Vers une crise alimentaire mondiale !

Depuis le début de la crise Russie et Ukraine, il y’a un gros risque de perturber l’approvisionnement en produits alimentaires dans le monde. Dans cet article vous retrouverez les conséquences de cette guerre sur l’alimentation mondiale.

LE MONDE EN ALERTE

1 – La production de semences à l’arrêt

Les sociétés françaises de semences ont construit des usines en Ukraine et en Russie, ces dernières années, et certaines y réalisent un quart de leur chiffre d’affaires. La guerre compromet aussi le transport des semences vers ces pays et les conditions économiques se dégradent.

La guerre de la Russie en Ukraine prend à rebours les semenciers français qui investissent dans ces pays depuis dix ans. Plus de 20 entreprises sont impactées. Les deux pays pèsent 29 % des exportations mondiales de blé et l’Ukraine effectue la moitié des ventes d’huile de tournesol. D’immenses champs de blé, de maïs et de tournesol poussent dans les plaines fertiles.

2 – Engrais russes, une dépendance qui coûte cher

Plusieurs entreprises semencières françaises ont investi dans des usines de production en Ukraine, ce pays, comme la Russie, étant très friand de génétique occidentale. Toutes les activités sont arrêtées pour protéger les salariés. L’approvisionnement du marché ukrainien est bloqué, ce qui devrait engendrer des fortes perturbations pour les semis à venir.

3 – Semer malgré la guerre

Sur des champs à perte de vue, les moissonneuses viennent de débuter les semis de tournesol. La production ukrainienne représente 50% du commerce mondial. Les combats n’ont pas encore atteint cette partie du pays mais le manque de carburant menace la saison agricole et la sécurité alimentaire de dizaines de millions de personnes dans le monde.

Travaux agricoles en cours dans le village de Perchotravneve, près d’Odessa (Ukraine), mars 2022 (ERIC AUDRA / RADIO FRANCE)

Nous cultivons du blé, de l’orge, du colza, du tournesols et des pois. C’est un petit assortiment de cultures qui peuvent pousser ici dans le sud en raison des conditions climatiques” explique Alexander Petkov, exploitant agricole à Bahaté.

Sans exportations, nous arrêterons de toute façon. Il n’y aura pas d’argent, pas la possibilité de payer tout le monde. Mais l’Ukraine ne connaîtra pas de famine, les céréales où nous pouvons semer, ces volumes de céréales et de produits seront suffisantes pour garantir qu’il n’y aura pas de famine en Ukraine” souligne Alexander Petkov.

Si les réserves de l’Ukraine suffisent à assurer sa sécurité alimentaire pendant un an, l’invasion russe risque de provoquer une réduction de 30% des surfaces cultivées et affecter 100 millions de personnes dans le monde.

Avant la guerre, l’Ukraine était le 4ème exportateur mondial de maïs. La Russie, elles assurent à elles seules 30% des exportations mondiales de blé.

Avec la guerre, les pays en crise alimentaire comme le Yémen, l’Ethiopie ou l’Afghanistan ont vu leur situation s’aggraver en raison de la hausse des prix des céréales et des carburants.

4 – La possibilité de récolter

Alors que le pays est en guerre depuis plus d’un mois, la saison des semis commence et l’enjeu est de taille. 

Dans un nuage de poussière, Gricha sillonne une immense parcelle à la terre très noire à une quarantaine de kilomètres d’Odessa, dans le sud de l’Ukraine : “On est en train de semer du lin, on fait aussi des lentilles et du millet. On a repris le travail mi-mars, on a répandu les engrais… La guerre, c’est la guerre. Mais il faut bien manger !” Principal défi pour l’exploitation agricole de Gricha : trouver du carburant.

“On espère la fin de la guerre pour pouvoir récolter”

Dans le village voisin de Perchotravneve, Serguy possède une ferme plus modeste. Il avait pu remplir sa cuve cet automne. “Bien sûr que la guerre a apporté des problèmes, dit-il. On a du mal à trouver des herbicides et on ne sait pas combien ça va coûter. Pour les engrais, on a déjà payé deux fois plus cher.”

