Attention aux noms de fonds durables trompeurs !

Le 23 Mars 2023 : Une analyse sémantique publiée par Novethic sur un panel de fonds durables ayant au moins un label a révélé que les investisseurs sont attirés par les noms associés à la finance durable, ce qui entraîne une augmentation de la collecte de ces fonds.

Cette étude montre également que ces fonds ne sont pas nécessairement gérés de manière adaptée, soulignant ainsi la nécessité de revoir les stratégies de gestion de ces fonds.

Par Nicolas REDON et Myriam MENIF de Novethic Essentiel

Les appellations de certains fonds durables peuvent entraîner un risque élevé de greenwashing

Le greenwashing est depuis quelques années un sujet de préoccupation majeur des autorités financières, aussi bien au niveau européen (ESMA et EIOPA) qu’au niveau français (AMF et ACPR). Selon un papier de position publié en février 2023 par le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), les risques de greenwashing sont particulièrement importants dans le secteur des fonds d’investissement, et les stratégies autour du naming des fonds en sont partiellement à l’origine. « Des lacunes réglementaires, une normalisation insuffisante, l’utilisation de termes relativement nouveaux et vagues, et l’absence de données fiables facilitent l’écoblanchiment » estime le BEUC.

Malgré la densification de la réglementation visant à encadrer les produits financiers dits durables, le nom des fonds reste un sujet que la réglementation ne traite pas. Sujet de nombreuses discussions, le règlement SFDR normalise désormais le niveau de transparence requis pour chaque acteur des marchés financiers et pour les catégories de produits qu’il a engendrées, mais n’encadre pas les stratégies marketing.

De fait, l’équivalence abusive dressée entre la classification de fonds selon SFDR et une assurance externe de qualité a alimenté un effet d’aubaine commerciale. Celui-ci se reflète dans la collecte des fonds, qui a évolué en deux temps. Ce sont dans un premier temps les fonds Article 8 qui ont connu la tendance la plus favorable, jusqu’à début 2022, avant qu’ils ne subissent la forte décollecte observée à l’échelle de l’ensemble des fonds après l’irruption de la guerre en Ukraine. Plus modeste en valeur absolue, la collecte nette positive des fonds Article 9 est pour sa part continuelle depuis l’apparition de ces catégories.

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Dans l’analyse qui accompagne le graphique ci-dessus, publié dans le rapport Risks, Trends and Vulnerabilities 2023, l’ESMA note que ces tendances mettent en lumière une plus grande résilience des produits dont les attributs en matière de durabilité sont perçus comme meilleurs, confirmant le constat que les investisseurs axés sur la durabilité sont moins sensibles aux rendements à court terme.»

L’ESMA constate également que la demande de produits financiers « durables » reste soutenue, malgré un large mouvement de déclassification des fonds Article 9 en fin d’année 2022, largement relayée dans la presse financière. Ainsi, entre mars 2022, au sein d’un panel de 217 fonds Article 9 gérés en France, et mars 2023, Novethic comptabilise que 47% des fonds ont « rétropédalé » sur leur catégorie SFDR.

Il est particulièrement intéressant de constater au sein de ce panel que les fonds ayant opté pour une stratégie de naming, c’est-à-dire une stratégie marketing passant par le choix d’un nom intégrant une référence à la durabilité, et ceux ayant opté pour une dénomination neutre ont suivi le mouvement de déclassification sans distinction. En effet, parmi les 217 fonds initiaux, on retrouve la même proportion de déclassification parmi les fonds ayant adopté une stratégie de naming (50%) que parmi ceux ayant un libellé neutre (49%).

