Que savons-nous aujourd’hui des effets économiques du télétravail ?

Le télétravail, très minoritaire en France avant la crise du covid, s’est largement accru durant le confinement du printemps 2020 et a contribué à favoriser la continuité de l’activité économique, concernant entre 25 et 44 % des travailleurs Français selon les enquêtes. Il a été pratiqué dans des conditions très particulières liées à la crise sanitaire, essentiellement par les cadres (66 % d’entre eux) et concentré dans certains métiers.

La littérature économique n’est pas univoque sur l’impact du télétravail sur la productivité. Il dépend de nombreux facteurs : les conditions de sa mise en place (outils, formation des télétravailleurs et de leurs managers) ;
l’organisation du travail dans l’entreprise et du type de management (autonomie du salarié, valorisation du résultat plutôt que de la présence, capacité d’adaptation du management) ; les caractéristiques de chaque métier (degré d’interdépendance à d’autres tâches, caractère créatif ou non des tâches, autonomie). À plus long terme et au-delà de la crise sanitaire, le télétravail a aussi des effets sur les conditions d’appariement sur le marché du travail, l’organisation de l’espace et l’environnement. Leur quantification est rendue difficile par la présence d’effets multiples et parfois contraires, mais ils ne peuvent être ignorés, car une forte diffusion du télétravail aurait des effets agrégés bien plus profonds sur la seule évolution de l’organisation du travail. Hors période de crise, le cadre juridique existant en matière de télétravail semble suffisamment souple pour permettre une plus grande diffusion de cette pratique, aspiration d’une part croissante de salariés et d’entreprises. Mais le dialogue social en entreprise constitue un levier essentiel pour mettre en place le télétravail dans de bonnes conditions, adaptées aux spécificités de l’entreprise.

Le télétravail, s’est fortement développé durant la crise sanitaire pour certaines catégories d’emplois

En France en 2017, seuls 3 % des salariés pratiquaient le télétravail de manière régulière selon la DARES (c’est-à-dire au moins un jour par semaine). Même en intégrant les télétravailleurs plus occasionnels, leur part en France n’était que de 7 %. La France se situerait un peu au-dessus de la moyenne européenne (5 %) d’après Eurostat, mais en dessous des Pays-Bas (14 %) ou de la Finlande (13 %). Le recours au télétravail varie davantage selon les métiers et les catégories socio-professionnelles des
travailleurs que selon les secteurs. Ainsi, en France, les télétravailleurs réguliers étaient pour 61 % des cadres. En termes de métiers, les cadres commerciaux et les ingénieurs informaticiens dominent (avec
respectivement 16 % et 14 % de télétravailleurs réguliers). Certains métiers sont inadaptés au télétravail, dans le secteur de l’agriculture, de la
construction de l’hôtellerie-restauration et celui des services à la personne. Plus largement, la littérature économique indique que le réservoir des emplois pouvant faire l’objet d’un télétravail intégral ne concerne qu’une partie des métiers – environ 37 % des travailleurs en France, même si d’autres métiers pourraient être télétravaillés en partie. Les pays où le télétravail a été le plus utilisé pendant le confinement sont aussi ceux où les citoyens ont eu le moins peur de perdre leur emploi à cause de la crise
économique (cf. Graphique 1). La causalité n’est pas évidente, si la sécurité de l’emploi peut favoriser le télétravail, dans le contexte du confinement, la mise en place du télétravail généralisé a pu aussi permettre aux entreprises de continuer leur activité tout en évitant les contaminations sur le lieu de travail ou dans les transports, et ainsi atténuer son coût économique. Une
étude allemande rapporte que les comtés et secteurs où le télétravail a le plus augmenté pendant le confinement sont aussi ceux où il y a eu le moins
d’emplois détruits et le moins de contaminations.

Les conditions sous-optimales du télétravail durant la crise sanitaire n’empêchent pas certains salariés de souhaiter le poursuivre après la crise

Durant la crise sanitaire, le recours au télétravail a beaucoup augmenté, avec, selon les études, entre 25 % (Acemo Covid Mai 2020) et 44 % (EpiCOV) des salariés concernés lors du confinement, et ce de manière différenciée selon les Catégories Socio- Professionnelles (cf. Graphique en première page) et secteurs. Le télétravail a été mis en place dans l’urgence pendant
le confinement, et dans des conditions particulières (télétravail à temps plein, absence de solution de garde des enfants, impréparation etc.). Surtout, il a pu être imposé sans l’accord des salariés, avec la présence
simultanée au foyer d’autres membres du ménage (conjoint, enfants) ce qui a certainement contribué à renforcer le brouillage de la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Les femmes ont été particulièrement affectées par cette situation : elles ont été moins nombreuses que les hommes à disposer d’une pièce dédiée pour télétravailler durant le confinement (25 % contre 41 % pour les hommes).
Même si les données sont parcellaires, certaines enquêtes laissent penser que certains salariés souhaitent continuer à télétravailler après la crise
sanitaire (pour environ trois quart d’entre eux). Ces données sont toutefois à prendre avec précaution car elles pourraient également refléter une crainte vis-à-vis du retour au bureau pour des raisons sanitaires. Dès
juillet et août, les enquêtes françaises estimaient par ailleurs que seulement 10 % des salariés français télétravaillaient encore. Il semble toutefois que la
poursuite effective du télétravail après la fin du confinement diffère selon les pays. Une enquête d’août suggère le retour au télétravail a été plus important en Europe continentale qu’au Royaume-Uni. L’exception
britannique pourrait s’expliquer par la durée plus longue du confinement mais aussi la nature différente des emplois occupés.

À court terme, les effets économiques du télétravail dépendraient
largement des conditions dans lesquelles il s’exerce

L’impact du télétravail sur la qualité de vie au travail est ambigu. Le télétravail est synonyme d’une autonomie accrue (le télétravailleur peut davantage organiser son travail en fonction de ses préférences), mais il induit un risque d’isolement associé à un plus faible niveau d’interactions sociales. Le télétravail apporte une flexibilité qui peut permettre de mieux concilier vie privée et vie professionnelle, mais qui peut aussi brouiller les frontières entre les deux. Le télétravail à domicile favorise l’empiètement
du temps familial sur le temps de travail, mais aussi des horaires de travail plus extrêmes et atypiques pouvant affecter la vie privée. Néanmoins, durant le confinement, on a observé que, dans l’ensemble, les pays où le télétravail a été davantage pratiqué sont aussi ceux où les salariés déclarent avoir eu le moins de mal à concilier vie familiale et vie professionnelle
(cf. graphiques 2 et 3). Cela peut s’expliquer notamment car les télétravailleurs économisent le temps passé dans les transports, un temps gagné qui peut être réinvesti à la fois dans la vie de famille et la vie professionnelle. L’impulsion du top management en faveur de la
conciliation vie privée et vie professionnelle dans le cadre du télétravail est un facteur déterminant. Le télétravail depuis des espaces de travail partagés (coworking) pourrait également contribuer à réduire ces risques. Pour éviter une perte de productivité horaire ou un accroissement des inégalités femmes-hommes, la diffusion du télétravail devrait être accompagnée de la poursuite du développement des différents modes de garde des enfants.