Retour sur les trois ans de l’expertise Net Zero

Le 3 Mars 2023 : Trois ans après leur lancement, Anthony Bailly et Nicolas Racaud, respectivement gérant de R-co 4Change Net Zero Equity Euro et R-co 4Change Net Zero Credit Euro, dressent un premier bilan de ces stratégies singulières dans le vaste monde des “fonds climat”.

L’expertise Net Zero Net Zero ?

Anthony Bailly : Comme son nom le suggère, un “fonds Net Zero” repose sur une stratégie d’investissement alignée avec l’objectif Net Zero et vise une réduction continue des émissions de gaz à effet de serre des sociétés en portefeuille. La sélection de titres doit donc porter sur des acteurs engagés en ce sens. Ces fonds font partie d’une famille de solutions d’investissement focalisées sur les enjeux climatiques, parfois appelées “fonds climat”, dont les stratégies “low carbon sont les principaux représentants. Ces dernières ont pour corolaire d’investir exclusivement dans des secteurs et acteurs peu émetteurs de gaz à effet de serre (logiciels, biens d’équipement, secteur pharmaceutique…). En raison de cette orientation, beaucoup de ces fonds ont un biais croissance marqué. 

Le Net Zero en bref

En 2015, la COP21 entérine l’Accord de Paris avec pour objectif de limiter le réchauffement climatique à un niveau inférieur à 2°C d’ici 2100 par rapport au niveau préindustrielle, en poursuivant les efforts pour la limiter à 1,5°C. Ce plan ambitieux intègre différentes dispositions dont l’objectif “Net Zero” qui induit la baisse continue des émissions anthropiques de gaz à effet de serre dans le but d’approcher un zéro théorique. La première étape consiste à atteindre le plafonnement des émissions, puis à les réduire autant que possible jusqu’en 2050, pour ensuite compenser les émissions résiduelles grâce à différents mécanismes, qu’ils soient naturels ou technologiques.

Nicolas Racaud : Notre démarche prend un peu le contre-pied de ces stratégies. Notre approche vise à encourager les acteurs économiques, notamment les plus émetteurs de gaz à effet de serre, à faire évoluer leurs pratiques pour permettre une transformation structurelle d’envergure. Nous ne nous interdisons donc pas d’investir dans des secteurs généralement exclus en raison de leurs hauts niveau d’émission, mais faisons preuve d’une grande sélectivité.

Pourquoi opter pour une approche de transition ? 

N. R. : Comme nous venons de l’aborder rapidement, une approche de transition consiste à ne pas exclure, a priori, mais plutôt accompagner chaque acteur qui démontre la volonté et la capacité à faire évoluer son modèle économique vers un modèle plus vertueux. Nous sommes convaincus que le potentiel d’impact le plus significatif sur les enjeux climatiques se trouve au niveau des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Cette approche impose néanmoins une grande rigueur d’analyse mais a l’avantage de pouvoir se décliner quelle que soit la classe d’actifs.

A. B. : Actuellement, 86% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial sont concentrées sur cinq secteurs énergie, services aux collectivité, matières premières, chimie et construction). Ne pas y investir reviendrait à dire que l’on peut se passer d’eux ou qu’ils sont incapables de se transformer.  Nous pensons, au contraire, qu’il est essentiel de les accompagner afin qu’ils s’engagent à réduire leurs émissions. Il y a là une vraie opportunité économique car cet enjeu majeur constitue une thématique d’avenir.

Quels sont les piliers de vos stratégies ?

N. R. : Le premier principe consiste à afficher une intensité carbone inférieure de 20% à celle des indices de référence des fonds afin de proposer des solutions d’investissement nécessairement moins “carbonnées” que ces dernier quel que soit le contexte. Ensuite, nous sommes engagés à respecter une baisse de l’intensité carbone des portefeuilles de 7% pour R-co 4Change Net Zero Equity Euro, et de 5% à 7% pour R-co 4Change Net Zero Credit Euro, en moyenne par an. Enfin, nous nous engageons à ce que 90% des sociétés en portefeuille aient fait valider leurs objectifs de réduction de gaz à effet de serre par SBTi à horizon 2030. Par ailleurs, afin d’apprécier la trajectoire des émetteurs qui n’aurait pas encore fait auditer leurs objectifs, nous travaillons avec les données de Carbon4 Finance dont la méthodologie permet d’évaluer la trajectoire carbone des sociétés.

A. B. : Nous définissons également des plans d’engagement ciblés avec les principaux émetteurs et communiquons régulièrement sur nos indicateurs clés. Nous analysons leurs dépenses d’investissement afin de mettre en regard leur ambitions vis-à-vis des moyens associés et ainsi estimer leur crédibilité. Nous avons des échange fréquents et très francs avec les sociétés en portefeuille. Elles peuvent notamment être amenées à nous consulter sur les thématiques sur lesquelles communiquer, les données à fournir mais aussi le niveau de transparence attendu. Nous avons établi des relations de confiance avec certains d’entre eux afin de les accompagner dans leur processus de transition. Peu d’acteurs adoptent notre démarche et notre expertise peut contribuer à alimenter la réflexion stratégique de ces sociétés.

