Publication du rapport final HLEG : des réactions mitigées

Le tant attendu rapport final du groupe d’experts à haut niveau sur la finance durable HLEG (High Level Expert Group on Sustainable Finance), qui assiste la Commission européenne dans sa stratégie pour une finance durable, a été rendu public le 29 janvier dernier.

Reconnu comme ambitieux par les principales associations de défense de l’environnement, plusieurs recommandations tentent une petite révolution dans le monde de la finance que certains investisseurs voient d’un mauvais œil.

L’Europe modèle d’une finance responsable et durable

Le rapport final publié est la prolongation du rapport intérimaire publié l’été dernier. Si certains critiquent son manque de nouveaux points par rapport à sa version antérieure, il représente cependant un rapport majeur pour diverses raisons.

  • D’abord il donne une vue systématique des changements urgents nécessaires pour une finance au service de la transition énergétique, dans un scénario de limitation de réchauffement climatique à 2°.
  • Ensuite, il est le fruit du travail d’un comité d’experts émanant directement des plus hautes instances de gouvernance de la Commission européenne. Ce comité regroupe de hauts spécialistes de différentes formations, expertises et nationalités afin de représenter les différentes parties prenantes, société civile et investisseurs inclus.
  • Enfin, prise individuellement, chaque recommandation peut sembler basée sur des idées déjà connues et peu révolutionnaires. Cependant, dans son ensemble et non isolé, ce rapport constitue une feuille de route puissante et ambitieuse.
Quatre dimensions pour un rapport éminent

Les recommandations se structurent selon quatre dimensions principales :

  • Recommandations prioritaires : visent à identifier les points d’action les plus pressants.
  • Transversales : s’attaquent aux problématiques structurelles.
  • Spécifiques aux différents acteurs : visent chaque profil propre des protagonistes du secteur financer soit les investisseurs, mais aussi les banques, les banques d’investissement, les consultants, les marchés de capitaux et centre financiers ainsi que les agences de notation de crédit et de notation extra-financière.
  • Recommandations de durabilité sociale et environnementale : sont davantage ciblées vers des sujets spécifiquement sociaux ou environnementaux tels que les ressources terrestres ou marines.

Les recommandations prioritaires, sans entrer dans les détails, incluent principalement :
1. L’obligation fiduciaire de l’investisseur de reconnaitre les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance comme critiques dans la gestion ;
2. L’adoption d’une taxonomie des investissements durables, c’est-à-dire développer et implémenter des standards de durabilité officiels au niveau européen ;
3. L’optimisation de l’alignement de la culture d’entreprise du secteur financier avec une vision long-terme ;
4. Le soutien financier à l’infrastructure durable.

« One size does not fit all »

Ces différentes recommandations on fait face à un accueil mitigé.

Trois grandes associations représentant des investisseurs institutionnels majeurs – PensionsEurope, l’association pan-européenne des fonds de pension, Aba, l’association des fonds de pension en Allemagne et enfin la fédération des pensions aux Pays-Bas – refusent des règles et des mesures prescrites par une loi sur la question de l’investissement responsable. La question des différences culturelles et des valeurs propres à chaque secteur d’activités et son fonds de pension doit être laissée au libre arbitre du fonds de pension lui-même. Evoquant le principe du « One size does not fit all », ils s’opposent à une réglementation imposant des considérations de valeurs au risque de mettre en péril leurs capacités à remplir leur premier devoir : le paiement des pensions promises à leurs travailleurs.

De son côté, l’ONG WWF applaudit le travail du groupe de hauts experts, en particulier :

  • l’obligation de reporting climat d’ici 2020
  • faire des enjeux de soutenabilité une responsabilité juridique des investisseurs
  • l’obligation de consultation des individus sur leurs préférences ESG d’investissement
  • l’intégration du scénario climatique dans les indices utilisés par les produits financiers.
Enjeux et étapes suivantes

La stratégie de finance responsable et durable sera mis en place par la Commission européenne. Elle s’entoure pour cela des experts de différents horizons et profils pour lui conférer la crédibilité auprès des différentes parties prenantes.

