Un « plan B » pour faire face au changement climatique

Le 31 Janvier 2023. La revue International Affairs Forum a consacré son édition de mars 2022 au thème « changement climatique et énergie ». Le texte qui suit est la traduction de la contribution de Judith Curry publiée sur son blog le 17 mars 2022.

Par Judith Curry

Le Changement climatique

Le changement climatique est de plus en plus souvent présenté comme une crise, une urgence, une menace existentielle et, plus récemment, « un code rouge pour l’humanité ». C’est le grand récit du réchauffement d’origine humaine considéré comme la principale cause des problèmes qu’affrontent nos sociétés. La seule option qui nous reste pour mettre fin au réchauffement planétaire serait d’arrêter de brûler des combustibles fossiles. Ce sentiment d’urgence restreint les options possibles non seulement pour nos systèmes d’énergie et de transport, mais aussi pour des questions aussi complexes que la santé publique, les ressources en eau, les catastrophes météorologiques et la sécurité nationale.

Qu’est-ce qui ne va pas exactement dans ce grand récit ? Pour dire les choses simplement, nous avons énormément simplifié à la fois le problème du changement climatique et celui de ses solutions. La complexité, l’incertitude, voire l’ambiguïté de nos connaissances existantes sur le changement climatique sont tenues à l’écart des débats politiques et publics. Les dangers du changement climatique d’origine humaine ont été confondus avec la variabilité naturelle du climat. Les solutions qui ont été proposées pour éliminer rapidement les combustibles fossiles sont technologiquement et politiquement irréalisables à l’échelle mondiale.

Comment en sommes-nous arrivés à ce point que, alors que nous sommes censés devoir faire face à une crise à venir majeure, les solutions pour réduire rapidement nos émissions mondiales sont considérées comme pratiquement impossibles à mettre en œuvre ? La raison de ce paradoxe est que nous appréhendons le changement climatique comme un problème simple à résoudre. Le changement climatique serait mieux défini comme étant une « problème épineux », d’une grande complexité présentant des dimensions non seulement difficiles à définir mais aussi changeantes avec le temps. Cet « épineux problème » se caractérise par une résistance au changement et des solutions contradictoires et sous-optimales qui créent des problèmes supplémentaires. Traiter un « épineux problème » comme s’il s’agissait d’un problème simple peut entraîner une situation où le remède serait non seulement inefficace, mais pire que le mal.

Il y a pourtant de bonnes nouvelles dans la science du climat. Des analyses récentes du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) indiquent que les risques majeurs d’un réchauffement climatique causé à la fois par un niveau très élevé d’émissions et par une forte sensibilité climatique, ont diminué et sont désormais considérés comme peu probables, voire inexistants. De plus, les projections climatiques du GIEC négligent la variabilité naturelle du climat, pourtant reconnue comme dominant les climats régionaux sur des échelles de temps annuelles à multi décennales. Enfin, si l’on en croit les modèles climatiques, la réduction des émissions ne fera pas grand-chose pour améliorer le climat du 21e siècle, celle-ci ne produisant ses effets qu’au 22e siècle et même au-delà.

Quelle urgence pour la transition énergétique ?

Sous les auspices de la CCNUCC (Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques), le monde tente d’atteindre l’objectif du « zéro émissions nettes » de carbone d’ici 2050. J’appelle cela « Plan A ». S’appuyant sur le principe de précaution, le « Plan A » est basé sur le présupposé qu’une réduction rapide du CO2 est indispensable pour prévenir un réchauffement dangereux du climat dans le futur.

Malgré les nombreux traités et accords des Nations Unies visant à réduire les émissions au cours des deux dernières décennies, la concentration de CO2 dans l’atmosphère n’a pas cessé d’augmenter. D’ici 2050, les émissions mondiales seront fonction de tout ce que la Chine et l’Inde auront fait …ou pas fait. La feuille de route de l’AIE indique qu’il existe une voie possible mais très étroite pour atteindre l’objectif de « zéro émissions nettes » d’ici 2050, à la double condition que d’une part, nous ayons fait un énorme bond en avant dans l’innovation énergétique, et que d’autre part des efforts majeurs pour construire de nouvelles infrastructures aient été accomplis. D’autres scénarios estiment l’objectif du « zéro émissions nettes » impossible à atteindre d’ici 2050 pour des raisons tant sociales que technologiques.