À ce titre, comment le marché intègre-t-il l’enjeu climatique dans les valorisations des entreprises ?

A. B. : Nous sommes intimement convaincus qu’il y a un lien entre la performance financière et la capacité des entreprises à réduire leur intensité carbone. De nombreux acteurs souffrent d’une hausse de leur prime de risque liée aux doutes des investisseurs quant à leur capacité à aborder la transition. Chercher à réduire ses émissions contraint à innover et à développer de nouveaux relais de croissance qui,  à terme, peuvent constituer un avantage concurrentiel propice à la consolidation des parts de marché. Ce cercle vertueux, au-delà de stabiliser le modèle de croissance des entreprises, leur permet de se positionner face à leurs enjeux futurs. On remarque d’ailleurs, parmi les secteurs les plus émetteurs, que les sociétés affichant les plus fortes ambitions et démontrant leur crédibilité commencent à connaître une revalorisation notable. Cette capacité à capter ce potentiel de réappréciation s’inscrit pleinement dans notre stratégie.

N. R. : A contrario, quand un acteur déçoit vis-à-vis de ses engagements, on voit assez rapidement sa liquidité se dégrader et les prix baisser.  De même, lorsque les émetteurs ne tiennent pas leurs trajectoire anticipées ou pire, lorsqu’une controverse émerge. 

Quel bilan faites-vous à l’issue de ces trois ans ?

A. B. : Sur cette période relativement courte, nous avons connu trois contextes exceptionnels. Peu après le lancement des stratégies avec la pandémie de Covid-19 survenue en 2020, très rapidement la plupart des économies ont été mises à l’arrêt. Ensuite, 2021 a été marquée par une “reprise en fanfare”, puis 2022 par le déclenchement du conflit russo-ukrainien et la crise énergétique qui s’en est suivi. Ces événements ont eu un impact fort sur l’activité économique et les chiffres d’affaires. 

N. R. : Nous avons donc assisté à des périodes durant lesquelles on avait l’impression que les chiffres d’affaires chutaient alors que les émissions ne diminuaient pas au même rythme. Un peu comme s’il y avait des niveaux “pollution fixe”, par analogie aux coûts fixes. Pour 2022, on s’attend à une hausse des émissions suite à la réouverture et l’intensification de la production des centrales à charbon sous directive gouvernementale. À voir comment ce ratio va évoluer car l’année n’a pas été catastrophique en ce qui concerne les résultats financiers. L’évolution de l’intensité carbone dans ces contextes incertains peut être difficile à suivre, nous sommes soumis à volatilité des prix et à l’évolution des chiffres d’affaires, souvent liés à des éléments conjoncturels qui ne reflètent pas nécessairement les  efforts mis en oeuvre par les sociétés. Néanmoins, malgré ces turbulences et grâce à nos choix de gestion, nous avons réussi à tenir nos objectifs de réduction de l’intensité carbone des portefeuilles en renforçant, dans le même temps, nos expositions aux secteurs les plus émetteurs.

Quels secteurs ont affiché la meilleure dynamique environnementale depuis le lancement de vos stratégies ?

N. R. : Le secteur des services aux collectivités a affiché la meilleure progression au cours de ces trois dernières années. C’était une forte conviction au lancement des stratégies. À ce moment-là, l’intensité carbone du portefeuille se situait autour de 150, actuellement on se trouve plutôt vers 110. Cela représente près de 30% de baisse et une grande partie incombe à ce secteur en particulier. Néanmoins, la marge de progression est désormais bien plus limitée. À l’avenir, nous serons peut-être amenés à investir dans des secteurs où le potentiel d’amélioration est plus conséquent afin de respecter notre objectif de réduction annuel.

A. B. : C’est exactement la même chose pour le portefeuille actions, avec des acteurs du secteur qui ont divisé leur intensité carbone par deux en trois ans. Au global, le portefeuille est passé d’une intensité carbone légèrement inferieure à 140 à environ 100 désormais. Aussi, fin 2022, nous avons pu intégrer une valeur du secteur des matières premières, dernier secteur fortement émetteur que l’on ne détenait pas en portefeuille en raison de la trop forte intensité carbone de la plupart des acteurs qui nous empêche généralement d’y investir. Il nous paraissait toutefois important de démontrer notre capacité à identifier des acteurs performants sur le plan environnemental dans chacun d’entre eux.

À l’inverse, certains secteurs vous ont-ils déçu ?

A. B. : Je pense au secteur de l’énergie. La baisse a été moins rapide que ce que l’on aurait pu espérer avec une quasi-neutralité sur trois ans. En revanche, on perçoit dans les communications récentes qu’avec les excès de flux de trésorerie disponibles dû au contexte particulier de 2022, une accélération pourrait s’opérer et en faire un des meilleurs contributeurs pour les années à venir.

