Ce n’était pas gagné… Après une lettre au gouvernement initiée par Reclaim Finance, et signée par un grand nombre d’acteurs financiers, Bruno Lemaire a entériné le renforcement du label d’Etat ISR (Investissement Socialement Responsable).
Le Label ISR, créé en 2016, a été en France le premier Label d’Etat permettant au grand public de choisir des supports d’épargne intégrant dans leur gestion des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Ce sont ainsi, aujourd’hui, 1174 fonds qui sont labellisés ISR, pour un encours total de 773 Mds€.
En octobre 2021, la direction générale du Trésor a missionné un comité, rassemblant de multiples parties prenantes (entreprises, sociétés de gestion, académiques…), sous la présidence de Michèle Pappalardo, ancienne présidente de l’ADEME, pour renforcer l’ambition et les exigences du Label ISR. Après deux consultations publiques, le comité du Label ISR a remis ses propositions de nouveau référentiel cet été.
Il était prévu que le ministre rende public le nouveau cahier des charges le 30 septembre 2023, mais rien ne fut annoncé ce jour-là. En conséquence, les rumeurs allèrent bon train : Bruno Lemaire se serait aperçu que l’exclusion du fossile non-conventionnel allait interdire de facto TotalEnergies – fleuron incontournable de l’industrie française – et s’interrogerait… L’association française de la gestion financière (AFG), dans sa réponse publique lors de la consultation du label, estimait que « les contraintes relatives à la construction de l’univers d’investissement initial sont disproportionnées, difficiles à mettre en œuvre et viendraient restreindre la capacité de gestion des acteurs. »
Beaucoup d’acteurs ont anticipé alors une réformette et, le 30 octobre, une soixantaine d’organisations et de personnalités, dont le président du Crédit Coopératif et président du Directoire d’Ecofi, Jérôme Saddier, et Laurence Scialom, présidente du comité éthique et de mission d’Ecofi, ont co-signé une lettre à la première ministre, Elisabeth Borne, pour exprimer leur crainte que « cette révision du label ISR et ne participe à l’institutionnalisation du greenwashing. »
Finalement, Bruno Lemaire a tranché et la réforme du label ISR se fera aux dépens des producteurs d’énergies fossiles. Une excellente surprise pour les promoteurs de la finance verte et les défenseurs de l’environnement. En effet, TotalEnergies est présent à ce jour dans environ 20% des fonds labellisés ISR. Cependant, les conséquences financières devraient être très limitées pour la major pétrolière, la France ne représentant que 18% de l’actionnariat institutionnel de TotalEnergies, contre 48% pour les États-Unis. L’impact de cette exclusion sera essentiellement d’ordre réputationnel et pourrait réduire l’attractivité de la compagnie auprès de la jeune génération d’ingénieurs notamment.
Le communiqué de presse du ministère des Finances précise que l’éligibilité des fonds au label exclura les entreprises qui exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste, offshore très profond, pétrole bitumineux, forages en Arctique, etc.). Dépassant les préconisations du comité, et répondant aux recommandations des ONG dont Reclaim Finance, le nouveau cahier des charges exclura également les entreprises qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation et de raffinage d’hydrocarbures. Cerise sur le gâteau, un plan de transition aligné avec l’Accord de Paris sera requis pour les entreprises investies.
Bercy a également confirmé que le label demandera aux gérants une approche globale sur les trois piliers de l’ESG avec un renforcement de la sélectivité qui conduira à une élimination de l’univers d’investissement de 30% contre 20% auparavant.
Le nouveau référentiel sera publié d’ici fin novembre 2023 et entrera en vigueur le 1er mars 2024. Une année de transition permettra aux gérants de fonds labellisés de faire le choix de « nettoyer » leurs portefeuilles en vendant les producteurs d’énergie devenus inéligibles ou de renoncer au Label.
Pour Bercy, « il n’y a pas d’ambiguïté dans cette annonce, ni exceptions, ni notes de bas de page, c’est bien l’ensemble du secteur des exploitants du charbon et des hydrocarbures qui est exclu du Label. Le ministère a souhaité que le Label soit lisible et crédible pour l’épargnant, en faisant de la lutte contre le réchauffement climatique un incontournable ».