Annulation de la dette publique : où en est-on ?

Juridiquement et comptablement, rien n’empêche une annulation des dettes publiques détenues par les banques centrales. Il reste toutefois un problème : si cette annulation est possible juridiquement, la BCE ne peut être forcée à le faire, car elle est indépendante. Et parce qu’elle est indépendante, elle n’est pas non plus légitime pour prendre cette décision. L’indépendance est donc une impuissance. Cela vient nous rappeler que la politique monétaire est une chose trop sérieuse pour être laissée entre les seules mains de banquiers centraux sans légitimité politique. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas annuler les dettes qu’elles détiennent.

Pour libérer des marges de manœuvre immédiate aux Etats, la meilleure solution est l’annulation pure et simple des dettes publiques détenues par les banques centrales nationales de l’Eurosystème pour le compte de la BCE. C’est possible juridiquement et comptablement, en même temps que nécessaire moralement et économiquement.

 Des sommes gigantesques (420 milliards d’euros dans le cas de la France, plus de 2 000 milliards d’euros à l’échelle de l’UE) seraient immédiatement libérées de la contrainte du remboursement par les Etats. Au lieu de faire rouler la dette pour payer ces anciennes dettes avec de nouvelles dettes, ces derniers pourraient instantanément émettre une même quantité de dettes pour investir dans l’économie avec un ratio de dette/PIB inchangé. Les arguments sur le poids de l’endettement public transmis à nos enfants se verraient couper l’herbe sous le pied…

Cela ne changerait rien pour la banque centrale. Son passif est en effet constitué de monnaie centrale, dont elle est à l’origine et qu’elle peut créer sans limites. Dès lors, peu importe que son bilan soit déséquilibré : si un actif disparaît, elle n’a qu’à modifier son passif comme bon lui semble. D’ailleurs une banque centrale peut tout à fait fonctionner avec des fonds propres négatifs, comme l’a confirmé à plusieurs reprises la Banque des règlements internationaux (BRI).

Deux obstacles s’opposent cependant à cette alternative :

Premièrement, celui qui consiste à dire que cela ne changerait rien, la banque centrale reversant ses dividendes à l’Etat. En effet, en abandonnant les créances publiques qu’elles détiennent, les banques centrales ne seraient plus en mesure de reverser autant de dividendes à leur Etat, mais la charge d’intérêt de l’Etat serait réduite d’autant. L’essentiel n’est pas là, mais dans la libération immédiate de plusieurs centaines de milliards d’euros de dettes à rembourser qu’ils pourraient aussitôt réinvestir. Ce serait au final une opération parfaitement rentable pour les Etats, d’autant plus qu’ils récupéreraient mécaniquement sous forme d’impôts ce que le surcroît d’injection de monnaie dans l’économie entraînera.

Le second argument consiste à dire que des pertes obligeraient les Etats à recapitaliser la banque centrale. En premier lieu, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est muet sur cette question. Elle est abordée seulement dans le protocole n°4 qui lui est annexé. Son article 33 dit clairement que des pertes éventuelles de la BCE doivent d’abord être épongées sur son fonds de réserve, puis en réduisant la part des bénéfices reversée aux banques centrales nationales et, enfin, si ces pertes étaient vraiment importantes, en piochant dans le capital alloué aux banques centrales nationales. D’ailleurs, l’article 28.2 du même protocole dit que : « Les banques centrales nationales sont seules autorisées à souscrire et à détenir le capital de la BCE ». Autrement dit, même s’ils le voulaient, les Etats n’auraient pas le droit de recapitaliser la BCE. Cette dernière pourrait toutefois se tourner vers les banques centrales nationales pour éponger ses pertes, le capital de ces dernières étant détenu par les Etats. le protocole indique, à l’article 32.4, que, si une banque centrale nationale connaît des pertes substantielles, la BCE pourrait les compenser : « Le conseil des gouverneurs peut décider d’indemniser les banques centrales nationales pour les frais encourus à l’occasion de l’émission de billets ou, dans des circonstances exceptionnelles, pour des pertes particulières afférentes aux opérations de politique monétaire réalisées pour le compte du SEBC (Système européen de banques centrales, NDLR). L’indemnisation prend la forme que le conseil des gouverneurs juge appropriée. » Cette forme « appropriée » pourrait être une création monétaire directe de la part de la BCE pour recapitaliser les banques centrales.

La transformation en dettes perpétuelles ne permet pas de réduire le ratio dette/PIB ni le bilan de la banque centrale, car la créance serait toujours là. Techniquement, cela n’a aucune importance mais politiquement cela en a une. On nous a déjà dit que l’Etat était en « quasi-faillite » à 63 % de dette publique par rapport au PIB. Qu’en sera-t-il à 120 ou 130 % ?

Disons-le d’emblée : la « politique » monétaire que nous connaissons n’a rien d’une politique puisque l’indépendance des banques centrales les coupent précisément du pouvoir politique. Les banques centrales n’exercent qu’une « gestion » monétaire, avec des outils limités, tournés vers la lutte contre l’inflation et la préservation de la liquidité du système monétaire et financier. Elles se trouvent donc bien embarrassées quand on leur demande d’agir massivement pour sauver les Etats de l’effondrement. Certes, elles peuvent acheter des dettes publiques sur le marché secondaire, grâce à une victoire de Mario Draghi en 2013, dictée par la crise des dettes souveraines. Et elles viennent aujourd’hui de faire sauter la clé de répartition dans leurs achats de dettes entre les différents pays européens.