L’ESMA redéfinit les règles de dénomination des fonds esg et bouleverse le marché

ESMA

Pour lutter contre l’écoblanchiment et renforcer la transparence, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) a imposé de nouvelles règles encadrant l’utilisation des termes liés à l’ESG dans les noms de fonds d’investissement. Entrées en vigueur le 21 mai 2025, ces directives ont contraint de nombreux gestionnaires à revoir la présentation de leurs produits. Morningstar a analysé l’impact de ces changements sur un univers de 132 fonds, actifs et passifs, couverts par ses équipes de recherche. Si les stratégies restent globalement alignées avec des approches durables, la dynamique de marché révèle des ajustements significatifs et appelle les investisseurs à la vigilance.

ESMA : un encadrement strict pour éviter l’écoblanchiment

Jusqu’en 2024, il était courant de voir des références à l’ESG dans les noms de fonds, parfois sans réel alignement avec les pratiques d’investissement. Les nouvelles règles de l’ESMA visent à clarifier ce paysage en posant des critères précis : un fonds qui revendique un positionnement ESG doit investir au moins 80 % de ses actifs dans des titres alignés avec des objectifs environnementaux, sociaux ou durables, tout en respectant des exclusions définies par les indices de référence climatiques européens (CTB et PAB). Les fonds utilisant des termes comme « durable », « transition » ou « impact » doivent répondre à des exigences encore plus strictes. Cette normalisation a pour but d’apporter plus de crédibilité aux labels et de protéger les épargnants contre les pratiques de communication trompeuses.

Des changements massifs dans la dénomination des fonds

Selon Morningstar, près de 880 fonds ont modifié leur nom entre mai 2024 et mai 2025 pour se mettre en conformité avec la réglementation. Les fonds passifs ont été les plus touchés, beaucoup ayant supprimé la mention ESG de leur appellation ou adapté leur référence. Dans la plupart des cas, les gestionnaires ont assuré que la suppression du label n’impliquait pas l’abandon d’une approche durable. Autrement dit, la stratégie reste inchangée même si le nom ne le reflète plus. Cette situation crée toutefois une complexité supplémentaire pour les investisseurs, qui ne peuvent plus se fier uniquement à la dénomination commerciale pour juger de la dimension responsable d’un fonds.

ESMA des ajustements ciblés pour les fonds actifs

Du côté des fonds gérés activement, les changements ont surtout porté sur les critères ESG appliqués. Environ un tiers d’entre eux a modifié ses exclusions ou renforcé ses seuils d’exposition minimale aux investissements durables. Par exemple, certains ont intégré les exclusions CTB ou PAB, d’autres ont relevé la part obligatoire de titres durables. Pourtant, dans la majorité des cas, l’impact sur les portefeuilles reste limité : seuls quatre fonds analysés ont connu de véritables changements de composition, et une douzaine ont rapporté des ajustements mineurs. La logique est claire : affiner les méthodologies sans bouleverser les allocations d’actifs.

Des évolutions plus méthodologiques pour les fonds passifs

Les fonds passifs, qui répliquent des indices, ont surtout été affectés par des changements dans les méthodologies de leurs indices sous-jacents. Les ajustements ont souvent consisté à intégrer les exclusions réglementaires pour continuer à revendiquer une appellation ESG. Fait notable : aucun fonds passif ayant supprimé la mention ESG n’a modifié sa méthodologie, confirmant que la suppression du label relevait plus de la conformité réglementaire que d’une révision stratégique. En revanche, les fonds ayant maintenu ou modifié la référence ESG ont dû adapter leur suivi d’indice. Peu de portefeuilles passifs ont connu de réels changements de positions, ce qui illustre une approche minimaliste dans l’application des nouvelles règles.

Un calendrier resserré et des données encore incomplètes

Beaucoup de changements de noms ont eu lieu juste avant la date butoir du 21 mai 2025. Les sociétés de gestion affirment que ces ajustements ont eu un impact marginal sur les stratégies et portefeuilles, mais l’absence de données détaillées publiées pour cette période complique l’évaluation par les investisseurs. Morningstar souligne que la situation reste évolutive et appelle à la prudence : les ajustements de méthodologie ou de composition pourraient se révéler dans les mois à venir, avec un impact plus concret sur certains fonds. Les investisseurs doivent donc dépasser le simple intitulé des produits et analyser les rapports détaillés pour s’assurer que les fonds choisis correspondent réellement à leurs valeurs.

Vers une finance durable plus crédible mais plus exigeante

Les nouvelles directives de l’ESMA constituent une étape importante pour crédibiliser la finance durable en Europe. Elles imposent plus de rigueur et réduisent le risque d’écoblanchiment, mais elles complexifient aussi le travail des investisseurs particuliers, qui doivent désormais aller au-delà du nom des fonds. Les gérants sont, eux, appelés à être plus transparents et cohérents dans leurs choix. À terme, ce cadre renforcé pourrait favoriser une meilleure lisibilité du marché, accroître la confiance et canaliser davantage de capitaux vers des stratégies véritablement alignées avec les objectifs de transition écologique et sociale.

Les grandes sociétés de gestion, dotées de moyens de recherche et de conformité plus importants, ont généralement mieux anticipé la réforme. À l’inverse, certaines structures plus petites ont dû revoir leurs processus dans l’urgence, parfois en simplifiant leurs gammes ou en supprimant toute référence ESG par précaution. Ce déséquilibre illustre la difficulté d’harmoniser les pratiques à l’échelle européenne, malgré une volonté commune de transparence.

La réaction des investisseurs institutionnels

Pour les grands investisseurs institutionnels – fonds de pension, assureurs, caisses de retraite – ces changements réglementaires constituent une opportunité d’exiger des garanties plus solides de la part des gestionnaires. Nombre d’entre eux ont déjà renforcé leurs appels d’offres et leurs critères de sélection en matière d’ESG. La réforme de l’ESMA pourrait ainsi accentuer la pression sur les sociétés de gestion pour plus de cohérence entre discours et réalité d’investissement.

La disparition de la mention ESG dans le nom d’un fonds ne signifie pas l’abandon d’une démarche durable, mais ce message reste parfois difficile à faire passer auprès des épargnants. La pédagogie des sociétés de gestion devient essentielle pour éviter une perte de confiance. Rapports annuels, fiches produits, webinaires pédagogiques ou encore labels officiels constituent désormais des outils indispensables pour maintenir la crédibilité et la lisibilité des offres.

Une réglementation appelée à évoluer encore

Les nouvelles règles ne représentent qu’une étape dans la régulation européenne de la finance durable. D’autres chantiers sont en cours, notamment l’amélioration de la taxonomie verte, le renforcement de la directive SFDR ou encore l’harmonisation des labels nationaux. À terme, les gestionnaires devront s’adapter à un cadre toujours plus exigeant, ce qui pourrait transformer en profondeur l’offre de produits financiers disponibles sur le marché européen.

Pour les épargnants, ces évolutions offrent à la fois plus de sécurité et plus de complexité. La réglementation réduit le risque d’écoblanchiment mais impose une lecture plus attentive des documents officiels pour comprendre la véritable stratégie d’un fonds. Cette situation pourrait inciter davantage d’investisseurs particuliers à se tourner vers des conseillers financiers ou vers des plateformes spécialisées capables de décrypter l’information extra-financière et d’éclairer leurs choix.

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