Vers un marché du carbone plus transparent et automatisé

marché du carbone

Le marché du carbone vit une profonde mutation. D’un fonctionnement artisanal, opaque et fragmenté, il évolue progressivement vers un écosystème structuré. Appuyé par l’intelligence artificielle, la télédétection et des mécanismes financiers de plus en plus sophistiqués. Cette transformation vise un double objectif. Garantir la fiabilité des données et instaurer une transparence indispensable pour attirer massivement les capitaux privés.

Ceci est un extrait d’une interview, sélectionné par votre média Green Finance, qui donne la parole à tous, même si cela peut vous déplaire et nous déclinons toutes responsabilités sur la source et les propos de cet extrait.

Automatiser la gestion carbone grâce à l’IA

Aujourd’hui, les entreprises pilotent encore leurs engagements « net zéro » de façon largement manuelle : tableurs, appels d’offres et recours systématique à des consultants. Une approche coûteuse et vulnérable aux erreurs.

De nouvelles solutions numériques émergent, notamment via l’intelligence artificielle. Elles visent à créer de véritables « agents de portefeuille carbone ». Capables d’automatiser la gestion des émissions, de l’eau et des déchets. Ces outils permettent de suivre en continu les projets de compensation. De réduire le poids des audits traditionnels et d’assurer une meilleure conformité.

L’IA appliquée aux données massives ouvre la voie à une transparence accrue. Tout en diminuant les coûts et délais associés aux vérifications. Elle pourrait rapidement remplacer certaines étapes lourdes et répétitives qui freinent encore les entreprises dans leur transition.

Du suivi manuel aux plateformes intelligentes

Jusqu’à présent, la gestion des engagements carbone reposait sur des procédures fragmentées : collecte de données dispersées, contrôles manuels et audits réalisés ponctuellement. Cette dépendance aux consultants spécialisés rend le processus lourd et peu évolutif.
Avec l’arrivée d’outils numériques intégrés, les données sont centralisées et analysées en continu, permettant une vision plus dynamique et fiable des performances climatiques d’une entreprise.

L’agent de portefeuille carbone : un nouveau standard

Les agents de portefeuille carbone représentent une innovation clé. Ils agissent comme des tableaux de bord intelligents capables :

  • de mesurer automatiquement les émissions, la consommation d’eau et la production de déchets,
  • de suivre l’avancement des projets de compensation carbone,
  • de comparer les engagements pris avec les résultats réels.
    En réduisant la dépendance aux audits externes, ils accélèrent la prise de décision et améliorent la conformité réglementaire.

Transparence et réduction des coûts

L’intégration de l’IA dans la gestion carbone n’a pas seulement une valeur technique. Elle répond à une demande croissante des investisseurs et régulateurs : plus de transparence dans la mesure et la communication des résultats.
L’automatisation permet de limiter les erreurs humaines, d’abaisser le coût des contrôles et de rendre les processus plus fluides. Cette transparence accrue renforce la crédibilité des engagements « net zéro » et facilite l’accès aux financements verts.

Vers un audit continu et automatisé

L’avenir de la gestion carbone pourrait ressembler à celui de la cybersécurité ou de la finance, avec des contrôles permanents plutôt que des vérifications ponctuelles. L’IA permet déjà de croiser de grands volumes de données environnementales, d’identifier les anomalies et de générer des alertes en temps réel.
Ce passage d’un audit « post-hoc » à un suivi continu constitue une rupture majeure, capable de transformer la façon dont les entreprises rendent compte de leurs progrès climatiques.

Données carbone : fiabilité et traçabilité au cœur du marché

Un défi majeur persiste : la périodicité et la fiabilité des données environnementales. Les bases de référence utilisées dans les projets sont parfois vieilles de plusieurs années, ce qui fragilise la confiance des investisseurs.

Pour répondre à cette limite, de nouvelles plateformes d’agrégation alimentées par la télédétection se développent. Elles permettent de collecter et actualiser des milliards de points de données, couvrant parfois des millions d’hectares. Chaque unité de carbone peut ainsi se voir attribuer un identifiant unique, comparable à un code-barres, afin d’éviter la double comptabilisation.

Cette « plomberie invisible » est essentielle : elle apporte l’assurance nécessaire aux transactions carbone et facilite la diligence des acteurs financiers. Plus la donnée est fraîche, fiable et traçable, plus les capitaux peuvent s’engager en confiance.

La périodicité des données, un frein à la crédibilité

De nombreux projets carbone s’appuient encore sur des relevés anciens, parfois non audités depuis plusieurs années. Dans un contexte où les investisseurs exigent une actualisation régulière des informations, cette lenteur constitue un obstacle majeur. Les marchés de capitaux refusent de valoriser des actifs reposant sur des bases obsolètes.