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Pourtant, bien que le nom ne soit pas un attribut permettant de préjuger des caractéristiques durables d’un fonds, les chiffres de collecte compilés à partir de Morningstar Direct à l’échelle des 217 fonds autodéclarés « Article 9 » en mars 2022 montrent une tendance bien plus favorable pour les fonds utilisant dans leur libellé des termes liés à l’ESG ou la durabilité, que dans le cas de terminologies plus neutres. La collecte observable à l’échelle de ce panel illustre à quel point «l’utilisation de termes suggérant une concentration des investissements dans des entreprises qui répondent à certaines normes ESG» est un outil marketing particulièrement puissant», comme l’écrit l’ESMA.

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Faut-il se méfier des fonds qui changent de nom ?

Comme le reconnait l’ESMA, des pressions concurrentielles» sur le marché des fonds dits durables incitent les gestionnaires d’actifs à inclure dans les noms de leurs fonds une terminologie conçue pour attirer les actifs des investisseurs », ce que corrobore une analyse publiée en février 2023 par Morningstar. Au total, ses analystes ont identifié 988 fonds domiciliés en Europe qui ont changé de nom en ajoutant un terme lié à la durabilité depuis 2018, date à laquelle le Plan d’action européen sur la finance durable a été dévoilé. Morningstar note d’ailleurs que le pic de « rebranding » a été atteint au moment de l’entrée en vigueur des obligations SFDR de niveau 1, en 2021. Toujours selon cette étude, «les fonds renommés montrent une amélioration de leur profil de durabilité dans la phase de changement de nom», notamment en baissant l’exposition aux combustibles fossiles ou en améliorant les scores ESG, mais ces fonds renommés n’atteignent en majorité pas les caractéristiques des « fonds durables » selon la nomenclature Morningstar et leurs efforts pour devenir plus ESG semblent s’estomper avec le temps». L’analyse se conclut en avançant que beaucoup de ces fonds n’étaient plus dans le radar des investisseurs avant le changement de marque», et que l’ajout d’une terminologie liée à la durabilité ;apporte un regain d’attention, ne serait-ce que pour quelques mois.»

L’analyse de quelques changements de nom récemment opérés par des sociétés de gestion sur leurs produits financiers permet de mieux en cerner la finalité marketing, à travers trois cas de figure.

  • Apport d’une précision ou nuance relatives à la thématique d’investissement du fonds
Art.
SFDR
Ancien nomNouveau nomJustificationAccroche marketing actuelle
9ActiveSocial LeadersAméliorer la perception des objectifs du fonds, sans impact sur son profil et son processus d’investissement.Sélection d’entreprises dotées d’une démarche d’intégration des enjeux sociétaux dans leur stratégie de développement.
8Credit IncomeSDGCredit IncomeMieux refléter l’engagement aux ODD.Fonds qui investit dans des entreprises qui contribuent à la réalisation des ODD des Nations unies.
8Or BleuPlanètePasser de sociétés exerçant leur activité au service de l’eau à des sociétés dont l’activité est liée à l’environnement.Investir sur la thématique de l’environnement et la sauvegarde de la planète.
  • Ajout d’un terme lié à la durabilité sans modification substantielle de la politique d’investissement
Art.
SFDR
Ancien nomNouveau nomJustificationAccroche marketing actuelle
8Fund GlobalFund Global
Sustainable
N/AInvestir dans des entreprises qui ont à la fois une création de valeur attrayante à long terme et qui ont adopté une approche de développement durable.
8Europe ActionsEuropeValeurs ResponsablesL’opération n’a pas pour conséquence de modifier le profil de rendement /risque et les autres caractéristiques demeurent inchangées.N/A
8Bonds Bonds ESGPolitique d’investissement modifiée pour limiter l’investissement dans les titres non notés ESG à un maximum de 10% des actifs du compartiment. Le compartiment intègre des facteurs de durabilité dans son processus d’investissement.
  • Usage d’une dénomination standard pour signaler les fonds relevant d’une catégorie SFDR

Certaines sociétés de gestion articulent directement le nom des fonds avec leur classification SFDR. Il peut s’agir comme dans l’exemple ci-dessous d’ajouter « ESG » au libellé de chaque fonds « Article 8 ».

