Depuis le début de cette crise sanitaire, les problèmes inattendus et souvent inexpliqués s’ enchaînent et remettent en question l’organisation de multiples instances : l’humain et le social ont-ils toujours la place qu’ils méritent aujourd’hui ? C’est une thématique sur laquelle s’est penchée Ophélie Mortier, responsable de stratégie ISR chez Degroof Petercam.
La situation déplorable du manque de masques sanitaires pour le personnel soignant et autres travailleurs exposés montre la vulnérabilité des chaines d’approvisionnement et le risque de concentration de ces dernières dans un pays. Il y a plusieurs années, un rapport de recherche sell side ESG avait déjà abordé la problématique de la sous-traitance de la confection des médicaments essentiellement en Chine et en Inde. L’étude traitait principalement la question de la sécurité et de la qualité du produit dans des pays où les contrôles sont moins stricts que dans les pays de l’UE.
Cependant, elle faisait également mention du risque de pénurie de certains médicaments de base. Aujourd’hui la Chine est le producteur principal des ingrédients pharmaceutiques actifs (IPA). Les IPA sont le terme générique pour désigner les composants actifs biologiques qui composent la base des nombreux composants d’un médicament. L’Inde, deuxième grand sous-traitant de l’industrie pharmaceutique, dépend elle-même de la Chine pour plus de 70% de ses besoins en IPA’s afin de produire les médicaments génériques et autres antibiotiques. Les acteurs de l’industrie pharmaceutique sont tenus de déclarer les risques de pénurie potentielle aux autorités internationales comme la FDA aux Etats-Unis. Cependant, les règles sont moins strictes et formelles pour l’équipement médical et conduisent à la situation que nous connaissons aujourd’hui.
En matière d’investissements responsables et durables, la question de la chaîne d’approvisionnement a toujours été au centre des débats mais, il faut le reconnaître, essentiellement d’un autre point de vue : celui du respect des droits humains et des droits du travail dans des secteurs tels que le textile ou les équipements technologiques. La vulnérabilité de la chaîne d’approvisionnement doit être au cœur des débats également pour s’assurer d’anticiper correctement tous les risques futurs. La question de la concentration de la chaîne d’approvisionnement dans un pays doit aussi être traitée.
Ici, l’exemple d’Apple qui entreprend de délocaliser progressivement sa chaîne d’approvisionnement vers l’Inde montre aussi la vulnérabilité d’un tel modèle d’entreprise fondé sur le recours massif à la sous-traitance, notamment pour des secteurs technologiques où le rythme de lancement de nouveaux produits ne doit pas être interrompu ou ralenti.
Cependant, ne soyons pas naïfs : la volonté d’Apple est d’une part de réduire sa dépendance à la Chine, mais aussi de délocaliser vers l’Inde où la main d’œuvre reste moins coûteuse que chez son voisin chinois.
Le bouleversement créé par le COVID 19 remet sur le devant de la scène l’importance du pilier Social en matière d’investissements durables et responsables. La gestion du capital humain reste un élément essentiel de toute analyse ESG d’une entreprise. Les mesures d’accompagnement prises actuellement par les entreprises, en fonction de leurs secteurs, leurs réglementations, les confinements imposés ou pas, sont des décisions de court-terme qui pourront avoir de fortes répercussions à long-terme. Les employés comme les consommateurs seront attentifs et sensibles aux moyens mis en œuvre par leur entreprise pour répondre à l’interruption des activités et à l’ébranlement économique. Ces derniers pourraient être des facteurs différenciants importants sur le moyen et long-terme pour la satisfaction et la loyauté du personnel comme du consommateur. Les investisseurs devront être attentifs à ces différents critères pour continuer à investir dans les entreprises durables aujourd’hui et pour demain.
Une tribune d’Ophélie Mortier