Croissance et décarbonation – les maîtres mots de l’économie !

Sustainable development and green business based on renewable energy. Reduce CO2 emission concept. Renewable energy-based green businesses can limit climate change and global warming

Croissance et décarbonation : L’activité économique s’accompagne d’émissions de gaz à effet de serre pour produire, construire, transporter… Toutefois, l’intensité carbone de l’activité, c’est-à-dire la quantité d’émissions par unité produite, peut varier, par exemple selon les technologies employées.
Par Pierre-Louis GIRARD, Claire LE GALL, William MEIGNAN, Philippe WEN, Direction générale du Trésor

Croissance/décarbonation

Les politiques environnementales sont nécessaires

Des mesures de politiques publiques seront nécessaires pour rendre possible une forte diminution des émissions de gaz à effet de serre. Les politiques environnementales ont pour objectif d’inciter ou de contraindre les agents à modifier leurs comportements et à réorienter leurs investissements vers les activités sans ou à faibles émissions. Plusieurs familles d’instruments peuvent être mobilisées à cette fin, dont la tarification du carbone, la réglementation, ou le soutien financier public.

Du point de vue macroéconomique, la transition vers la neutralité carbone pourrait avoir deux principaux effets : une hausse du coût relatif des émissions de carbone et une forte augmentation des investissements dans la décarbonation. Sujet d’un nombre croissant de travaux sur la question, l’effet macroéconomique de la transition reste, à ce jour, très incertain. Si, ces deux effets cumulés peuvent, dans certains scénarios, obérer la croissance économique et générer de l’inflation pendant la phase de transition écologique, le coût de la transition resterait bien inférieur au coût de l’inaction face au changement climatique.

Les effets économiques pendant la phase de transition dépendent en particulier des frictions et coûts d’ajustement de l’économie. Pour en modérer les effets négatifs, les politiques de décarbonation peuvent être accompagnées de mesures visant à soutenir la transition des acteurs les plus vulnérables. À cet égard, les politiques de formation professionnelle ont un rôle important à jouer pour faciliter les réallocations d’emplois.

Quel lien entre croissance et émissions de gaz à effet de serre ?

Les activités économiques humaines peuvent être à l’origine de multiples dégradations de l’environnement, à travers les émissions de gaz à effet de serre dont la concentration atmosphérique de plus en plus élevée est à l’origine du changement climatique, mais également avec l’artificialisation des sols, la pollution (air, eau, bruit) ou d’autres pressions exercées sur la biodiversité. Ces dégradations de l’environnement constituent, au sens économique, des externalités négatives, c’est-à-dire qu’elles ont un coût social qui n’est supporté ni par le producteur, ni par le consommateur. On se concentre ici sur l’aspect climatique, pour lequel un objectif de « neutralité carbone » a été adopté au niveau de l’Union européenne et de la France d’ici 2050, et sur les liens entre les émissions de gaz à effet de serre et l’activité économique.

Les émissions de gaz à effet de serre peuvent être décomposées selon une identité comptable proposée par Kaya et Yokobori (1997), dite « équation de Kaya », permettant d’identifier les grands leviers d’action :

Les émissions de gaz à effet de serre GES sont égales au produit de la population (POP), du revenu (PIB) par habitant PIB / POP et de l’intensité carbone de l’économie GES / PIB. Cette dernière peut être à son tour décomposée entre l’intensité énergétique de l’économie et l’intensité carbone de l’énergie utilisée. Réduire l’intensité carbone de l’économie permet de réduire les émissions à population et activité économique données.

En fonction de son niveau, l’activité économique peut avoir une influence différente sur les émissions de gaz à effet de serre. Grossman et Krueger (1995) proposent une relation dite « courbe de Kuznets environnementale », où la dégradation environnementale augmenterait avec le développement économique jusqu’à un certain seuil, à partir duquel elle diminuerait.

Courbe de Kuznets environnementale

Selon les auteurs, cette relation en U inversé s’expliquerait par le fait que, dans un premier temps, la priorité des sociétés est de subvenir à leurs besoins fondamentaux et que ce n’est qu’après y être parvenu que celles-ci se préoccuperaient des problématiques environnementales. Passé ce seuil, plus le niveau de développement d’un pays augmente, plus sa capacité à atténuer les effets négatifs de l’activité économique sur l’environnement augmenterait. Il y aurait donc « découplage » entre activité économique et pollution. Cette proposition de Grossman et Krueger fait néanmoins débat, à la fois sur sa réalité et sur le seuil auquel la pollution s’infléchirait, qui pourrait éventuellement dépasser les niveaux de développement observés aujourd’hui.

