La transition énergétique mondiale, visant à atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), impose une révision radicale des systèmes énergétiques actuels, notamment à travers l’abandon progressif des énergies fossiles et l’adoption des énergies renouvelables. Toutefois, cette transformation comporte des défis socio-économiques importants, particulièrement pour les communautés, les travailleurs et les secteurs économiques les plus dépendants des industries polluantes, comme celles du charbon ou du pétrole. Une approche équitable de la transition est donc cruciale pour éviter que certains groupes ne soient laissés pour compte. L’objectif de cet article est de mettre en lumière des exemples de politiques climatiques et de leurs impacts distributionnels, en mettant l’accent sur les solutions possibles pour atténuer les effets négatifs de cette transition.
La fin progressive du charbon : un défi pour les communautés et les travailleurs
Le charbon est une source majeure de pollution et contribue à environ un tiers de la production mondiale d’électricité. De nombreux pays ont intégré des objectifs de réduction de la consommation de charbon dans leurs contributions déterminées au niveau national pour la transition énergétique (CDN) dans le cadre de l’accord de Paris. Cela a entraîné une série de fermetures de centrales à charbon dans le monde entier. Cependant, cette transition a un effet contre-productif, particulièrement dans les économies en développement, où la demande en énergie reste élevée, alimentée par la croissance démographique et industrielle.
La fermeture des centrales à charbon a des conséquences sociales et économiques importantes. Dans de nombreuses régions, l’industrie du charbon représente une part substantielle de l’emploi, en particulier pour les travailleurs âgés ou peu qualifiés. Cette transition peut entraîner une hausse du chômage et des difficultés économiques pour les populations locales. Le secteur des énergies renouvelables, bien qu’il puisse offrir de nouvelles opportunités d’emploi, ne parvient pas toujours à remplacer les pertes d’emplois dans des régions économiquement fragiles. De plus, la transition vers des énergies plus propres peut accroître temporairement le coût de l’électricité, exacerbant la pauvreté énergétique, surtout pour les ménages à faibles revenus.
Politiques de transition
Pour limiter les impacts négatifs, des politiques de transition bien conçues, incluant des programmes de reconversion professionnelle, des soutiens financiers ciblés et des consultations locales transparentes, sont nécessaires. L’exemple de l’Allemagne, avec sa « Commission charbon » créée en 2018, montre qu’il est possible de concilier la sortie du charbon avec la préservation de l’emploi et la sécurité énergétique. En s’appuyant sur des négociations avec les syndicats, les acteurs du secteur et les autorités locales, le pays a élaboré un calendrier de retrait progressif du charbon, accompagné d’investissements dans les infrastructures et de mesures de reconversion des travailleurs.
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L’élimination des subventions aux combustibles fossiles : une nécessité pour une transition énergétique juste
Les subventions aux combustibles fossiles sont un obstacle majeur à la transition vers une économie bas-carbone. En 2023, les gouvernements du monde entier ont dépensé environ 620 milliards de dollars pour soutenir l’utilisation des combustibles fossiles, principalement dans les économies émergentes et en développement. Ces subventions, en maintenant des prix artificiellement bas, entravent la concurrence des énergies renouvelables et réduisent les ressources publiques disponibles pour financer d’autres secteurs essentiels comme l’éducation ou la santé. Par ailleurs, elles encouragent une consommation inefficace d’énergie et nuisent à la sécurité énergétique mondiale.
Cependant, la suppression des subventions aux combustibles fossiles peut être politiquement délicate, en raison de ses effets sur les prix de l’énergie. Cette réforme a des impacts considérables, notamment sur les ménages pauvres qui consacrent une grande partie de leurs revenus à l’énergie. Ainsi, toute réforme doit être accompagnée de mesures de compensation pour les plus vulnérables, comme des aides directes ou des réductions fiscales. L’Indonésie, entre 2014 et 2015, a entrepris un processus de réforme de ses subventions énergétiques, réduisant drastiquement ses dépenses tout en réorientant les ressources vers des investissements dans les infrastructures rurales et des programmes de protection sociale pour les plus démunis.
L’expérience indonésienne montre qu’un accompagnement structuré, basé sur une meilleure ciblage des subventions et une communication transparente, peut minimiser les effets négatifs des réformes. Une approche progressive et bien ciblée permet de lever les obstacles à la réforme tout en soutenant les populations vulnérables.
