Cette crise s’ avère être un moment charnière à passer pour les marchés et les nations : reprise verte, capitalisme restructuré… les perspectives d’avenir favorables au climat se bousculent parmi les anticipations des acteurs financiers et politiques, mais qu’en sera-t’il quand l’argent et les échanges auront repris leurs droits d’ici quelques mois ? Le Secrétaire Général de l’OCDE, M. Angel Gurría se prononce sur cette crise inattendue et aux conséquences irrémédiables qui s’ annoncent :
“Le monde entier est aux prises avec une situation d’urgence sanitaire due à la pandémie de COVID-19, et avec ses répercussions économiques et sociales. Il est aussi engagé dans une course contre la montre pour éviter la crise environnementale annoncée. La pandémie illustre à quel point il est important d’être préparé aux crises. Elle nous montre également que remettre à plus tard des décisions ambitieuses peut coûter très cher. Nous n’étions pas préparés à la crise du COVID-19, et nous sommes encore moins préparés à faire face aux conséquences des grands problèmes qui nous menacent et continuent de s’aggraver, comme le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la pollution de l’air et les décès prématurés qui en découlent, ou encore l’acidification des océans.
Alors que de nombreux pays s’apprêtent à entrer dans une nouvelle phase de la crise du COVID-19, les gouvernements doivent saisir l’occasion unique qui s’offre d’amorcer une reprise verte et inclusive – une reprise qui ne soit pas seulement source de revenus et d’emplois, mais qui s’articule autour d’objectifs plus généraux de bien-être, porte une action vigoureuse en faveur du climat et de la biodiversité et renforce la résilience. Les programmes de relance doivent être en phase avec des politiques ambitieuses pour faire face au changement climatique et à la dégradation de l’environnement. C’est la seule façon de mener une action « triplement gagnante », qui profite à la fois aux populations, à la planète et à la prospérité.
La Journée de la Terre est l’occasion d’examiner de manière approfondie la durabilité de nos systèmes environnementaux, économiques et sociaux, leurs interactions et leur contribution à la résilience des sociétés. Cette approche intégrée de la santé humaine et du bien-être est au centre des travaux d’analyse de l’OCDE. À titre d’exemple, la perturbation des forêts et des écosystèmes, l’urbanisation rapide et le commerce illégal des espèces sauvages entraînent des contacts plus rapprochés entre les populations humaines et les animaux sauvages et exposent ainsi les premières aux zoonoses qui peuvent être portées par les seconds. L’exposition à la pollution atmosphérique augmente le risque de maladies cardiovasculaires et de maladies affectant le système respiratoire et le développement, et elle rend les individus et les communautés, en particulier les plus pauvres, plus vulnérables aux effets des pandémies. L’accès aux ressources en eau et leur qualité revêtent une importance capitale pour lutter contre la propagation des pandémies, tandis qu’une gestion efficace des déchets est primordiale pour réduire les effets secondaires de celles-ci sur la santé et l’environnement.
La crise a montré que nous pouvons être plus frugaux dans nos modes de consommation pour être davantage en phase avec les objectifs environnementaux. Elle a mis un coup de frein temporaire aux émissions de CO2, de même qu’aux rejets de polluants atmosphériques des transports et des activités industrielles qui raccourcissent l’espérance de vie. En Chine, par exemple, les fermetures d’usines ont entraîné un recul des émissions de CO2 estimé à 25 % en février 2020 par rapport au même mois de 2019. Cette diminution de courte durée est toutefois sans effet sur le long terme sur le changement climatique, et nous avons besoin de politiques permettant de soutenir et d’approfondir les gains environnementaux actuellement observés. Comme le montre l’expérience des crises précédentes, y compris la grande récession de 2008, la baisse initiale des émissions est plus que compensée par leur montée plus rapide les années suivantes.