Des cris d’alarme tels que « crise climatique » ou « code rouge pour l’humanité » sont utilisés par les politiciens et par les décideurs pour souligner la nécessité de mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles. Notez que le GIEC lui-même n’utilise pas les termes « crise », « catastrophe » ou même « dangereux » ; il utilise plutôt le terme « motifs de préoccupation ». Outre les incertitudes scientifiques, la partie la plus faible de l’argumentation de l’ONU est la dangerosité supposée du réchauffement climatique d’origine humaine. Le signe le plus tangible de cette dangerosité serait l’aggravation des événements météorologiques extrêmes, un lien qui est au mieux ténu. Toute évaluation d’un changement climatique dangereux doit répondre au principe « Boucle d’or » [juste la bonne quantité, NDT]. Quel climat est-il trop chaud ou trop froid ? Certains répondent à cette question en déclarant que le climat auquel nous sommes adaptés est « juste celui qu’il faut ». Cependant, le GIEC utilise une référence préindustrielle qui est la fin des années 1700. En quoi cette période serait-elle marquée par un climat idéal ? Elle se situe pendant le petit âge glaciaire, la période la plus froide sur plusieurs millénaires. Aux États-Unis, les États qui connaissent de loin la plus forte croissance démographique sont les États chauds du sud, la Floride et le Texas. Le prix des habitations situées le long de la côte, malgré leur vulnérabilité à l’élévation du niveau de la mer et aux cyclones monte en flèche. Les préférences individuelles et la valeur marchande des biens immobiliers ne sont pas encore influencées par le réchauffement climatique.

La planète se réchauffe depuis plus d’un siècle, et jusqu’à présent, le monde s’est correctement adapté à ce changement. Les rendements de nombreuses cultures ont doublé, voire quadruplé depuis 1960. Au cours du siècle dernier, le nombre de décès par million de personnes dus aux catastrophes météorologiques et climatiques a chuté de 97 %. Les pertes dues aux catastrophes climatiques mondiales en pourcentage du PIB ont diminué au cours des 30 dernières années.

Face aux défis du réchauffement climatique et de la transition énergétique, nous devrions nous souvenir que la lutte contre le changement climatique n’est pas une fin en soi et que ce n’est pas le seul problème auquel le monde est confronté. Notre objectif devrait être d’améliorer le bien-être humain au XXIe siècle, tout en protégeant l’environnement autant que possible.

Toutes choses étant égales par ailleurs, chacun préfère une énergie propre à une énergie sale. Cependant, toutes les choses ne sont pas égales. Nous avons besoin de systèmes énergétiques sûrs, fiables et économiques pour tous les pays du monde. Cela inclut l’Afrique, qui manque actuellement d’électricité fournie par le réseau dans de nombreux pays. Nous avons besoin des infrastructures du 21e siècle pour nos réseaux d’électricité et de transport, afin de soutenir une prospérité continue et croissante. Nous précipiter dans l’urgence dans les technologies renouvelables du XXe siècle risque de gaspiller nos ressources dans des infrastructures énergétiques inadéquates, d’augmenter notre vulnérabilité aux conditions météorologiques et climatiques extrêmes et de nuire à notre environnement de façons différentes.

L’évolution du climat du 21e siècle est sujet à de profondes incertitudes. Une fois la variabilité naturelle du climat prise en compte, cette évolution pourrait s’avérer relativement bénigne. Mais nous pouvons aussi être confrontés à des surprises imprévues. Nous devons accroître notre résilience pour faire face à tout ce que le climat futur nous réserve. Nous nous tirerions une balle dans le pied en sacrifiant la prospérité économique et la résilience globale de la société sur l’autel d’une transition faite dans l’urgence avec les technologies énergétiques renouvelables du XX e siècle. L’alarmisme climatique nous pousse à l’erreur et la panique nous empêche de lutter intelligemment contre le changement climatique.