Art.
SFDR
Ancien nomNouveau nomJustificationAccroche marketing actuelle
8Bond Global CorporatesBond GlobalESG
Corporates
Convention de dénomination selon laquelle tout nom de compartiment conforme à l’article 8 doit inclure le terme “ESG”.Ce produit ne promeut pas une approche ESG et n’a pas d’objectif d’investissement durable.

Une telle stratégie semble aller à l’encontre de l’intention du législateur européen au moment du lancement de SFDR. En effet, la finalité de la catégorie « Article 8 » est de soumettre au même niveau de transparence un large éventail de fonds selon des caractéristiques allant de « l’impression que les investissements prennent en compte la durabilité » à des allégations directes ; et non d’inciter des fonds à ajouter des éléments marketing assimilables à des caractéristiques permettant de s’auto-assujettir aux catégories SFDR. Ceci est d’autant plus problématique que la documentation de ce fonds précise qu’il ne promeut pas une « approche ESG », malgré la présence de l’acronyme dans son nom.

Cet exemple fait écho au contenu de l’appel à témoignage(« call for evidence ») publié par les Autorités européennes de supervision (AES) en novembre, qui visait à les aider à mieux cerner l’écoblanchiment sur la «chaîne de valeur de l’investissement durable et du cycle de vie des produits financiers». Parmi les définitions potentielles sur lesquels les contributeurs étaient invités à réagir figuraient notamment les incohérences entre divers supports et communications, ou encore l’utilisation trompeuse et/ou suggestive de terminologies liées à l’ESG, baptisée naming-related greenwashing».

Les investisseurs en manque de repères

C’est dans ce contexte que l’ESMA a proposé en novembre 2022 un cadre prescriptif visant à s’assurer que l’utilisation de termes évoquant l’ESG et la durabilité dans le nom des fonds peut être corroborée par leurs processus de gestion. Ces propositions, présentées dans le cadre d’une consultation publique ouverte jusqu’au 20 février 2023, s’appuient sur des seuils quantitatifs minimum construits exclusivement autour de notions introduites par SFDR (Voir l’encadréQue comprendre de “caractéristiques” et de “investissement durable”). Elles rejoignent d’autres initiatives ambitionnant d’encadrer le marketing et la commercialisation des fonds ou produits d’assurance-vie selon des caractéristiques plus objectives que leur nom. Il s’agit d’empêcher les sociétés de gestion d’exagérer les allégations de durabilité, atténuer le risque d’écoblanchiment et permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés sans être induits en erreur. Cependant, l’accumulation des clefs de lecture peut porter préjudice à la compréhension de l’ensemble pour l’épargnant final, surtout si elles s’appuient sur des concepts dont la lisibilité reste largement perfectible.

Cette visualisation illustre comment l’offre de fonds durables se complexifie du fait de la cohabitation de labels plus ou moins exigeants et de textes réglementaires faisant appel à des définitions de la durabilité non harmonisées. L’AMF estime même que la définition de l’investissement durable au sens SFDR est vague», et devrait «être clarifiée afin de devenir concrète». L’autorité a ainsi publié en février 2023 un papier de position contenant une série de critères minimaux environnementaux pour les produits financiers des catégories Art.9 et Art.8 de SFDR, qui reposent en priorité sur les définitions de durabilité issues du Règlement Taxonomie.

L’AMF estime en outre que l’application de SFDR a «engendré un écart entre les attentes raisonnables exprimées par les investisseurs et la réalité des pratiques», et alimenté l’éco-blanchiment». Ce constat est partagé par les AES, qui reconnaissaient dans leur appel à témoignage que le greenwashing peut intervenir au niveau des informations spécifiquement publiées pour se conformer au cadre européen sur la finance durable.