Qu’en est-il alors concrètement au niveau mondial ? Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de manière continue jusqu’en 2019, quoiqu’en ralentissant durant la décennie 2010. Les seules observations récentes de baisse des émissions mondiales, liées à la crise financière mondiale puis aux confinements de la crise Covid, ont été suivies d’un rebond.

Au niveau national, la baisse des émissions de gaz à effet de serre dans certains pays pourrait correspondre en partie à un déplacement de ces émissions vers d’autres pays aux politiques climatiques moins ambitieuses, parfois qualifiés de « havres de pollution » (on parle alors de « fuites de carbone » dans le cas des gaz à effet de serre). La pollution « produite » serait en partie transformée en pollution « importée », sans bénéfice environnemental agrégé : l’approche en « empreinte » (c’est-à-dire en émissions liées à la consommation y compris les émissions importées) peut donc nuancer les observations sur les émissions territoriales d’un pays.

Les données internationales ne permettent pas d’établir des évolutions de l’empreinte (sauf pour le dioxyde de carbone) : dans le cas de la France, l’empreinte a diminué depuis 2005 mais de façon moins forte et régulière que les émissions territoriales. Au niveau des émissions territoriales, Hubacek et al. (2021) notent qu’entre 2015 et 2018, 32 pays (sur 116 observés) ont réussi à réaliser un découplage « absolu » entre émissions de gaz à effet de serre territoriales et activité économique, c’est-à-dire une réduction des émissions tout en augmentant leur PIB (ce chiffre est ramené à 23 dans une approche en empreinte). Le principal moteur de ce découplage est la réduction de l’intensité carbone de l’économie, plus rapide que les autres facteurs de l’équation de Kaya. Sur période plus longue, 5 des 25 principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre – dont la France – ont connu un découplage « absolu » de leurs émissions par rapport à leur PIB10 entre 2005 et 2018. Hubacek et al. définissent également le découplage « relatif », pour les cas où la croissance des émissions est inférieure à la croissance du PIB.

Évolution des émissions de gaz à effet de serre et de l’activité économique de 2005 à 2018 dans
les 25 pays aux émissions les plus élevées en 2018

Les objectifs climatiques, et en particulier la neutralité carbone en 2050, requièrent cependant au niveau agrégé une baisse beaucoup plus rapide et massive des émissions qu’un simple découplage absolu. Pour l’Union européenne, dont l’objectif intermédiaire est de réduire les émissions nettes de 55 % d’ici 2030 par rapport à 1990, ils impliquent un doublement du rythme annuel de réduction des émissions sur la période 2020- 2030 par rapport à 2005-2019. À moins d’accepter une réduction massive de l’activité, ces objectifs impliquent d’accélérer fortement la réduction de l’intensité carbone de nos économies.

Deux interprétations de la « croissance verte »

Le découplage nécessaire entre les émissions de gaz à effet de serre et la croissance économique a amené plusieurs institutions internationales telles que l’OCDE ou la Banque mondiale à communiquer autour du concept de « croissance verte », que l’OCDE définit comme une « croissance économique qui permet une préservation significative de l’environnement ». Celui-ci se distingue du concept de « décroissance », selon lequel la transition écologique ne serait possible qu’avec une réduction de la production. La « croissance verte » fait l’objet de deux interprétations quant à la forme qu’elle pourrait prendre et à ses implications macroéconomiques.

L’une soutient que la transition écologique serait bénéfique à l’économie dès le court terme : les investissements pour assurer la transition soutiendraient la demande, et à travers elle l’activité et l’emploi. Cette interprétation recourt aux arguments keynésiens usuels, sous l’hypothèse supplémentaire qu’un investissement « vert » aura davantage de bénéfices économiques à court terme qu’un investissement « brun ». L’investissement vert (par exemple, dans la rénovation thermique des bâtiments) serait plus intensif en emplois et aurait un impact économique plus concentré localement. La littérature empirique sur les mesures de stimulus vertes est toutefois limitée. Cette interprétation englobe également les argumentaires techno-optimistes selon lesquels la transition devrait s’accompagner d’innovations de rupture décarbonées, qui pourraient être source de nouveaux gains de productivité significatifs. Les critiques de cette approche soulignent à la fois la forte incertitude quant à l’émergence de ces technologies et à leur capacité à avoir un effet d’entraînement sur le reste de l’économie.

