Par Sylvie Malécot,
Président de Millenium I-Research
Le 7 mars dernier, Parlement et Conseil européens ont trouvé un accord de principe, qui légitime l’obligation pour les professionnels de la finance d’expliquer à leurs clients les risques et les opportunités dus à l’intégration des dimensions Environnementales, Sociales et de Gouvernance (ESG) dans leur gestion financière. L’objectif premier est d’améliorer la transparence et la formalisation des informations non-financières publiées par l’ensemble des acteurs économiques (entreprises et investisseurs).
Cette mesure fait écho au rapport ESG-Climat, résultant de l’Article 173-6 de la Loi relative à la Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV), auquel se soumettent entreprises, sociétés de gestion et investisseurs institutionnels français depuis trois exercices comptables.
L’accord européen semble aller plus loin que l’initiative française, puisqu’il inclut la publication, par certaines entreprises au-delà d’un seuil de chiffre d’affaires, d’informations sur l’usage de scénarios énergétiques et/ ou climatiques, dont un scénario 2°C, pour gérer leur risque « climat ».
Cette disposition sur le reporting est l’une des trois propositions législatives du Plan d’Action sur la Finance Durable adopté par la Commission Européenne en mars 2018. Les orientations retenues font suite à la publication en janvier 2019 par la Commission Européenne d’un document de réflexion sur la façon dont l’Union Européenne pourrait atteindre les objectifs de développement durable d’ici 2030.
Dans le paragraphe introductif du Plan d’action, la Commission insiste sur les bouleversements auxquels les pays européens, entre autres, seront exposés s’ils demeuraient inactifs, en faisant notamment référence aux limites physiques de l’environnement : « Confrontés aux conséquences catastrophiques et imprévisibles de plus en plus nombreuses du changement climatique et de l’épuisement des ressources, les pouvoirs publics doivent agir de toute urgence pour adapter leurs politiques à cette nouvelle réalité ».
Outre le reporting, les deux autres propositions concernent la taxonomie, projet de définition commune à tous les Européens de ce qui est durable ou pas, et la création d’outils de mesure de la performance financière adaptés. Le groupe technique d’experts qui travaille depuis juin 2018 sur les trois sujets a publié plusieurs travaux et finalise en outre une proposition de standard européen pour les Green Bonds.
La taxonomie en cours de réalisation est une étape essentielle : il s’agit de construire un système de classification commun aux pays de l’Union Européenne, qui devrait permettre d’identifier quels secteurs d’activité peuvent être considérés comme « durables » par des investisseurs. L’objectif est d’assurer la qualité, la comparabilité et la fiabilité des produits financiers associés aux investissements dans des secteurs durables et de faciliter de tels investissements.
Pour être efficiente, la taxonomie ne doit être ni un mandat qui fixe les secteurs dans lesquels on doit investir, ni un standard imposé, ni une liste d’exclusions. Elle ne doit pas viser à harmoniser les pratiques actuelles de marché et les stratégies d’investissement en fonction d’une vision unique de la finance durable : une telle approche ne contribuerait qu’à orienter les capitaux sur certains secteurs, ou certains actifs, identifiés comme « green », et à alimenter des bulles financières… qui finissent toujours par éclater.
De très loin, les risques associés au changement climatique, physiques et de transition, sont reconnus comme les plus urgents et sont prioritairement traités dans le cadre de l’élaboration de la taxonomie des activités durables. Celle-ci intègre donc l’ensemble des secteurs économiques qui contribuent substantiellement aux objectifs environnementaux, qualifiés de « green ».
Néanmoins, il est important de préciser que ne pas appartenir à la liste définie ne classifie pas pour autant une activité de « brown ». En fait, les secteurs non retenus peuvent contribuer positivement aux enjeux climatiques, mais de manière marginale, ou tout simplement avoir un impact neutre. Pour s’inscrire dans une vision dynamique, la taxonomie doit également s’intéresser aux secteurs qui ont aujourd’hui un impact négatif, sont reconnus comme pollueurs, mais sont sur le chemin vert de la rédemption, en faisant les choix stratégiques visant à réduire significativement leur impact négatif.
Au-delà des politiques, les régulateurs européens regardent également avec attention les enjeux extra-financiers dans la gestion d’actifs. En décembre dernier ESMA et EIOPA ont lancé une consultation sur l’intégration de critères ESG au sein des Directives UCITS, AIFM et MIFID 2. Des consultations sont en cours chez les assureurs européens pour la prise en compte de critères ESG dans le modèle de risque de Solvabilité II, et chez les fonds de pension pour la Directive IORP.
Les banques centrales prennent également part au débat. Au “One Planet Summit” de Paris en décembre 2017, huit banques centrales et superviseurs ont créé le Network of Central Banks and Supervisors for Greening the Financial System (NGFS). Depuis, le NGFS s’est agrandi à 30 membres et 5 observateurs, représentant les cinq continents. Le NGFS vise à présenter des éléments d’une réponse globale pour respecter les Accords de Paris sur le climat. L’autre objectif est d’inciter les acteurs du système financier à gérer les risques climatiques, et à mobiliser des capitaux en faveur d’investissements verts ou bas-carbone. Le NGFS a publié en octobre 2018 sont premier Progress Report, synthétisant les premières analyses et précisant les prochaines étapes de son action.
L’ambition des autorités nationales et européennes est d’orienter les flux financiers vers les investissements jugés nécessaires pour favoriser le développement durable.
Le Président français, Emmanuel Macron, avait insisté, dans son discours du 22 mars 2018 à Bruxelles, sur la nécessité de réaliser les investissements nécessaires à la transition énergétique en s’appuyant sur un système financier européen pro-climat et sur le besoin d’une meilleure prise en compte des « objectifs de soutenabilité » par les acteurs financiers.
Les enjeux, tant politiques qu’économiques, sont énormes : pour respecter la limitation de 2 degrés de réchauffement climatique prévue par les Accords de Paris, les seuls secteurs des transports, de l’énergie, del’eau et des déchets ont besoins chaque année de 180 milliards d’euros au sein de l’Union Européenne, en plus des budgets publics mobilisés. D’où l’impérieuse nécessité de mobiliser les acteurs privés.
Par leur rôle d’investisseurs de long terme, les institutionnels contribuent à la promotion d’une croissance durable. Les enjeux ESG sont désormais une dimension transversale de la gestion de portefeuilles. En donnant un cadre, régulateurs et superviseurs veulent apporter transparence et consistance aux méthodes d’analyse et de calcul, et aux informations produites, avant tout pour limiter et réduire le risque systémique lié à l’extra-financier, et particulièrement au climat. Compte-tenu des enjeux sociétaux et de l’urgence climatique, la convergence européenne est indispensable pour mobiliser les investissements nécessaires.
1. https://www.caceis.com/fileadmin/documents/pdf/Regulatory-Environment/ESG/Commission_Europeenn_GB_Financer_la_croissance_durable.pdf
2. https://www.banque-france.fr/sites/default/files/media/2018/10/11/818366-ngfs-first-progress-report-20181011.pdf