De plus, elle s’engage sur un plan d’action défini et concret et respecte jusqu’ici son échéancier. Elle doit d’ailleurs revenir avec un plan d’action sur base des recommandations du rapport final d’ici le 7 mars prochain.

L’enjeu réside évidemment dans la puissance des mesures qu’elle préconisera dans son plan d’action ainsi que l’outil utilisé pour une implémentation dans la réglementation nationale (Directive, Règlement, Décision, etc.).

Les investisseurs institutionnels ont sans doute raison de s’inquiéter des mesures prescriptives que pourrait adopter la Commission européenne si celles-ci conduisent essentiellement à des obligations de reporting et de publication au nom du sacro-saint engagement et de la transparence. Si la taxonomie des approches durables est définitivement nécessaire pour clarifier les pratiques du marché et protéger les investisseurs, l’obtention d’un label ou d’une reconnaissance d’adoption de standards spécifiques peut vite s’associer à un business alléchant d’accessibilité variable entre les différents acteurs du marché.

Le rôle d’un fonds de pension est en effet d’assurer le paiement des pensions à ses membres affiliés sous toutes les conditions de marché ; les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance devant être pris en compte dans les aléas de ces marchés. Cependant est-il bien réaliste de consulter l’avis de chaque affilié sur ses préférences ESG alors que pour l’un l’énergie nucléaire sera par exemple totalement incompatible avec une vision durable et responsable alors que pour l’autre l’utilisation de charbon sera un facteur inacceptable ?

Un financement unique et exclusif

Ensuite, il y a lieu également de s’inquiéter d’un mouvement unique d’investissement dans une seule direction massive. Il est important de financer la transition énergétique. Par contre, le financement unique et exclusif d’un modèle économique à l’antithèse de celui d’aujourd’hui comporte des risques importants pour la soutenabilité économique et sociale. Il y a urgence climatique et les mesures prises doivent être à la hauteur de l’urgence. Cependant, les enjeux majeurs, sociaux notamment ne peuvent être pris séparément au changement climatique.

Les associations de fonds de pension ont sans doute raison de regarder attentivement le rapport du groupe d’experts. Ce dernier, tout comme les recommandations du groupe de travail sur les publications financières relatives au climat (TCFD – Task Force on Climate-related Financial Disclosures) auquel il fait d’ailleurs maintes fois référence, pourrait constituer un changement de paradigme dans la manière d’investir jusqu’ici.

Une réelle avancée

C’est sans doute la raison de la réjouissance des défenseurs du climat tels que le WWF. L’intégration du scénario climatique dans les indices utilisés par les produits financiers devrait constituer une réelle avancée. C’est en effet là aussi que réside l’enjeu pour demain. D’une part avec l’engouement des fonds indiciels et de la gestion passive ces dernières années, ces indices captent des moyens de financement gigantesques. D’autre part, aujourd’hui, ils ignorent ou intègrent peu les enjeux majeurs du changement climatique et sous-estiment leur véritable impact économique et matériel.

Le défi est donc considérable pour la Commission européenne de trouver ce difficile équilibre entre d’une part, le besoin criant de standardisation d’un secteur passé du statut de niche d’investissement à celui de réponse aux urgences environnementales à adopter massivement et d’autre part, les effets non désirés d’une réglementation trop fermée et peu flexible. Celle-ci risque de mener à un système de procédures, de charges administratives et de reporting en tout genre n’ayant qu’un faible impact positif mesurable sur l’environnement qui nous entoure. Pour rappel, il s’agit de trouver près de 180 milliards d’euros par an pour financer le programme européen de développement durable à l’horizon 2030 !

Pour poursuivre sur la route d’un financement plus responsable au service de l’activité économique, la fenêtre d’opportunités est bien ouverte. Mais elle comporte aussi de nombreuses embûches auxquelles la Commission européenne devra rester attentive à tout instant.