Alors que Paris prend les rênes du Conseil de l’UE, la directive européenne sur le devoir de vigilance visant à réguler les pratiques des multinationales sur le plan environnemental et social, vient à nouveau de subir un report. Le gouvernement en a fait une des priorités de la PFUE (Présidence française de l’Union européenne) mais l’opposition et les associations dénoncent un manque de volonté.
C’est une directive très attendue qu’Emmanuel Macron a évoqué fin décembre dans les priorités de la présidence française de l’Union européenne (PFUE). “Nous souhaitons faire avancer le devoir de vigilance à l’échelle européenne”, a ainsi fait valoir le chef de l’État. Une telle loi obligerait les entreprises multinationales à assurer une activité de production respectueuse des droits humains et de l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. La France est pionnière en la matière. Mais pour l’instant, la directive patine. “On nous assure que c’est une priorité de la PFUE mais rien ne bouge”, dénonce Juliette Renaud, responsable de campagne “régulation des multinationales” des Amis de la Terre.
Le projet a déjà subi plusieurs reports. La Commission européenne devait en effet proposer un projet de législation cet été, puis à l’automne 2021 et enfin en janvier. Cette fois, l’échéance a été fixée à fin mars 2022. “La directive n’est pas bloquée”, assure l’entourage de la ministre chargée de l’Economie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, “C’est très difficile d’avoir un consensus sur ce sujet”. Et de fait, la France a elle-même mis plus de trois ans a accouché d’une loi. Cette fois, ce sont 27 pays qui doivent s’accorder sur un texte ambitieux. Paris n’est pas seul. Plusieurs pays, une petite dizaine désormais, ont adopté des lois nationales en ce sens.
“Il faut passer des paroles aux actes”
Si le gouvernement Castex assure que l’objectif est de faire avancer le projet pendant la PFUE, les associations sont dubitatives. “L’arrivée de Thierry Breton dans les négociations n’a clairement pas aidé”, estime Juliette Renaud. Auparavant, seul le commissaire à la Justice, Didier Reynders, portait ce dossier mais il a été rejoint par le commissaire européen au marché intérieur. “Il est clairement plus à l’écoute des entreprises”, ajoute-t-elle.
En décembre, l’European Coalition for Corporate Justice a envoyé une lettre à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, expliquant que ce troisième report inexpliqué risquait “de saper la confiance que les citoyens, la société civile et les victimes d’abus des entreprises ont placée dans l’UE pour promouvoir des entreprises durables et responsables à la suite de la pandémie de Covid, de la crise du climat et de la biodiversité”. Pour l’eurodéputée Manon Aubry, présidente du groupe de la gauche à Bruxelles, il est temps de “passer des paroles aux actes”. “L’Union européenne doit s’engager, elle donne des leçons sur la RSE, condamne le sort des Ouïghours en Chine mais elle manque de volonté ferme et forte”, estime-t-elle. D’où l’importance que la France porte ce sujet et accélère le mouvement.
Une résolution française visant à inscrire l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales parmi les priorités de la présidence française du Conseil de l’UE a d’ailleurs été adopté, sous l’impulsion des députés socialiste Dominique Potier et LREM Mireille Clapot. “Le moment est on ne peut plus opportun pour que la France (…) fasse entendre sa voix. Une voix qui dise notre détermination à faire adopter une directive ambitieuse et remettre en lumière les principes fondamentaux de la loi française”, font valoir les députés.