Lorsque la crise sanitaire sera en passe d’être maîtrisée, l’enjeu sera de faire repartir l’économie et générer des emplois sans perdre de vue le défi primordial que constitue le changement climatique. Ces messages nous sont certes familiers, mais ils prennent une résonnance plus forte encore en ce moment. Nous devons revoir à la hausse nos ambitions pour tendre vers une reprise sobre en carbone. Nous devons cesser de construire de nouvelles infrastructures et immobilisations qui bloqueraient nos sociétés dans des systèmes à forte intensité de carbone sapant ainsi les objectifs climatiques à long terme. Offrir l’accès à des financements à faible coût et faire preuve de souplesse sur les délais dont sont assorties certaines mesures incitatives comme les crédits d’impôt sont autant de mesures qui pourraient être indispensables à la survie des investisseurs dans le secteur des énergies renouvelables, et ces facilités devront être maintenues. Les signaux-prix du carbone, les normes d’émission, les taxes environnementales et d’autres réglementations devront être conservés pour donner davantage de certitude et de stabilité à long terme aux activités, investissements et innovations faiblement émetteurs de carbone. Le soutien apporté aux entreprises devrait être, de plus en plus, assorti de normes environnementales plus rigoureuses.
La crise sanitaire a aussi mis en lumière les inégalités de nos sociétés, et leur fragilité. Au début de la crise, 40 % des ménages de l’OCDE n’étaient séparés de la pauvreté que par un délai de trois mois. Dans la plupart des pays en développement, la réalité est encore plus sombre. Les enfants et les jeunes issus de populations vulnérables sont souvent les plus mal lotis. Nous devons faire en sorte qu’outre le changement climatique et la biodiversité, l’inclusivité soit placée au cœur de la reprise qui suivra la crise du COVID-19, faute de quoi les générations futures devront non seulement rembourser la dette massive que nous sommes en train d’accumuler, mais aussi supporter le fardeau consistant à faire face aux crises futures liées au changement climatique et à la perte de biodiversité. La pauvreté et les inégalités de revenus pourraient bien limiter gravement leurs chances de sortir plus fortes de la crise du COVID-19 pour affronter le monde d’après.
Une reprise juste, résiliente et à zéro émission nette devrait créer de nouvelles opportunités pour tous et réduire les inégalités de résultats, par exemple dans le domaine de la santé, où d’importants bénéfices économiques pourraient être retirés de la promotion du capital humain. Améliorer la qualité de l’air, de l’eau et de l’assainissement, la biodiversité et la gestion des déchets peut contribuer à réduire la vulnérabilité des populations aux pandémies et, en même temps, renforcer la résilience à d’autres risques, y compris des risques liés au climat. Nous devons également intégrer une dimension d’égalité femmes-hommes dans nos stratégies et nos actions, et axer l’essentiel de notre soutien en direction des pays les plus vulnérables, qui sont aussi ceux qui se trouvent le plus exposés au changement climatique.
Nous devons exploiter les enseignements tirés d’autres crises. Ils peuvent nous aider à redonner vie à des pratiques exemplaires, et éviter des approches peu judicieuses. Pour accélérer une reprise équitable et sobre en carbone, trois axes se dégagent pour l’instant, aux premiers stades de la crise :
- Aligner les réponses à court terme conçues dans l’urgence avec la réalisation des objectifs économiques, sociaux et environnementaux de long terme et le respect des obligations internationales (Accord de Paris et ODD). Il s’agit notamment, à court terme, de garantir les emplois tout en évitant de subventionner de manière inconditionnelle des activités polluantes.
- Empêcher à la fois que les sociétés soient bloquées pour l’avenir avec des activités fortement émettrices de carbone et que le bien-être de la population située dans les 4 déciles inférieurs de la distribution des revenus ne se dégrade encore. La crise du COVID-19 a entraîné une dégradation spectaculaire de la situation des populations vulnérables, dans les pays avancés comme dans les économies en développement. Les efforts déployés pour construire un avenir inclusif et durable doivent donner la priorité à une transition juste vers une économie bas carbone.
- Intégrer systématiquement des considérations ayant trait à l’environnement et à l’équité dans la dynamique de la reprise économique et le processus de relance. À l’avenir, les aides apportées aux secteurs les plus touchés et les investissements dans les infrastructures devront aussi prioriser la promotion d’une économie sobre en carbone.
Vous pouvez compter sur l’OCDE pour apporter son soutien à une reprise inclusive, faiblement émettrice de carbone et résiliente dans le monde de l’après-COVID. Protéger la planète est aujourd’hui notre responsabilité intergénérationnelle la plus importante.”
Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE