
Au troisième trimestre 2025, le marché européen de la finance durable a connu une dynamique contrastée. Les fonds classés Article 8 du règlement SFDR (promouvant des caractéristiques environnementales et sociales) ont enregistré une forte reprise, attirant près de 75 milliards d’euros de capitaux, soit leur meilleur trimestre depuis 2021. En revanche, les fonds Article 9, censés poursuivre un objectif d’investissement durable clair, continuent de subir des retraits massifs — 7,1 milliards d’euros de sorties, marquant leur huitième trimestre consécutif de reflux.
Ce mouvement révèle un glissement des préférences des investisseurs : une recherche d’exposition à des produits “durables” mais flexibles, au détriment de stratégies trop strictement étiquetées “vert foncé”.
L’essor de l’investissement durable : d’une niche militante à un pilier de la finance mondiale
Au début des années 2000, l’investissement responsable restait un segment confidentiel, souvent porté par des institutions éthiques ou confessionnelles. Les stratégies d’exclusion – consistant à écarter les entreprises liées à des secteurs controversés comme le tabac, les armes ou les énergies fossiles – dominaient largement.
L’explosion du concept ESG, dans les années 2010, a changé la donne. Sous la pression conjuguée des ONG, des régulateurs et des citoyens, les grands acteurs financiers ont intégré ces critères dans leurs politiques d’investissement. Entre 2016 et 2022, selon les données compilées par Morningstar, les encours des fonds dits « durables » ont été multipliés par cinq, dépassant les 2 500 milliards de dollars à l’échelle mondiale.
Cet essor a reposé sur plusieurs moteurs :
- la prise de conscience climatique, accentuée par l’Accord de Paris de 2015 ;
- la demande croissante des investisseurs institutionnels, soucieux de gérer les risques liés aux transitions énergétique et sociale ;
- l’émergence de labels et réglementations (SFDR, taxonomie européenne, etc.) ;
- et enfin, la volonté des jeunes générations d’investir selon leurs valeurs.
Mais cette expansion rapide a aussi généré des zones d’ombre : confusion sur les définitions, multiplication des labels, divergence des méthodologies ESG et accusations de « greenwashing ».
La normalisation réglementaire : un nécessaire encadrement de la promesse verte
Face à la prolifération de fonds se revendiquant durables, l’Union européenne a voulu instaurer un cadre commun. Le Règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), entré en vigueur en 2021, impose aux sociétés de gestion de classifier leurs fonds selon trois catégories :
- Article 6 : fonds sans objectif durable explicite ;
- Article 8 : fonds promouvant des caractéristiques environnementales ou sociales ;
- Article 9 : fonds ayant un objectif d’investissement durable explicite.
Cette distinction, censée apporter transparence et comparabilité, a paradoxalement entraîné une vague de reclassifications. De nombreux fonds initialement labellisés « Article 9 » ont été rétrogradés vers « Article 8 » par crainte d’être accusés de surpromesse.
Selon les données de Morningstar Sustainalytics, près de 40 % des fonds européens Article 9 en 2022 ont été reclassés en Article 8 en 2023. Une évolution que Hortense Bioy analyse comme « un signe de maturité du marché ». Elle précise :
« Les gestionnaires d’actifs se montrent plus prudents. Ils comprennent que la crédibilité prime désormais sur le volume. Cette clarification était nécessaire pour restaurer la confiance des investisseurs. »
En parallèle, la taxonomie européenne – qui définit les activités économiques considérées comme durables – constitue une autre brique essentielle du dispositif. Cependant, sa complexité et son caractère évolutif continuent de susciter débats et incertitudes.
La question de la performance : mythe ou réalité d’un surcroît de rendement durable ?
L’un des grands arguments de l’investissement durable fut longtemps celui d’une meilleure performance ajustée au risque. L’idée : les entreprises vertueuses, mieux gérées, seraient plus résilientes sur le long terme.