L’adéquation de SFDR en question

  • Des « investissements durables » peu spécifiques :

L’Article 2.17 définit l’investissement comme une activité économique apportant une contribution environnementale (E) ou sociale (S), sous réserve de ne pas porter significativement atteinte à d’autres dimensions E/S, et que des principes de bonne gouvernance soient respectés. A travers les fichiers EET remplis par les fonds, il devient possible de mieux cerner comment ceux qui s’engagent sur un pourcentage d’investissements durablesenvisagent leurs contributions environnementales (énergie, énergie renouvelable, matières premières, eau et terres, déchets, émissions de GES, biodiversité, économie circulaire, autre) ou sociales (inégalités, cohésion sociale, intégration sociale, relations de travail, investissement dans le capital humain, communautés économiquement ou socialement défavorisées, autre).

Cependant, là encore, l’analyse des données EET croisée avec le nom des fonds montre que les contributions qu’évoquent les noms des fonds thématiques sont peu corroborées par celles relevées dans ces fichiers. En effet, la part des fonds déclarant par le biais des fichiers EET au moins une contribution sociale ou environnementale de la stratégie d’investissement selon l’article 2.17 est à ce stade plus faible pour les fonds avec un nom générique que pour les fonds dont le libellé contient un terme lié à une thématique environnementale, sociale, ou carbone.

  • Un template au potentiel de clarification peu exploité

Les fonds qui annoncent un pourcentage minimum d’investissements durables ont la possibilité de préciser quelle proportion vise à atteindre un ou plusieurs objectifs durables environnementaux, et/ou un ou plusieurs objectifs durables sociaux. La part allouée à des objectifs environnementaux peut ensuite être répartie entre les investissements qui seront alignés sur la taxonomie de l’UE et ceux qui ne le seront pas.

Cette partie du template offre donc aux fonds dont le nom évoque des enjeux environnementaux ou sociaux la possibilité de s’engager sur des seuils minimums quantifiés de respect de la thématique, ou d’alignement avec les objectifs environnementaux de la taxonomie. En pratique, beaucoup s’en tiennent pour l’instant à un pourcentage minimum d’investissements durables sans ventilation selon des objectifs environnementaux ou sociaux.

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Afin d’illustrer la variété des stratégies d’investissement et des approches mises en œuvre pour remplir cette partie de l’annexe précontractuelle pour les produits Article 8 et 9, Novethic s’est intéressé à plusieurs échantillons de fonds dont le libellé est identique.

« Climate Action »

L’analyse des quatre fonds présentés ci-dessous montre que pour une même accroche marketing, 3 types d’engagements précontractuels coexistent.

Dans cet exemple, la ventilation ou non de l’allocation du fonds jusqu’à un pourcentage minimum d’investissements durables contribuant à un objectif environnemental permet de différencier les fonds best-in-class des fonds purement thématiques. On notera que le fonds qui a obtenu le label Greenfin est le seul dont tous les investissements durables (au sens SFDR) ont un objectif environnemental. A l’inverse, le prospectus du fonds Climate Action C annonce 75% d’investissements durables dont 25% à objectif environnemental et 50% non attribués.

« Water » ou « Aqua » :

L’analyse de 5 fonds faisant référence à la thématique de l’eau dans leur nom permet de dresser un tableau encore plus contrasté. Parmi ces fonds, 3 s’autodéclarent « Article 9 » et 2 « Article 8 ». Tous annoncent un pourcentage minimum d’investissements durables, mais sans forcément en attribuer une partie à un objectif environnemental ou à un alignement avec la taxonomie. Plus surprenant, un des fonds ventile ses investissements en majorité vers un objectif social (20%) plutôt que vers un objectif environnemental (10%). Ce fonds déclare avoir pour cela étudié le projet de taxonomie sociale européenne, contrairement au projet de taxonomie pour l’objectif environnemental relatif à l’eau, qui n’est pas mentionné.