La main-d’œuvre est bien là : les agriculteurs, qui représentent un actif sur six en Ukraine, sont exemptés de mobilisation. Mais pour le maire du village, Vassyl Khmilenko, également propriétaire terrien, tout est encore incertain : “On est inquiets, comme tout le monde. Les roquettes volent, les bombes explosent, la guerre est tout près dans la région de Mykolaïv. Mais bon, on investit, on sème, et on espère que cette guerre va finir, pour pouvoir récolter.” 

La question n’est plus de savoir si c’est rentable ou pas. Il faut juste nourrir la population et éviter la famine.”Vassyl Khmilenko

Sergy Firtsak dans sa ferme d'une centaine d'hectares à Perchotravneve (Ukraine), mars 2022 (ERIC AUDRA / RADIO FRANCE)
Sergy Firtsak dans sa ferme d’une centaine d’hectares à Perchotravneve (Ukraine), mars 2022 (ERIC AUDRA / RADIO FRANCE)

Selon le ministère ukrainien de l’Agriculture, la guerre risque de d’amputer d’un tiers les surfaces cultivées. Petit répit pour le blé, semé à l’automne, qui est en train de verdir à la surface des champs.

L’Ukraine a des réserves ? Pour combien de temps ?

En temps normal, l’Ukraine produit dix fois ce que sa population consomme. Et elle a des réserves, affirme Vladislav Tchertchel. Il dirige l’Institut de la culture du grain à Dnipro : “Sur 106 millions de tonnes de céréales, légumineuses et oléagineux récoltés l’an dernier, il en reste la moitié dans des entrepôts en Ukraine. Cela correspond à trois ans de consommation nationale. Mais, ajoute-t-il, certains stocks ont déjà été saisis par les Russes dans les territoires qu’ils occupent, notamment à Berdiansk.”

“Si la guerre se poursuit encore un mois ou deux, ce sera une catastrophe alimentaire pour le monde.”

Vladislav Tchertchel

4 – Le transport des denrées alimentaires

Des centaines de marins ukrainiens et russes sont coincés dans des ports du monde entier. Pour les armateurs, il est donc de plus en plus difficile de trouver des hommes pour faire fonctionner des chaînes logistiques déjà mal en point.

Dans la mer Noire et la toute proche mer d’Azov, très utilisées pour l’exportation de denrées alimentaires et de pétrole, cinq navires ont été touchés par des missiles, affirment les autorités portuaires ukrainiennes

L’Ukraine représente en effet 16% des exportations mondiales de maïs et, avec la Russie, 30% des exportations de blé, une matière première dont le cours a flambé de plus de 55% par rapport à la semaine précédant l’invasion.

« Il s’agit du plus gros choc d’offre depuis les années 1970, quand l’Opep avait réduit sa production, estime Salvatore Mercogliano, professeur à l’université Campbell et ancien membre de la marine marchande. Il va entraîner des pénuries de produits alimentaires au Moyen-Orient et en Afrique et une flambée de l’inflation au niveau international. »

Une pénurie alimentaire imminente selon l’ONU

Selon l’indice des prix alimentaires de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les prix mondiaux des aliments et des carburants ont fortement augmenté depuis le début du conflit – atteignant un niveau record en février 2022

“Les prix des aliments, du carburant et des engrais montent en flèche, constate le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Les chaînes d’approvisionnement sont perturbées. Et les coûts et les délais de transport des produits importés, lorsqu’ils sont disponibles, atteignent des niveaux records. Et tout cela frappe le plus durement les plus pauvres et sème les graines de l’instabilité politique et des troubles dans le monde entier.”

Au Soudan, des milliers de personnes ont manifesté dans la capitale et dans plusieurs autres villes du pays. Les protestations concernent notamment la forte hausse du prix du pain, principale denrée alimentaire des Soudanais. Celui-ci a bondi de plus de 40 % ces derniers jours.