Les études académiques et empiriques offrent toutefois des résultats nuancés. Selon Morningstar, la performance moyenne des fonds durables européens entre 2018 et 2023 reste comparable à celle des fonds traditionnels, avec une légère surperformance dans les secteurs technologiques et de consommation, mais un retard dans l’énergie et les matières premières.
Pour Hortense Bioy, il serait erroné de réduire la durabilité à un simple critère de performance financière :
« L’investissement durable n’est pas une stratégie miracle. C’est avant tout une approche de gestion des risques extra-financiers et une façon d’aligner le capital sur les grandes transitions sociétales. »
De fait, les fluctuations des prix de l’énergie depuis la guerre en Ukraine ont rappelé une évidence : les marchés restent sensibles à des logiques macroéconomiques classiques. Les fonds fortement désengagés des énergies fossiles ont souffert de la flambée des cours pétroliers en 2022.
Cependant, sur le long terme, la tendance structurelle reste favorable aux entreprises alignées sur la transition énergétique, notamment dans les secteurs des énergies renouvelables, de la mobilité verte et de l’efficacité énergétique.
Le greenwashing : le talon d’Achille de la finance durable
L’un des reproches majeurs adressés à la finance durable est celui du greenwashing, cette pratique consistant à embellir l’image écologique d’un produit financier ou d’une entreprise sans engagement réel.
En 2023, plusieurs gestions d’actifs ont été sanctionnées par des autorités de marché pour communication trompeuse. La conséquence : une méfiance croissante des investisseurs, notamment institutionnels, qui exigent davantage de traçabilité des données ESG.
Morningstar Sustainalytics, dont la mission principale est d’évaluer le risque ESG des entreprises, joue un rôle crucial dans cette quête de transparence. Son approche repose sur l’analyse de la matérialité financière : évaluer les enjeux ESG susceptibles d’affecter la performance économique d’une entreprise.
« L’objectif n’est pas de distribuer des bons ou mauvais points moraux, mais d’évaluer comment les facteurs environnementaux et sociaux influent sur la valeur à long terme », rappelle Hortense Bioy.
Cette approche pragmatique séduit de plus en plus d’investisseurs, car elle permet d’intégrer les critères ESG sans tomber dans une approche idéologique.
Les investisseurs face à la complexité des données ESG
La fiabilité des données reste l’un des principaux défis de l’investissement durable. Les entreprises publient des informations hétérogènes, souvent non vérifiées, et les agences de notation ESG utilisent des méthodologies divergentes.
Une étude de Morningstar Sustainalytics a montré que la corrélation moyenne entre les scores ESG de différents fournisseurs ne dépasse pas 0,6 — contre 0,99 pour les notations de crédit. Autrement dit, deux agences peuvent avoir des avis diamétralement opposés sur la durabilité d’une même entreprise.
Pour les investisseurs, cette disparité rend la comparabilité difficile et peut engendrer des arbitrages incohérents. Les régulateurs travaillent donc à renforcer les standards de publication (CSRD en Europe, ISSB à l’échelle mondiale) afin d’uniformiser les pratiques.
Dans cette optique, Hortense Bioy souligne l’importance d’une interopérabilité internationale des normes :
« Nous devons éviter la fragmentation des cadres de reporting. Les investisseurs opèrent à l’échelle mondiale ; ils ont besoin d’un langage commun pour évaluer les risques et les opportunités ESG. »
Le retour de balancier : vers une finance durable plus réaliste
Depuis 2022, on observe un recul relatif des flux vers les fonds durables, notamment en Europe. Plusieurs facteurs expliquent ce reflux :
- la hausse des taux d’intérêt, qui a redirigé les capitaux vers des placements obligataires plus classiques ;
- la baisse des performances boursières des entreprises vertes ;
- et la lassitude d’une partie du public face à la complexité du discours ESG.