Enfin, en dehors des informations à fournir au titre de SFDR, le pourcentage minimum de revenu en lien avec l’eau nécessaire pour qu’une entreprise soit retenue dans l’univers d’investissement varie de 15 à 40%, quand il est détaillé. Un fonds s’appuie aussi sur un « score de pertinence » des entreprises par rapport à la thématique de l’eau.

  • La taxonomie encore peu utilisée

Les pourcentages minimums annoncés d’alignement à la taxonomie dépassent rarement 5% à ce jour, hormis chez quelques fonds d’obligations vertes. Ceci s’explique par le fait que les premiers rapports d’entreprises contenant la donnée relative à l’alignement des entreprises non-financières sont en train de paraitre. On notera ainsi que la FSMA, l’équivalent de l’AMF en Belgique, recommande jusqu’à nouvel ordre aux fonds Article 8 & 9 de droit belge de ne pas cocher la case de l’annexe précontractuelle utilisée pour s’engager sur un pourcentage minimum d’alignement taxonomique.

Un marketing très sémantique

Une réglementation peu prescriptive permet aux sociétés de gestion de continuer à s’appuyer sur des stratégies de naming pour aiguiller les investisseurs vers certains produits financiers. Dans certains cas, les prospectus ont même été amendés pour signaler qu’un fonds qui utilise « sustainable » est « au minimum Article 8 », ou que les fonds « Article 9 » sont reconnaissables au moyen du terme « impact », pourtant peu adapté. Qu’elle réponde à une stratégie par gamme de fonds ou pas, la multiplication de termes liés à l’ESG ou à la durabilité dans les noms rend la promesse de durabilité confuse pour l’investisseur final. Ce constat est illustré par l’infographie ci-dessous, réalisée en s’appuyant sur les libellés d’un panel de 1150 fonds européens labellisés au 30 septembre 2022 au moyen de l’un des 9 labels de finance durable suivis par Novethic , et référencés par Morningstar.

Au sein de ce panel, l’utilisation de terminologies « extra-financières » génériques (ISR, ESG, responsable, ou éthique) est la plus fréquente, avec 357 fonds adoptant cette stratégie. Ces termes permettent de signaler un large éventail de caractéristiques (intégration et filtres ESG, stratégies d’exclusion, stratégies best-in-class) sans assurance de bonne compréhension chez l’investisseur final. Cette tendance est suivie de près par l’utilisation de l’adjectif durable, en 5 langues, et des concepts qui lui sont rattachés (ODD ou SDG, mais aussi transition et engagement), pour un total de 272 fonds dont 259 fonds employant directement l’adjectif durable. Comme l’ont montré les réponses à la consultation de l’ESMA, certaines sociétés de gestion suggèrent de l’utiliser pour signaler les fonds Article 9 principalement constitués d’investissements durables au sens de la définition Art. 2.17 SFDR.

Ces deux premières familles de termes évoquent principalement des caractéristiques au niveau de l’entité et sont « agnostiques » en termes d’enjeux de durabilité, à l’inverse des 109 et 42 fonds faisant respectivement référence à une thématique environnementale ou sociale, ou encore des 30 fonds choisissant un terme lié à l’enjeu des émissions de carbone. S’agissant de la sémantique « E », l’adjectif vert ou green (38 fonds) devance légèrement le mot « climat » (35 fonds), notamment en raison des fonds d’obligations vertes. Viennent ensuite les libellés « environnement », et « eau ». La sémantique « S » se répartit de son côté entre les libellés propres aux fonds solidaires et les thématiques de l’emploi et de l’inclusion, de la santé, et de la parité. Une dizaine de fonds emploient le terme « social » directement. Enfin, parmi les fonds à thématique carbone (bas carbone, trajectoires « net zero » et benchmarks PAB ou CTB, ou encore fonds qui « compensent » leurs émissions), la terminologie « low carbon », plus ancienne, est désormais minoritaire face aux désignations « net zero » ou « Paris-aligned ».