La télédétection, un outil de modernisation

Les technologies satellitaires et le lidar permettent aujourd’hui de suivre l’évolution des surfaces forestières, agricoles ou naturelles avec une précision inédite. Grâce à ces systèmes, il devient possible de collecter des données à une fréquence mensuelle et d’obtenir des séries statistiques robustes sur des millions d’hectares. Cette révolution technologique ouvre la voie à un suivi en temps réel, bien plus compatible avec les attentes financières.

L’identifiant carbone universel

Pour renforcer la transparence, certains acteurs proposent la création d’un identifiant carbone unique, comparable à un ISBN pour les livres ou un code-barres pour les produits de consommation. Cet identifiant vise à éviter la double comptabilisation des crédits carbone, problème récurrent dans un système fragmenté où plusieurs registres coexistent. À terme, cette standardisation pourrait devenir une condition incontournable pour toute transaction carbone sérieuse.

La « plomberie invisible » qui rassure les investisseurs

Même si ces mécanismes techniques peuvent sembler ennuyeux, ils représentent le socle de confiance du marché. Sans traçabilité claire et sans fiabilité des données, les capitaux privés hésitent à s’engager. En revanche, avec des flux d’information vérifiables, continus et standardisés, les projets carbone deviennent bancables. Les investisseurs peuvent alors déployer des financements à grande échelle, sachant que le risque de fraude ou de double comptabilisation est réduit.

Le carbone comme actif financier

Le marché volontaire du carbone reste aujourd’hui très opaque : contrats privés, prix variables, asymétrie d’information. À terme, il devra évoluer vers un modèle plus proche des marchés financiers traditionnels.

Deux visions opposées : matière première ou titre financier

Deux approches s’affrontent quant à la nature du carbone.

  • La logique de matière première : le carbone serait traité comme une commodité, avec un prix unique basé sur la livraison la moins chère. Cette vision favorise l’efficacité économique, mais risque d’entraîner un nivellement par le bas et d’encourager des projets de moindre qualité.
  • La logique financière : à l’inverse, considérer les crédits carbone comme des titres comparables à des obligations permettrait d’établir une hiérarchie de prix en fonction de la crédibilité et de la permanence des projets. Les crédits issus de projets robustes seraient valorisés, tandis que ceux jugés fragiles seraient décotés.

Cette différenciation pourrait jouer un rôle crucial dans la structuration du marché, en envoyant enfin un signal clair sur la qualité.

Le rôle du signal prix dans la crédibilité du marché

Un marché carbone mature doit refléter la valeur réelle des projets de réduction ou de séquestration. Comme sur les marchés obligataires, la diversité des notations (AAA vs CCC) crée un spectre de prix qui traduit le risque et la confiance des investisseurs.
Transposé au carbone, cela permettrait d’éviter l’opacité actuelle et de donner aux acheteurs un outil objectif pour distinguer les projets réellement transformateurs de ceux qui ne le sont pas.

L’essor de l’ingénierie financière appliquée au climat

L’innovation financière progresse à grande vitesse. Plusieurs instruments sont déjà en développement :

  • Produits structurés permettant de regrouper différents crédits et de mutualiser les risques.
  • Assurances et mécanismes de première perte, qui protègent les investisseurs contre les défaillances d’un projet.
  • Titrisation de réductions certifiées, transformant des projets carbone en actifs négociables à grande échelle.

Ces outils rapprochent le carbone des standards financiers classiques et facilitent l’entrée des grands investisseurs institutionnels, indispensables pour mobiliser des capitaux à hauteur des besoins climatiques.

Vers une véritable classe d’actifs

À mesure que la transparence progresse et que les outils financiers se raffinent, le carbone est appelé à devenir une classe d’actifs à part entière.
Son évolution dépendra de deux conditions essentielles :

  1. L’intégrité environnementale des projets : sans fiabilité, la confiance des investisseurs ne pourra pas s’installer.
  2. La standardisation des données et des contrats : nécessaires pour fluidifier les échanges et p ermettre des volumes significatifs.

Si ces conditions sont réunies, le carbone pourrait suivre le même chemin que d’autres marchés financiers : d’abord balbutiant et fragmenté, puis progressivement intégré, liquide et crédible.

Conseils aux nouveaux entrants

Pour les acteurs souhaitant entrer sur le marché du carbone, plusieurs étapes clés permettent de structurer efficacement leur démarche et de limiter les risques liés à un secteur encore complexe et fragmenté.

Mesurer ses émissions et établir une stratégie de réduction

Le point de départ est systématique : chaque entreprise doit connaître précisément l’ampleur de ses émissions directes et indirectes. Cette étape implique :

  • le calcul des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble des activités de l’entreprise,
  • l’identification des sources majeures de consommation d’énergie et de carbone,
  • la définition d’objectifs de réduction ambitieux et réalistes.