L’autre interprétation, vers laquelle un consensus tend à se former, suggère que la transition écologique induirait des bénéfices à long terme – au regard des effets négatifs de l’inaction climatique – mais serait coûteuse à court terme. Ainsi, selon Pisani-Ferry (2021), la sortie des énergies fossiles nécessaire à la réduction massive et rapide des émissions de gaz à effet de serre pourrait être apparentée à un choc d’offre négatif, et le surcroît d’investissement nécessaire pour réaliser la transition se ferait au détriment de la consommation ou d’autres investissements à court terme. Les coûts cumulés pour l’activité économique resteraient cependant en-deçà des coûts qu’engendrerait le changement climatique en cas d’inaction, qui pourraient représenter au-delà de –15 % du PIB mondial en 2050 pour une hausse de la température de 2 à 3°C.

Quelles politiques publiques pour soutenir la décarbonation ?

La décarbonation de l’économie n’est pas spontanée, car la modification des comportements réduit le plus souvent à court terme l’utilité des ménages et le profit des entreprises. Une large palette d’instruments peut être mobilisée pour amener les acteurs économiques à décarboner leurs activités : tarification du carbone et élimination des subventions aux énergies fossiles, réglementation (sectorielle ou financière), soutien financier à la décarbonation (via des subventions et investissements publics), et meilleur accès à l’information. Tous ces instruments envoient un signal aux acteurs économiques pour orienter les financements et les dépenses privés vers les activités durables, et les détourner des activités néfastes pour l’environnement.

La réglementation sectorielle permet de s’assurer que les biens et services produits respectent des standards de performance ou adoptent des technologies compatibles avec les objectifs climatiques. Elle est souvent spécifique à un secteur : obligation de rénovation énergétique de logements, instauration de « zones à faible émission » réservant la circulation dans les agglomérations aux véhicules les moins émetteurs, normes d’émission des véhicules, etc.

La tarification du carbone peut prendre la forme d’une taxe carbone ou d’un système de plafonnement et d’échange de quotas d’émissions. Elle répond à la notion de « taxe pigouvienne », internalisant le coût des externalités environnementales. À condition d’être suffisamment ambitieuse et prévisible, elle envoie un signal-prix incitant les agents économiques à diminuer leurs émissions et à réaliser des investissements de décarbonation (par exemple, dans le déploiement et le développement de technologies vertes). Les recettes générées peuvent être utilisées pour financer les politiques publiques de décarbonation et d’accompagnement des ménages et des entreprises les plus vulnérables aux coûts de la transition. Si le recours à la tarification carbone se développe, seules 23 % des émissions mondiales font l’objet d’un prix du carbone, et moins de 4 % le sont à un niveau supérieur à 40 USD/tCO2eq.

Acemoglu et al. (2012, 2016) mettent ainsi en avant qu’en l’absence d’intervention publique, les entreprises produisent sans prendre en compte leur impact sur l’environnement, conduisant la pollution à excéder des seuils critiques au-delà desquels des désastres environnementaux se produisent. L’intervention publique peut alors diriger le choix des entreprises vers des technologies « vertes » plutôt que « brunes ». Cette intervention peut être temporaire, à condition que la recherche et développement (R&D) conduise les technologies « vertes » à être relativement plus rentables que les « brunes ». Ce seuil atteint, l’investissement se ferait ensuite spontanément dans les technologies vertes. Plus l’intervention publique est mise en place rapidement et fortement, plus le coût économique de la transition est réduit.

D’importants investissements de décarbonation publics et privés seront nécessaires dans tous les secteurs de l’économie, qu’il s’agisse de décarboner la production d’énergie et les procédés industriels, de construire des infrastructures de transport et renouveler les véhicules, de réaliser des travaux de rénovation énergétique des bâtiments, ou encore de développer de nouvelles technologies bas-carbone. La Commission européenne estime, au regard du stock de capital à renouveler, que les besoins d’investissements supplémentaires (publics ou privés) nécessaires pour atteindre les nouveaux objectifs climatiques de l’Union européenne à l’horizon 2030 seraient, dans les secteurs de la production d’énergie, de l’industrie, des transports et des bâtiments, de l’ordre de 2 à 3 pts de PIB par an au niveau européen sur la décennie 2021-2030 par rapport à la décennie précédente (soit une hausse de plus de 55 % par rapport à 2011-2020). Ces besoins d’investissements pour la transition climatique correspondent le plus souvent aux montants « bruts » à engager pour réduire nos émissions. Ils ne correspondent pas au surplus net d’investissements qui pourra être observé au niveau macroéconomique (des financements pouvant être réorientés d’investissements « bruns » vers des investissements « verts »), ni au coût final pour les acteurs, qui peuvent par exemple rentabiliser une partie ou la totalité de ces investissements par des gains en économie d’énergie, comme pour la rénovation thermique des bâtiments.

