
L’image est presque surréaliste : un groupe pétrolier lourd de condamnations pour « greenwashing », convie la planète à croire en sa transition écologique tout en siégeant aux premières loges d’une conférence internationale sur le climat. Au moment où les regards se tournent vers la diplomatie climatique comme une partition à jouer sans fausse note, TotalEnergies publie ses propres solos… sur des cordes opposées. Résultat : quand les brigades du climat entendent monter le volume pour sauver le monde, le groupe vient brancher sa guitare à distorsion – il y a là un sérieux doute sur l’accord final.
Rappel des faits
En octobre 2025, un tribunal civil français a condamné TotalEnergies pour pratiques commerciales trompeuses, suite à une action de Greenpeace France, Les Amis de la Terre et Notre Affaire à Tous : ses affirmations sur son ambition de « neutralité carbone en 2050 » et son rôle de « acteur majeur de la transition énergétique » ont été jugées susceptibles d’induire en erreur le public.
Simultanément, TotalEnergies est sous enquête pénale pour des chefs d’accusation grave : « défaut de lutte contre une catastrophe », homicide involontaire, atteinte à l’intégrité de la personne, destruction de biens…
Et pourtant, surprise : lors de la COP30 (Conférence des Parties, Belém, Brésil, novembre 2025), le groupe est présent au sein de la délégation française : « Cinq émissaires du géant pétrolier, dont son dirigeant Patrick Pouyanné, ont été accrédités dans la délégation française. »
Le paradoxe (et le risque)
Voici l’annotation centrale : comment crédibiliser la voix d’un pollueur historique quand ce même acteur se retrouve dans le cercle décisionnel d’une conférence supposée freiner les énergies fossiles ? D’un côté, le discours officiel français à la COP30 affiche un cap clair : « la sortie progressive des énergies fossiles sera un enjeu diplomatique de premier ordre ». De l’autre côté, l’inclusion de TotalEnergies dans la délégation nationale pose une incongruité majeure.
Influence possible : La présence même dans la délégation donne accès à « tous les espaces de la conférence », ce qui inclut les coulisses des négociations, les réseaux, les accès réservés…
Symbolique et message envoyé : Le « business as usual » économique prime lorsqu’un champion de l’hydrocarbure siège à la table climat. Cela affaiblit la confiance des pays vulnérables et des ONG dans la sincérité des engagements.
Risque de blocage ou de dilution : Au moment où la COP30 doit passer du « quoi faire » au « comment faire », la présence d’acteurs lourds de l’industrie fossile risque de ralentir l’ambition, de diluer les textes, ou de privilégier des compromis minimalistes.
En un mot : ce n’est pas forcément un complot, mais c’est un pari sur la fluidité des négociations que ce groupe ait une place aussi centrale.
Son rôle à la COP30
Dans la délégation française, TotalEnergies dispose d’un statut d’accréditation via l’État, lui offrant badge et accès.
Concrètement, il ne s’exprime pas officiellement « au nom de la France », mais il participe aux espaces de négociation, aux forums, aux « party overflow » (zones réservées aux délégations non-étatiques/parties prenantes) et peut donc faire entendre ses positions informellement.
Cela signifie qu’il est en mesure d’agir sur les orientations de textes, d’impacter les alliances, de dialoguer avec les délégations, et potentiellement de pousser vers des formulations compatibles avec ses intérêts (et donc moins contraignantes pour le secteur fossile).
Cinq alternatives : comment s’y prendre sans être dans le conflit d’intérêts apparent
1. Transparence totale et séparation claire des rôles
L’État pourrait exiger que les membres issus d’acteurs fossiles soient clairement identifiés, qu’ils n’aient pas de rôle de négociation officielle mais seulement d’observateurs, et qu’ils publient leurs prises de parole et positions. Cela réduit le risque de capture des discussions.
2. Budget et financement dédié à la transition, suivi par un tiers indépendant
L’entreprise pourrait s’engager à destiner un pourcentage précis de ses profits à des projets de transition (exemple : 5 % des profits dans les 5 ans), soumis à audit externe. Cela donne du corps à l’engagement plutôt qu’un simple slogan.
3. Engagement « sortie fossile » retrait concret
S’engager à une date ferme de cession ou de fermeture progressive de certaines exploitations d’énergies fossiles, avec calendrier clair et vérifiable. Cela élèverait le discours au-delà du marketing.
4. Co-pilotage public-privé de projets renouvelables dans les pays vulnérables
Utiliser l’expertise industrielle pour porter des projets à fort impact dans les pays en développement (énergie solaire, stockage, biogaz, etc.) avec transfert technologique, et contraindre l’entreprise à ne pas faire de nouveaux projets fossiles dans ces mêmes pays.
5. Mécanisme de « bonus/malus climatique » pour dirigeants
Inclure dans la rémunération des dirigeants de l’entreprise des objectifs liés à l’atteinte de la neutralité carbone (vérifiée par tiers). Si les objectifs sont manqués, sanctionner financièrement. Cela aligne l’intérêt individuel sur l’objectif climat.
Trois autres pistes… d’imagination
Création d’un « fonds de transition hydrocarbure à verte » au sein de l’entreprise : un capital séparé pour liquider graduellement les actifs fossiles et réinvestir dans les solutions bas-carbone, gouverné par un comité indépendant.
Partenariat « justice climatique » avec les communautés impactées : l’entreprise peut s’engager à des réparations ou reconversions des zones autour des anciens sites fossiles (reforestations, reconversion industrielle verte, formation des travailleurs).
Programme « Startup verte » financé par les dividendes fossiles : chaque année, un pourcentage des dividendes issus des hydrocarbures sert à incubateur de jeunes pousses (clean-tech, circular economy, efficacité énergétique) avec reporting public.
En conclusion, la présence de TotalEnergies à la COP30 est un signal très fort, mais pas nécessairement dans le bon sens.
Pour la communauté green-finance, pour les investisseurs, pour la société civile, c’est une alerte et une maniere de reflechir et de se remettre en question face a l actualité, sans etre taxé de complotisme.
Ainsi surveiller de près les textes, les engagements, les arbitrages. Il s’agira moins d’« y croire » que de vérifier les partitions avant de lancer l’orchestre.
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