La Fed a réagi très rapidement à la crise du coronavirus, notamment en achetant de très grandes quantités de titres du Trésor. Cependant, les actions de la banque centrale américaine vont bien au-delà, car la stabilisation sur les marchés du crédit provient et proviendra aussi des véhicules d’investissement (les facilities) mis sur pied conjointement avec le Trésor, dont le champ d’action est très vaste et très puissant. A ce sujet, la Fed dispose encore de marges de manœuvre considérables.
Les achats de titres du Trésor et de MBS
Très vite après que les premiers signaux négatifs au sujet de l’économie ont été constatés, la Fed a mis en place des achats massifs de titres du Trésor et de titrisations de crédit immobilier (MBS). Sur les 4 semaines allant du 16 mars au 10 avril, la Fed a acheté 1195 Mds $ de titres du Trésor, soit plus que le déficit fédéral sur les 12 derniers mois (1037 Mds$). Ces achats de titres sont très nettement supérieurs à ce que l’on avait pu voir lors des précédentes opérations de Quantitative Easing (QE1, QE2, QE3). Même si la Fed a ralenti un peu ses achats sur la semaine du 13 au 17 avril, elle reste sur un rythme de 30 Mds $ de titres du Trésor par jour, soit 150 Mds $ sur la semaine, ce qui est considérable. Au 8 avril, la taille du bilan de la Fed était de 6044 Mds $, soit environ 28% du PIB. Mais comme nous allons le voir, cela est loin de constituer la seule action de la Fed dans cette crise.
Le déploiement des facilities pour soutenir massivement le marché du crédit
Tout comme lors de la crise de 2008/2009, la Fed et le Trésor ont mis sur pied des véhicules d’investissement (les facilities) capables soit d’acheter des titres, soit de prêter directement aux entreprises. Le principe de ces véhicules d’investissement est simple : le Trésor y injecte du capital et la Fed prête à ces véhicules pour des montants correspondant à plusieurs fois le montant de capital injecté par le Trésor (le montant des prêts de la Fed aux véhicules est calibré en fonction du risque de crédit des entités auxquelles prête le véhicule). Ainsi, de grandes quantités de titres peuvent être achetés et la Fed prend relativement peu de risque de crédit car les éventuelles pertes sont d’abord endossées par le Trésor américain.
Lors du passage du plan de soutien budgétaire massif adopté par le Congrès fin mars (le CARES Act), 454 Mds $ ont été débloqués par le Trésor pour servir de capital dans les véhicules d’investissements joints Fed/Trésor.
Ainsi, une longue série de facilities ont été lancées :
- Commercial Paper Funding Facility (CPFF), qui achète les billets de trésorerie (commercial papers) d’émetteurs notés A1/P1/F1 le 17 mars,
- Money Market Mutual Fund Liquidity Facility (MMLF), qui prête aux institutions financières gérant des fonds monétaires prime (avec prise en collatéral d’actifs des fonds monétaires),
- Primary Dealer Credit Facility (PDCF), pour prêter aux primary dealers (avec dépôt de collateral),
- Municipal Liquidity Facility, qui achète des titres courts émis par les collectivités locales.
- Main Street Lending Program, qui offrira des prêts de 4 ans aux PME en bonne santé avant la crise (PME = sociétés de moins 10000 employés ou moins de 2,5 Mds de chiffre d’affaires). Les banques éligibles accorderont ces « Main Street Loans », en retiendront 5% et en vendront 95% au Main Street Lending Program.
- Paycheck Protection Program Liquidity Facility (PPPLF), qui prêtera aux institutions financières qui octroient les prêts aux PME garantis par le Trésor dans le cadre du Paycheck Protection Program (PPP) contenu dans le CARES Act (349 Mds). La facilité prendra les prêts PPP en collatéral.
- Primary Market Corporate Credit Facility (PMCCF), qui achètera les obligations d’entreprise sur le marché primaire ou leur prêtera directement,
- Secondary Market Corporate Credit Facility (SMCCF), qui achètera les obligations d’entreprise sur le marché secondaire ou des ETF répliquant les indices obligataires corporate,
- Term Asset-Backed Securities Loan Facility (TALF), qui achètera des tranches de titrisations notées AAA.
Si on se focalise sur le marché des obligations d’entreprises, la Fed avait initialement annoncé le 23 mars que les facilities PMCCF et SMCCF pourraient acheter respectivement 100 Mds $ d’obligations notées IG, grâce à 10 Mds de capital injecté pour chacune d’entre elles. Cela constituait déjà une étape importante car c’est la première fois que la Fed achète des obligations d’entreprises. Mais la Fed a été encore plus loin le 9 avril en augmentant largement la puissance de feu de ces programmes :
- Nette augmentation de la taille des programmes, car le capital injecté par le Trésor dans le PMCCF passe de 10 à 50 Mds $ et celui injecté dans le SMCCF passe de 10 à 25 Mds $.
- Extension en termes de notations de crédit, car les deux programmes pourront acheter des obligations de fallen angels (obligations IG le 22 mars et passées high yield ensuite) et car le SMCCF pourra acheter des ETF HY en plus des ETF IG. A chaque fois, la Fed adapte le levier à la qualité de crédit des émetteurs : levier de 10 pour les titres IG et pour les ETF IG, levier de 7 pour les obligations des fallen angels et levier compris entre 3 et 7 pour les ETF HY
Ainsi, les programmes PMCCF et SMCCF peuvent désormais théoriquement acheter pour 750 Mds $ d’obligations corporate. Le soutien de la Fed au marché de la dette corporate est donc significatif en termes de taille et les annonces du 9 mars dénotent une volonté d’intervenir au-delà de la seule sphère investment grade.
De plus, et c’est l’un des points les plus importants, plus de la moitié des 454 Mds $ débloqués par le Trésor dans le cadre du CARES Act pour des injections de capital dans les facilities jointes avec la Fed n’a pas été utilisée ! Il est donc très probable que la Fed augmente à nouveau la taille des véhicules annoncés. En théorie, les achats de titres et les prêts accordés par ces facilities peuvent donc encore augmenter pour plusieurs milliers de milliards. Avant d’utiliser la totalité des fonds débloqués, la Fed et le Trésor attendent probablement de voir comment évoluent l’économie et les marchés du crédit, pour éventuellement identifier les segments qui auraient le plus besoin de soutien.
En conclusion, la Fed a réagi doublement à la crise du coronavirus : via des achats de titres du Trésor dans des proportions jamais observées jusque-là, mais aussi via la mise en place avec le Trésor américain de véhicules d’investissement dont les capacités d’achats de titres privés et de prêts aux entreprises sont très significatives. Cela a permis de stabiliser la situation sur les marchés du crédit. Il est important de souligner que sur ce terrain, la Fed dispose encore de marges de manœuvre considérables.
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