Quels effets macroéconomiques de la décarbonation ?

Les effets macroéconomiques directs et indirects des politiques climatiques sont ici décrits qualitativement par rapport à la situation actuelle, pour donner un point de comparaison facilement appréhendable. En réalité, les effets des politiques climatiques sur un pays donné dépendront du degré de matérialisation du changement climatique, et seront à mettre au regard du coût de l’inaction. Si les effets économiques de la transition climatique sont sujets à une très forte incertitude à court comme à moyen terme, les récentes études convergent sur le fait que les coûts de la transition resteraient bien inférieurs à celui de l’inaction face au changement climatique.

Du point de vue macroéconomique, la transition vers la neutralité carbone pourrait avoir deux principaux effets, d’une part une hausse du coût relatif des émissions decarbone, et d’autre part une forte augmentation des investissements dans la décarbonation.

Canaux de transmission d’une hausse de la fiscalité carbone et de nouvelles réglementations ainsi que
d’une hausse des investissements dans le cadre de la transition écologique, hors impact du changement climatique

Le surcroît d’investissement peut être analysé comme un choc de demande positif. Ce choc stimule l’activité économique dès le court terme en générant un surplus de demande adressée aux entreprises, et favorise ainsi la création d’emplois. Cette hausse de la demande exerce toutefois une pression haussière temporaire sur les prix, dès lors que l’offre ne peut pas répondre immédiatement à la totalité de ce surplus de demande. Par ailleurs, les besoins de financement pour ces investissements risquent d’exercer une pression haussière sur les taux d’intérêt, qui peut générer des effets d’éviction.

Si l’effet macroéconomique cumulé de ces deux chocs est plutôt inflationniste, il est a priori indéterminé sur les autres variables macroéconomiques d’intérêt, telles que le pouvoir d’achat des ménages. D’un côté, le renchérissement des coûts de production devraient obérer la croissance de l’activité et pénaliser l’évolution des revenus. De l’autre, les investissements liés à la transition augmenteraient l’activité et le revenu des ménages par le biais de la baisse du chômage et via la hausse des salaires que la hausse des prix pourrait provoquer. D’autres mécanismes doivent également être pris en compte pour pouvoir apprécier l’impact macroéconomique total. En l’occurrence, la baisse des consommations énergétiques des ménages, permises par les investissements et par une meilleure efficacité énergétique, pourrait soutenir leurs autres postes de consommation, par un double effet de revenu et de substitution. De plus, une partie des salaires et des prestations sociales indexée sur l’inflation sera mécaniquement revalorisée avec la hausse des prix.

Les effets macroéconomiques de la transition, ainsi que leur ampleur, seront conditionnés à d’autres mécanismes dont la matérialisation et l’ampleur sont incertains :

  • des effets d’éviction des investissements en faveur de la décarbonation sur les autres investissements, des investissements publics au détriment des investissements privés (sauf à ce que le taux d’épargne soit à des niveaux élevés), ou encore des investissements au détriment de la consommation ; l’ampleur de ces effets d’éviction dépendra in fine de l’évolution du taux d’épargne au niveau national et mondial ;
  • des frictions et des coûts d’ajustement sur l’appareil productif, en lien notamment avec la réallocation de l’emploi et du capital (rigidité de l’emploi, coût d’acquisition des compétences, déclassement accéléré des installations dans les secteurs à forte intensité carbone – on parle alors d’« actifs échoués », etc.) ou avec des goulots d’étranglement au niveau des matières premières critiques.

Ces mécanismes ne tiennent par ailleurs pas compte de la dimension internationale de la transition écologique, alors que son effet sera conditionné par le degré de coopération entre pays. Dans le cas d’une transition écologique coordonnée, l’inflation devrait s’accroître dans des proportions similaires pour tous les pays, en fonction de leur structure productive, par le biais des mécanismes décrits ci-dessus. Cette coordination limiterait les pertes de compétitivité et de parts de marché pour les entreprises assujetties à des politiques climatiques ambitieuses et la dégradation de la balance commerciale. La dimension internationale englobe également la question des risques de goulots d’étranglement dans l’approvisionnement des matières premières critiques pour des technologies vertes ou le déploiement d’énergies renouvelables.

La temporalité des efforts de décarbonation joue également. Deux scénarios polaires sont généralement considérés pour évaluer l’effet macroéconomique de la transition écologique, selon que celle-ci est ordonnée et commencée dès aujourd’hui ou retardée de plusieurs années et ensuite précipitée, ce qui augmente son coût. C’est par exemple l’approche utilisée par le réseau des banques centrales et des superviseurs pour le verdissement du système financier (NGFS) dans le cadre de leurs évaluations des effets des risques climatiques et de transition sur l’économie et le système financier.