Au total, 85 fonds de cet échantillon font usage d’une double ou triple sémantique, parfois en combinant des macro-tendances avec un terme lié à la durabilité (futur ISR, smart ESG, sustainable growth, sustainable food trends, silver age ISR) ou des concepts liés à la durabilité entre eux (éco social, sustainable climate, environnement durable, ISR bas carbone, renewable sustainable). Outre des combinaisons qu’on pourrait qualifier de redondantes (ISR responsable, climate net zero PAB), certaines associations de mots évoquent des notions potentiellement très précises (climate action, sustainable healthcare, food for biodiversity, save earth) qui risquent de susciter une plus grande défiance à l’égard des fonds dits durables si les portefeuilles en question ne corroborent pas l’idée suggérée par le nom. Une certaine confusion peut également naitre autour des fonds dont la thématique est l’énergie, qui peut être « durable », « smart », ou encore « new ».

Enfin, on dénombre 17 fonds dont le nom contient le mot « impact », et cette catégorie est la seule pour laquelle existent des juxtapositions avec des termes issus de toutes les autres catégories de libellés évoquées ci-dessus (par exemple impact responsible, carbon impact, gender equality impact). Un fonds nourricier va même jusqu’à rajouter impact dans son intitulé alors que ce terme est absent chez le fonds maître. Cet usage du mot est problématique car plusieurs études universitaires ont montré qu’il s’agit bien souvent de fonds « alignés sur un impact » plutôt que « générant un impact ». On saluera à ce titre la prudence d’une société de gestion britannique qui commercialise un fonds préférant le libellé d’« impact-aligned ».

Comment sortir du nuage de mots ?

Signe de la confusion totale qui agite le marché des fonds durables depuis l’entrée en vigueur de SFDR, plusieurs fonds labellisés Greenfin font partie de ceux qui ont rétropédalé de l’Article 9 vers l’Article 8, quand bien même d’autres fonds utilisent les seuils d’allocation de portefeuille voulus par ce label pour définir des indicateurs d’atteinte de leur objectif d’investissement durable en tant que fonds Article 9. La Financial Conduct Authority (FCA), au Royaume-Uni, semble avoir pris acte de cette confusion en proposant en octobre 2022 d’introduire un cadre règlementaire construit autour de trois catégories de fonds, toutes dotées de critères minimums. Le règlement SDR, sorte de SFDR britannique, pourrait ainsi être construit autour des catégories sustainable focus, sustainable improvers et sustainable impact, auxquelles les fonds devraient se conformer pour pouvoir employer dans leur nom ou leurs éléments marketing des termes liés à l’ESG ou la durabilité, le terme impact étant pour sa part réservé à la dernière catégorie.

Face à la « réalité des pratiques » marketing, l’AMF préconise désormais également d’instaurer des attentes minimales que les produits financiers devraient satisfaire afin d’être catégorisés Art.9 ou Art.8, leur nom devenant alors accessoire. L’autorité avait déjà adopté en 2020 une doctrine censée permettre de s’assurer que la communication relative aux approches extra-financières reste proportionnée à l’objectif et à l’impact effectif de la prise en compte de ces caractéristiques extra-financières par les fonds, mais elle semble cette fois ne vouloir s’en référer qu’à des définitions de la durabilité ne se prêtant à aucune divergence d’interprétation. Adieu les seuils qualitatifs et pourcentages à la libre appréciation des sociétés de gestion, seuls ne resterait que le cadre de la taxonomie européenne et, quand la Réglementation le permettra, une définition de la transition sans équivoque. Quant au terme « impact », plutôt que de réguler le nom des fonds, le think tank 2 Degrees Investing Initiative a publié le 14 mars 2023 un cadre d’évaluation de l’impact potentiel des produits financiers (IPAF), qui permettrait d’attribuer un score de « potentiel d’impact » aux fonds, en tenant compte de l’intégralité de leurs attributs et de l’état des connaissances académiques sur les mécanismes d’impact.