
L’Allemagne s’apprête à déployer l’un des plus vastes plans de relance budgétaire de son histoire. Un accord conclu entre la CDU/CSU et le SPD prévoit une série de mesures visant à assouplir les restrictions budgétaires. Et à injecter massivement des fonds dans l’économie. Ce plan repose notamment sur un fonds d’investissement hors budget équivalant à 11,6 % du PIB sur dix ans. Ainsi qu’une réforme du frein à l’endettement pour permettre des dépenses supplémentaires en matière de défense. Ce tournant marque une rupture avec la prudence budgétaire allemande traditionnelle. Et pourrait avoir des conséquences profondes pour la croissance du pays et de l’ensemble de la zone euro.
Une accélération immédiate de la politique budgétaire
À peine élu, le futur chancelier Friedrich Merz a exprimé sa volonté d’agir rapidement pour relâcher la discipline budgétaire. Un contraste frappant avec le ton mesuré de la campagne électorale. Profitant de la composition actuelle du Parlement. Où CDU/CSU, SPD et Verts détiennent une majorité des deux tiers jusqu’au 24 mars. Le gouvernement entend amender la Constitution afin de mettre en place un fonds spécial de 200 milliards d’euros (soit 4,6 % du PIB) dédié à la défense. Ce fonds vient doubler un précédent dispositif instauré en 2022. Illustrant ainsi la détermination du gouvernement à renforcer les capacités militaires du pays tout en stimulant son économie.
Un plan budgétaire massif aux implications majeures
Les négociations entre la CDU/CSU et le SPD ont abouti à un projet de réforme budgétaire sans précédent. Parmi les mesures phares :
- La création d’un fonds spécial hors budget de 500 milliards d’euros (11,6 % du PIB) destiné aux infrastructures, à la digitalisation, à l’énergie et à l’éducation, sur une période de dix ans.
- L’allocation de 100 milliards d’euros de ce fonds aux Länder, leur offrant ainsi des marges de manœuvre budgétaires accrues.
- Une réforme du frein à l’endettement permettant d’exclure du calcul toutes les dépenses de défense dépassant 1 % du PIB.
- Une nouvelle flexibilité pour les Länder, leur permettant désormais de dégager des déficits équivalents à 0,35 % du PIB, contre 0 % auparavant.
Si ces propositions sont adoptées, elles représenteront une véritable révolution budgétaire en Allemagne, libérant le pays des contraintes européennes et nationales qui limitaient jusqu’ici ses dépenses militaires et stratégiques.
Des défis structurels qui pourraient limiter les effets à court terme
Bien que ce plan ait le potentiel de relancer l’économie allemande, certains obstacles pourraient freiner ses effets immédiats. L’Allemagne souffre d’un manque d’infrastructures industrielles adaptées pour absorber une augmentation rapide des dépenses militaires. De plus, selon les dernières données de la Commission européenne, 80 % des acquisitions de défense des États membres de l’UE entre 2022 et 2023 ont été réalisées hors de l’Union, notamment aux États-Unis. Cette dépendance extérieure pourrait limiter l’impact direct du plan sur l’industrie allemande.
Par ailleurs, la montée des tensions commerciales avec les États-Unis, notamment avec l’imposition de nouveaux tarifs douaniers de 25 % sur les produits européens, représente un risque supplémentaire pour la croissance allemande en 2025. Ces éléments pourraient tempérer les effets escomptés du plan budgétaire à court terme, bien qu’ils n’annulent pas ses perspectives positives à plus long terme.
Un impact significatif attendu à moyen et long terme
Si les incertitudes à court terme persistent, les perspectives à partir de 2026 sont plus favorables. Une relance budgétaire aussi massive, couplée à une assouplissement des règles budgétaires au sein de l’Union européenne, devrait favoriser une croissance plus robuste en Allemagne et dans la zone euro. L’un des éléments clés à surveiller sera l’effet d’entraînement sur le secteur privé. Une augmentation des dépenses publiques pourrait stimuler l’investissement industriel et améliorer le climat des affaires, ce qui commencerait déjà à se refléter dans le renforcement récent de l’euro face au dollar (passant de 1,05 à 1,07).
Sur les marchés obligataires, l’annonce de ces mesures budgétaires a également eu un effet immédiat : les rendements des Bunds allemands à 10 ans ont grimpé de 35 points de base pour atteindre 2,7 %, ce qui reflète les anticipations d’un déficit public plus important et d’une croissance plus soutenue à moyen terme.
Une BCE prudente face aux évolutions budgétaires
Dans ce contexte de transformation budgétaire, la Banque centrale européenne (BCE) devra ajuster sa stratégie monétaire. Pour l’instant, elle maintient son scénario de référence avec un taux terminal prévu à 1,5 % d’ici la fin de l’année. Cependant, les nouvelles orientations budgétaires allemandes pourraient l’inciter à ralentir son cycle de baisses de taux après avoir atteint 2 % en juin. L’incertitude autour des politiques commerciales et de l’ampleur réelle du stimulus fiscal allemand pourrait également peser sur les décisions de la BCE.
Si le plan budgétaire allemand se concrétise dans son intégralité et que d’autres États membres de l’UE suivent une trajectoire similaire, cela pourrait entraîner une croissance plus forte et modifier l’équilibre des politiques économiques en Europe. En revanche, si l’absorption de ces dépenses se révèle plus lente ou si des facteurs externes (comme les tensions commerciales) viennent contrarier la reprise, la BCE pourrait maintenir une approche plus prudente.
Un changement de paradigme pour l’Allemagne et la zone euro
L’adoption de ce plan budgétaire représente une inflexion majeure dans la politique économique de l’Allemagne. Après des années de discipline budgétaire stricte, le pays semble prêt à embrasser une politique plus expansionniste, avec des implications profondes pour l’ensemble de l’économie européenne.
Toutefois, si cette relance budgétaire ouvre de nouvelles perspectives de croissance, elle pose également des questions sur sa mise en œuvre effective et son impact réel sur l’industrie et l’emploi. L’Allemagne devra relever plusieurs défis structurels pour maximiser les bénéfices de cette politique, tout en naviguant dans un contexte géopolitique et commercial incertain.
Le débat est donc loin d’être clos : ce plan marque-t-il une transformation durable du modèle économique allemand, ou s’agit-il d’une réponse conjoncturelle à des défis spécifiques ? Seul le temps permettra de trancher.
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