L’efficacité énergétique dans le bâtiment : une réponse aux inégalités énergétiques
Le secteur du bâtiment représente environ un tiers de la demande énergétique mondiale, et une grande partie de cette consommation provient de bâtiments résidentiels. Améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments est donc une priorité dans les politiques de décarbonation. Cependant, les programmes d’efficacité énergétique risquent d’avoir des effets régressifs si les dispositifs de soutien ne sont pas adaptés. En effet, les ménages à faibles revenus rencontrent des difficultés à investir dans des équipements énergétiques efficaces, souvent plus chers à l’achat. De plus, ces populations sont fréquemment exclues des programmes d’incitations en raison des exigences de propriété ou d’accès à des financements.
Les programmes comme le « Energy Company Obligation » (ECO) au Royaume-Uni, qui impose aux fournisseurs d’énergie d’investir dans des mesures d’économies d’énergie pour les foyers à faibles revenus, sont un exemple d’initiative réussie. En évoluant au fil des années pour augmenter son ambition, l’ECO a su adapter son modèle en augmentant les fonds disponibles et en élargissant les critères d’éligibilité pour inclure plus de foyers en situation de précarité énergétique. Ce programme a non seulement permis de réduire la facture énergétique des foyers vulnérables, mais aussi de créer des emplois locaux dans le secteur de la rénovation des bâtiments.
Pour que de telles initiatives aient un véritable impact, il est essentiel d’élargir l’accès à des solutions abordables et d’inclure des stratégies d’incitation diversifiées pour que tous les ménages, y compris les locataires, puissent en bénéficier.
La décarbonation du transport routier : vers une mobilité plus équitable ?
Le secteur du transport est aujourd’hui l’un des plus grands contributeurs aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. En particulier, le transport routier, avec la prolifération des véhicules à combustion interne, est responsable d’une part importante des émissions mondiales. Pour réduire ces émissions, de nombreux pays ont mis en place des politiques visant à encourager l’adoption de véhicules électriques (VE) et à décourager l’utilisation de véhicules polluants, notamment par le biais de taxes sur les carburants et de normes strictes d’émissions.
Cependant, ces politiques ont souvent des effets régressifs. Par exemple, les taxes sur les carburants ou l’augmentation des coûts de circulation touchent principalement les ménages à revenus moyens et faibles, qui dépendent souvent de voitures anciennes et consommatrices de carburant. Les incitations financières pour l’achat de véhicules électriques, bien que bénéfiques pour l’environnement, ne sont souvent pas accessibles aux populations les plus pauvres, qui ne peuvent pas se permettre de faire face à l’investissement initial nécessaire pour acquérir un véhicule électrique. De plus, les infrastructures de recharge pour véhicules électriques sont souvent concentrées dans les zones urbaines les plus riches, laissant les zones rurales et les quartiers populaires à la traîne.
Advanced Clean Cars II Program
L’exemple de la Californie avec son « Advanced Clean Cars II Program » montre qu’il est possible d’atteindre un équilibre entre les objectifs environnementaux et l’équité sociale. En mettant en place des incitations spécifiques pour les communautés à faibles revenus et en s’assurant que les véhicules électriques soient accessibles à toutes les populations, la Californie offre un modèle de décarbonation inclusive. Ce programme, qui combine subventions à l’achat, développement d’infrastructures de recharge et sensibilisation, illustre comment une politique de transport peut être conçue de manière équitable.
Une transition énergétique équitable est essentielle pour garantir que les politiques climatiques ne renforcent pas les inégalités existantes, mais qu’elles offrent des solutions concrètes pour les communautés et les travailleurs les plus vulnérables. Si la décarbonation des secteurs économiques clés, tels que l’énergie, le bâtiment et le transport, est cruciale pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux, elle doit être accompagnée de mesures de soutien adaptées pour atténuer ses effets négatifs. Une approche inclusive, qui inclut une participation active des parties prenantes, ainsi que des politiques ciblées pour soutenir les groupes vulnérables, est indispensable pour réussir cette transition. En construisant des politiques climatiques qui tiennent compte des réalités socio-économiques locales, nous pouvons espérer une transition juste, profitable à tous et respectueuse des engagements climatiques mondiaux.
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