N. R. : On remarque, en effet, que le processus de transition des certains acteurs pourrait être amené à prendre un peu plus de temps que nous l’avions anticipé, mais le potentiel de rattrapage, aussi bien sur l’intensité carbone que le profil financier continu d’exister.

Quel est votre bilan sur le plan financier ?

A. B. : Sur trois ans, la performance de R-co 4Change Net Zero Equity Euro est pénalisée par le profil plus cyclique du portefeuille par rapport aux autres “fonds climat”. En cela, l’année 2020 s’est révélée particulièrement compliqué. Depuis, notre stratégie s’est démarquée en bénéficiant de son exposition aux secteur délaissés par ces derniers dans un environnement plus propice (hausse des taux, hausse du prix des matières premières…). Le rebond des valeurs cycliques dans le marché européen s’avère particulièrement porteur en ce début d’année. 

N. R. : Le profil assez défensif de R-co 4Change Net Zero Credit Euro a été payant durant la crise de 2020, mais le contexte s’est révélé moins favorable par la suite. En 2022, toutefois, sa moindre sensibilité l’a véritablement avantagé. Dernièrement, nous avons remonté la sensibilité et cherché un surcroît de rendement en intégrant davantage d’obligation High Yield et subordonnées, des choix qui, nous l’espérons, pourraient s’avérer payants en 2023.

Le secteur financier représente une part conséquente de l’exposition de vos portefeuilles, comment l’expliquez-vous ?

A. B. : Nous disposions de bonnes opportunités sur la partie financière, sans embarquer un gros risque au niveau de l’intensité carbone. Il y a globalement une forte pression réglementaire dans le secteur et beaucoup de banques ont pris des engagements et intégré des “initiatives Net Zero”. La dynamique à moyen terme les oblige à rentrer dans des cadres contraignants. Par ailleurs, sur leurs scopes 1 & 2, l’intensité carbone des financières est quasi-nulle et, sur leur scope 3, elles font globalement preuve de transparence. Grâce à l’expertise de nos prestataires de données, nous avons la capacité d’évaluer ce risque potentiel et de l’anticiper.

N. R. : Sur la partie obligataire, cette exposition reflète la structure du marché. Les financières constituent un des secteurs les plus représentés. Hormis les arguments cités précédemment, j’ajouterais que ces acteurs sont également très impliqués dans l’évolution des solutions de financement dédiées aux entreprises, comme le démontre l’évolution de la proportion d’obligation durable dans leur mix de produits et services. Du point de vue financier, elles ont l’avantage d’offrir accès à différents segments du marché, comme les subordonnées, qui offrent un supplément de rendement.

Justement, l’intégration du scope 3 aux calculs d’intensité carbone va-t-il remettre en cause vos positionnements ?

A. B. : L’intégration du scope 3 risque de changer la donne pour bon nombre de “fonds climat”. Néanmoins, le risque nous semble moins important avec notre approche que pour les stratégies “low carbon”, généralement investi dans des secteurs considérés comme “peu émetteurs” uniquement parce que les scope 3, souvent très conséquents, ne sont pas pris en compte. 

N. R. : Depuis le lancement de nos stratégies, nous avons ce paramètre en tête et on cherche à piloter cette donnée. L’intégration des scopes 3 sera un gros changement pour l’industrie mais on dispose d’ores et déjà d’outils qui nous permettent de l’estimer pour l’ensemble des secteurs.

Quelles sont vos perspectives pour les années à venir ?

N. R. : En 2021, nous avons pris un virage important sur l’immobilier, un secteur qui pèse actuellement environ 7% du portefeuille. Nous cherchons notamment à nous positionner sur les thèmes de “l’énergie propre” et du “bâtiment vert”, deux aspects très importants pour la transition. C’est une conviction de long terme même si ces choix nous ont un peu coûté l’an passé dans un contexte de hausse de taux.

A. B. : En dépit de la hausse indéniable des émissions, 2022 était une année de transition vers une plus grande indépendance énergétique. Les plans de soutien, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, permettront de nouveaux investissements et offriront des opportunités. Les sociétés européennes que nous avons en portefeuille sont bien positionnés pour profiter de ce nouveau contexte. Aussi, notre approche nous impose d’avoir une vision en relatif. Nous regardons la dynamique globale et cherchons à identifier les acteurs innovants. Au sein d’un même secteur, les disparités peuvent être conséquentes. Démocratisation des transports collectifs décarbonés, équipementier électrique, isolation… à travers ces exemples on trouve de vraies histoires de transition. Ces mesures mettent du temps à se mettre en place, mais c’est dès à présent que nous devons nous positionner sur ces sociétés. Beaucoup de “spin off” et d’IPO vont animer les marchés dans les années à venir. Il y a un renouvellement constant et, d’ici quelques années, les thématiques de transition peuvent évoluer. Nos portefeuilles sont voués à s’inscrire dans ce mouvement.