La compensation carbone ne doit intervenir qu’une fois que ces efforts internes ont été mis en œuvre. Il s’agit de réduire d’abord, puis de neutraliser ce qui reste. Cette approche garantit que l’impact environnemental réel est maximisé et que les fonds investis dans les crédits carbone servent à financer des projets additionnels et de qualité.

S’appuyer sur des coalitions et initiatives sectorielles

Pour naviguer dans un marché fragmenté et opaque, rejoindre des coalitions d’acheteurs ou des groupes sectoriels constitue une stratégie efficace :

  • Cela permet de mutualiser la diligence et la vérification des projets, réduisant ainsi le temps et le coût pour chaque entreprise.
  • Ces coalitions offrent une visibilité sur les projets les plus crédibles et les plus transparents, permettant de limiter les risques liés à des projets de faible qualité.
  • L’expérience et les données des grands acteurs pionniers peuvent être partagées, offrant un « raccourci » aux nouveaux entrants pour comprendre les bonnes pratiques.

Utiliser des intermédiaires financiers spécialisés

Les intermédiaires financiers jouent un rôle clé pour les entreprises qui n’ont pas les ressources ou l’expertise pour acheter directement des crédits carbone :

  • Ils structurent les produits carbone en conformité avec les réglementations internationales et l’Article 6,
  • Ils permettent aux entreprises de déléguer la gestion de la diligence, la tenue des registres et la compensation,
  • Ils offrent des solutions adaptées à différentes tailles d’entreprises, allant de la PME aux grandes multinationales.

À mesure que les banques et les assureurs entrent sur ce marché, ces services deviennent plus accessibles, efficaces et sécurisés. La combinaison de ces acteurs avec des outils numériques avancés permet à une nouvelle entreprise de participer à la transition carbone sans exposer son capital à des risques disproportionnés.

Les attentes pour les prochaines étapes

Ouverture des marchés réglementés aux projets de haute qualité

Les intervenants soulignent la nécessité d’élargir les opportunités offertes par les marchés réglementés. Aujourd’hui, seules une minorité de leurs obligations peuvent être affectées à des projets carbone de haute qualité et à impact environnemental tangible. Une plus grande ouverture permettrait d’augmenter le financement destiné à ces initiatives, de stimuler l’innovation et d’assurer une meilleure visibilité des bénéfices réels pour l’environnement. À terme, cette évolution pourrait créer un flux continu de capitaux vers des projets robustes et vérifiables, réduisant la dépendance aux marchés volontaires fragmentés et opaque.

Renforcement du recours à la dette privée

Pour accélérer le financement climatique, il est crucial de diversifier les sources de capital. Les intervenants insistent sur l’importance de mobiliser la dette privée, en plus des investissements directs étrangers et des fonds publics. Augmenter les ratios d’endettement sur les projets carbone permettrait de réduire le coût du financement, d’améliorer les rendements pour les investisseurs et de libérer davantage de capitaux pour le développement d’initiatives à grande échelle. Cela constituerait un levier essentiel pour rendre les projets carbone viables et attractifs sur le long terme.

Engagements audacieux et responsabilisation des entreprises

Le marché du carbone ne peut progresser sans un comportement volontaire et ambitieux des entreprises. Il s’agit d’aller au-delà des déclarations symboliques et de mettre en place des engagements réels, mesurables et contrôlables. La transparence et la reddition de comptes sont essentielles pour créer la confiance, non seulement entre les investisseurs et les développeurs de projets, mais également au sein des coalitions d’acheteurs et des initiatives corporatives de compensation carbone. Ces engagements audacieux sont perçus comme un moteur indispensable pour l’ensemble du marché.

Maturation du marché et sophistication financière

Enfin, les intervenants souhaitent voir le marché du carbone atteindre un niveau de maturité comparable aux marchés financiers traditionnels. Cela inclut la capacité à réaliser des transactions massives, à standardiser les instruments financiers et même à permettre des positions « short » sur le carbone, favorisant la découverte de prix et l’allocation optimale des ressources. Une telle sophistication transformerait le carbone en véritable classe d’actifs, offrant à la fois sécurité et liquidité, tout en assurant que les projets sous-jacents maintiennent des standards élevés de qualité et de conformité.

Une classe d’actifs complète et fiable

L’objectif ultime reste clair : établir le carbone comme une classe d’actifs autonome, soutenue par des données fiables, des normes transparentes et des mécanismes financiers solides. Ce cadre permettrait non seulement d’attirer des capitaux institutionnels de grande échelle, mais aussi de stimuler le développement global de projets carbone crédibles, garantissant un impact réel sur la réduction des émissions et la protection de l’environnement.

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