Pour autant, il ne s’agit pas d’un désaveu, mais d’une phase de consolidation. Les fonds les plus solides – ceux qui reposent sur des méthodologies transparentes et cohérentes – continuent d’attirer les capitaux de long terme.
Comme le résume Hortense Bioy :
« Le marché fait le tri. L’investissement durable entre dans une nouvelle phase : celle de la crédibilité. »
Les nouvelles tendances : impact, transition et double matérialité
La prochaine génération d’investissement durable ne se limite plus à exclure ou à sélectionner ; elle vise à mesurer l’impact concret.
Les fonds à impact cherchent à financer des projets ou entreprises apportant une contribution mesurable aux objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU. Ils s’inscrivent dans une logique de « double matérialité », où l’on évalue non seulement l’effet des enjeux ESG sur la performance financière, mais aussi l’impact de l’entreprise sur la société et l’environnement.
Selon Morningstar Sustainalytics, la part des fonds se réclamant de l’impact investing reste minoritaire (moins de 10 % du marché), mais leur croissance est rapide, notamment auprès des investisseurs institutionnels et des fonds souverains.
La finance de transition constitue une autre évolution clé. Elle vise à accompagner les secteurs à forte intensité carbone dans leur transformation, plutôt que de les exclure purement et simplement.
Cette approche pragmatique répond à une exigence de réalisme : la décarbonation de l’économie mondiale ne peut se faire sans l’implication des grands acteurs énergétiques et industriels.
Les marchés émergents : la nouvelle frontière de la durabilité
Longtemps centrée sur l’Europe et l’Amérique du Nord, la finance durable s’étend désormais aux marchés émergents. Ces régions, fortement exposées aux risques climatiques et sociaux, représentent un terrain d’expérimentation crucial.
Morningstar Sustainalytics observe une montée en puissance des émissions d’obligations vertes en Asie, en Amérique latine et en Afrique. En 2024, plus de 500 milliards de dollars d’obligations durables ont été émises par des pays émergents, soit une progression de 30 % sur un an.
Mais les défis restent nombreux : manque de données, instabilité politique, infrastructures financières insuffisantes. Les investisseurs doivent combiner rigueur analytique et compréhension locale.
Pour Hortense Bioy, ces marchés « ne sont pas seulement des zones de risque, mais des laboratoires de la transition ». Ils permettent d’observer comment la durabilité s’adapte à des contextes économiques hétérogènes.
Lire l’étude complète ici.
Vers un nouvel équilibre entre éthique et rendement
L’investissement durable se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. D’un côté, la demande sociétale pour une économie responsable reste forte. De l’autre, la discipline ESG doit prouver qu’elle peut s’intégrer harmonieusement dans les logiques de performance financière.
Le défi à venir consiste à réconcilier éthique et rendement, en démontrant que la durabilité n’est pas une contrainte mais une composante stratégique du succès économique.
Les grandes maisons de gestion, accompagnées par des analystes comme Morningstar Sustainalytics, développent de plus en plus d’outils d’évaluation intégrée, combinant données financières, indicateurs de transition et critères d’impact.
Le but n’est plus seulement de « faire du vert », mais de construire des portefeuilles alignés sur un futur viable.
L’investissement durable
L’investissement durable entre dans une phase de maturité critique. Après l’euphorie des débuts et la prolifération des labels, l’heure est à la rigueur, à la transparence et à la mesure d’impact réelle.
Comme le résume Hortense Bioy, « le temps du marketing est révolu ; celui de la responsabilité commence. »
Le rôle d’acteurs comme Morningstar Sustainalytics sera décisif pour accompagner cette transition : affiner les méthodologies, harmoniser les données, et surtout, aider les investisseurs à distinguer la sincérité de la façade.
La finance durable n’a pas dit son dernier mot : elle se réinvente, plus sobre, plus exigeante, et sans doute plus crédible. Ce tournant, bien qu’inconfortable pour certains acteurs, marque la véritable entrée de l’investissement responsable dans la maturité.
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