Vers un « plan Climat B »

Même en l’absence des obligations créées par le réchauffement climatique et les autres problèmes environnementaux, la transition énergétique en vue de nous affranchir des combustibles fossiles au cours du 21e siècle aura lieu car ceux-ci deviennent plus coûteux à extraire et sont facteurs d’instabilité géopolitique. Le problème c’est l’urgence avec laquelle nous voulons réaliser cette transition, en raison des craintes inspirées par le réchauffement climatique. En migrant rapidement vers les énergies renouvelables dites propres, nous faisons un grand pas en arrière en matière de développement humain et de prospérité. Les nations s’attaquent à leur dépendance croissante à l’égard des énergies éolienne et solaire. La crainte de ne pas répondre aux besoins en électricité cet hiver entraîne une dépendance à court terme au charbon en Europe et en Asie. De plus, nous ignorons les impacts environnementaux de l’exploitation minière et des déchets toxiques des panneaux solaires et des batteries, la destruction des rapaces par les éoliennes et des habitats par les fermes solaires déployées à grande échelle.

Les opposants au plan A rejettent la réduction des émissions dans l’urgence. Ils affirment que nous sommes en train d’aggraver la situation globale avec des solutions simplistes consistant à remplacer dans l’urgence les combustibles fossiles par de l’éolien et du solaire, qui auront un impact à peine perceptible sur le climat du 21e siècle. Les opposants au plan A soutiennent qu’il est préférable de garder des économies fortes et de faire en sorte que tout le monde ait accès à l’énergie. Ils font enfin valoir qu’il existe d’autres problèmes plus pressants que le changement climatique qui pourraient être résolus avec les ressources disponibles.

Tout cela signifie-t-il que nous ne devrions rien faire à court terme contre le changement climatique ? Non. Mais étant donné les problèmes posés par le plan A, nous avons clairement besoin d’un plan B qui élargira le périmètre de la politique climatique. Si l’on considère le changement climatique comme un « problème épineux », alors il faut le considérer comme une épreuve à surmonter qui pourrait être l’occasion d’une réinvention des conditions de la vie humaine. Un tel récit nous pousserait à développer notre créativité et à dynamiser l’action publique tout en contrôlant les effets de bord sociaux.

Nous devons nous efforcer de minimiser notre impact sur la planète, ce qui n’est pas simple avec une population de 8 milliards d’habitants. Nous devons travailler à minimiser la pollution de l’air et de l’eau. Depuis des temps immémoriaux, l’homme s’est adapté au changement climatique. Que nous parvenions ou non à réduire considérablement nos émissions de dioxyde de carbone au cours des prochaines décennies, nous devons réduire notre vulnérabilité aux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes.

Le cadre du plan B est le suivant : une approche plus pragmatique du changement climatique devrait nous amener à renoncer aux objectifs d’émissions et à leurs agenda, au profit d’une accélération de l’innovation énergétique.

Pour prospérer au XXIe siècle, le monde aura besoin de davantage d’énergie. Bien sûr, nous préférerons une énergie propre et bon marché. Pour y arriver, il nous faut de nouvelles technologies. La plus prometteuse à l’heure actuelle est celle des petits réacteurs nucléaires modulaires. Mais il y a aussi des avancées très intéressantes dans la géothermie, l’hydrogène entre autres. Et le paysage technologique sera différent dans dix ans.

Les pays en voie de développement ne veulent pas seulement survivre, ils veulent aussi prospérer. Nous aurons besoin de davantage d’électricité, pas de moins. Réduire la consommation d’énergie comme nous l’avons fait dans les années 1970 n’est pas la solution. Nous avons besoin de plus d’électricité pour soutenir l’innovation et la prospérité au XXIe siècle. La consommation et la croissance continueront d’augmenter tout au long de ce siècle. Nous devons accepter cette prémisse, puis trouver comment gérer cette croissance tout en protégeant notre environnement.

Abordant la problématique du changement climatique, nous devons nous souvenir que le climat n’est pas une fin en soi et que le changement climatique n’est pas le seul problème auquel le monde est confronté. L’objectif est d’améliorer le bien-être humain au 21ème siècle, tout en protégeant l’environnement autant que possible. Les décisions pertinentes en matière de climat doivent être axées sur l’alimentation, l’énergie, l’eau et les écosystèmes pour préserver le bien-être humain dans les décennies à venir.

