avec une structure multigestion sophistiquée. Le Mercer Diversified Growth Fund suit une approche diversifiée pour accompagner les régimes de retraite ou grandes entreprises.
Le BNPPF Private Sustainable Balanced montre l’intérêt croissant pour les solutions intégrant les critères ESG, tandis que des fonds comme Amundi Tréso Diversifiée (obligations très court terme) ou UBS IF3 RE Suisse (immobilier indirect) répondent à des objectifs plus spécifiques de prudence ou d’exposition sectorielle.
Vers une sélection plus fine et exigeante des fonds de fonds
Les analyses de performance, croisées avec la structure de coûts, démontrent une corrélation forte entre efficacité tarifaire et résultats obtenus. Les fonds avec une forte composante indicielle dominent les classements sur la base du rendement net, confirmant la pertinence du choix passif dans de nombreux cas.
Mais attention : certains fonds à haute exposition passive pratiquent encore des frais élevés, traduisant parfois un manque d’optimisation opérationnelle, une obsolescence commerciale ou un mauvais alignement avec les attentes des clients. L’exigence croissante en matière de transparence et de justification des frais pousse l’industrie vers plus d’équité tarifaire.
Conclusion : une industrie en mutation, entre compression des marges et innovation stratégique
Le marché européen des fonds de fonds vit une mutation profonde. Porté historiquement par la promesse de diversification clé en main, il est aujourd’hui challengé par des impératifs de compétitivité, de transparence et de personnalisation. Le succès des offres passives à bas coût, l’émergence de modèles hybrides, la montée de la durabilité et l’arbitrage rigoureux sur les frais redéfinissent les règles du jeu.
Comme le souligne Bruno Boggiani : « Le fonds de fonds de demain ne sera pas nécessairement celui qui promet le plus de rendement, mais celui qui propose une allocation robuste, un cadre clair, des frais maîtrisés et une vraie lisibilité. »
L’heure est donc à la transformation. Et dans cette course à l’optimisation, seuls les gestionnaires capables d’innover sans renier les fondamentaux de la gestion rigoureuse tireront leur épingle du jeu.
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