Alors, à quoi ressemble réellement notre Plan B ? Plutôt que des décisions verticales descendant de l’ONU, le Plan B devrait se concentrer sur des solutions locales qui garantissent l’intérêt commun, évitant ainsi l’impasse politique. En plus de réinventer les systèmes d’électricité et de transport du XXIe siècle, des progrès peuvent être réalisés sur plusieurs fronts en matière d’utilisation des terres, de gestion des forêts, d’agriculture, de gestion des ressources en eau, et des déchets, entre autres. Le bien-être humain sera amélioré grâce à ces efforts, que le changement climatique se révèle ou non être un énorme problème et que nous parvenions ou non à réduire considérablement nos émissions. Chaque État pourra servir de laboratoire en vue de trouver des solutions à ses problèmes environnementaux locaux et aux risques liés au climat.

Conclusion

Minimiser l’impact environnemental sur la planète avec une population mondiale de 8 milliards de personnes est un énorme défi. Je ne doute pas que l’ingéniosité humaine trouvera les moyens de mieux répondre aux besoins et aux désirs des humains, tout en préservant les habitats et la diversité des espèces. Cette question est le défi majeur du prochain millénaire. Il s’agit d’un défi complexe qui va bien au-delà de la compréhension du système terrestre et du développement de nouvelles technologies : il inclut également la gouvernance et les valeurs sociales.

Pour progresser, nous devons d’abord nous départir de cette idée orgueilleuse selon laquelle nous serions capables de contrôler le climat de la Terre et de prévenir les phénomènes météorologiques extrêmes. L’urgence de la transition des combustibles fossiles vers les énergies éolienne et solaire menée sous la bannière de l’ONU a occupé tout le terrain. Il n’y a plus d’espace pour imaginer à quoi pourraient ressembler nos infrastructures du 21e siècle, avec de nouvelles technologies et une plus grande résilience aux phénomènes météorologiques extrêmes, ou même pour faire face aux problèmes environnementaux traditionnels.

Les humains ont la capacité de résoudre de futures crises de ce type. Cependant, ils ont également la capacité d’aggraver les choses en simplifiant à l’excès des problèmes environnementaux complexes et en politisant la science, ce qui peut conduire à une mauvaise adaptation et à de mauvais choix politiques. Dans 50 ans, nous considérerons peut-être les politiques climatiques de l’ONU et cette soi-disant économie verte comme un marteau pour écraser une mouche, les problèmes les plus graves restant ignorés. En d’autres termes, le récit de la crise climatique fait obstacle à la mise en œuvre de solutions véritablement efficaces pour régler nos problèmes sociétaux et environnementaux.

Le changement climatique n’est qu’une des nombreuses menaces potentielles auxquelles notre monde est confronté aujourd’hui, comme l’a bien mis en évidence la pandémie de Covid-19. Pourquoi le changement climatique devrait-il être prioritaire par rapport aux autres menaces ? Il existe un large éventail de menaces auxquelles nous pourrions être confrontés au 21e siècle : des orages électromagnétiques solaires qui détruiraient tous les appareils électroniques spatiaux, y compris les lignes de transmission GPS et électriques ; de futures pandémies ; l’effondrement financier mondial ; une méga éruption volcanique ; une cascade d’erreurs déclenchant une guerre thermonucléaire, biochimique ou cybernétique ; la montée du terrorisme.

Nous pourrions être surpris par des menaces que nous n’avons même pas encore imaginées. Les sommes énormes dépensées pour tenter de prévenir le changement climatique sont autant de ressources qui ne pourront pas être utilisées pour venir à bout d’autres menaces. Par conséquent, la focalisation sur le changement climatique pourrait globalement accroître notre vulnérabilité à d’autres menaces. La meilleure assurance contre toutes ces menaces est d’essayer de les comprendre, tout en augmentant la résilience globale de nos sociétés. La prospérité est le meilleur indicateur de résilience. Les sociétés résilientes qui tirent les leçons des menaces précédentes sont mieux préparées à être suffisamment robustes pour réagir à toutes les menaces futures.