Enfin, d’autres éléments joueront fortement sur la trajectoire de décarbonation de l’économie et donc sur les effets macroéconomiques induits. L’émergence de nouvelles technologies décarbonées – fonction des investissements en R&D –, leur diffusion au sein du tissu productif et leur impact macroéconomique demeurent largement incertains. Le mode de financement des mesures d’atténuation jouera également, les recettes de fiscalité carbone pouvant être recyclées en différentes mesures de soutien économique, tandis que les subventions publiques à la décarbonation devront être financées, avec un possible effet récessif des hausses d’impôt ou des baisses de dépenses publiques associées. Aux effets économiques des efforts d’atténuation du changement climatique s’ajouteront ceux du changement climatique lui même et des efforts pour s’y adapter, dont le coût reste incertain.

Au-delà de ces mécanismes économiques, l’incertitude touche également l’exercice même de modélisation de l’effet de la transition écologique sur les agrégats économiques. Si plusieurs modèles réalisent cet exercice, aucun n’est encore en mesure de traduire l’ensemble des frictions décrites pour en quantifier les effets.

Ces incertitudes se traduisent dans les estimations de l’effet macroéconomique de la transition écologique. À titre illustratif, indépendamment des fortes disparités dans les résultats entre économies, le GIEC estime qu’au niveau mondial, l’effet sur l’activité serait compris entre –4,2 % et –1,3 %25 à l’horizon 2050, selon que les politiques de transition visent à limiter le changement climatique à +2°C ou +1,5°C, tandis que le NGFS publie des estimations variant entre –8 % et 0 %, selon que la transition est « retardée » ou « ordonnée »26. Ces estimations sont faites par rapport à un scénario théorique dans lequel ni le changement climatique ni les politiques de décarbonation ne sont pris en compte. Ainsi, dans les scénarios où il n’y aurait pas de politiques de décarbonation suffisantes pour limiter l’ampleur du changement climatique et éviter les dommages liés à celui-ci, ces dommages causeraient un effet négatif sur l’activité plus important.

Au-delà de l’effet de long-terme, l’ampleur des effets macroéconomiques durant la transition écologique dépendra du rythme de mise en œuvre des mesures de transition, de l’anticipation des acteurs et d’autres facteurs comme la coordination internationale. Une mise en œuvre rapide des investissements nécessaires à la transition écologique permettrait de soutenir l’économie dès le court terme et de capitaliser plus rapidement à moyen terme sur les gains d’efficience énergétique qui viendront, par exemple, soutenir le revenu des ménages.

Quelles politiques d’accompagnement de la transition ?

L’effet macroéconomique de la transition écologique dépendra de la combinaison de politiques publiques climatiques retenue mais également de la façon dont elles sont mises en œuvre, en particulier du degré de prévisibilité offert aux agents économiques pour qu’ils puissent correctement anticiper les mesures et adapter leur comportement en conséquence. À ce titre, la Stratégie française énergie-climat, qui devra notamment comprendre une loi de programmation énergie-climat (d’ici mi-2023) et une stratégie nationale bas-carbone (d’ici mi-2024), doit définir les objectifs de réduction d’émissions au niveau national et au sein de chaque grand secteur sur les prochaines années et fournir la feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

Au-delà des politiques visant directement la décarbonation, la transition vers la neutralité carbone est indissociable de politiques permettant d’accompagner les acteurs les plus vulnérables face aux coûts induits. Ces coûts sont très hétérogènes entre agents économiques et dépendent de multiples critères (types d’équipements détenus, localisation, etc.). Les évaluations du paquet Fit-for-55 proposées par la Commission européenne montrent que la transition risque de toucher relativement plus les ménages les plus modestes et les entreprises des secteurs les plus intensifs en émissions. Plusieurs mesures peuvent être mises en place pour atténuer ces effets, comme les soutiens au revenu pour les ménages modestes, notamment en cas de période de hausse rapide des prix de l’énergie, ou un accompagnement financier renforcé pour les aider à réaliser les investissements nécessaires à la transition. Selon leurs formes, elles pourront avoir des conséquences macroéconomiques, mais également sur les émissions, très différentes. Les aides forfaitaires ciblées sur les ménages les plus vulnérables permettent par exemple de ne pas inciter à la consommation d’énergies fossiles, de soutenir la consommation des acteurs économiques les plus contraints, tout en limitant la pression de long terme sur les finances publiques.

Enfin, des réformes structurelles permettraient de fluidifier la réallocation des facteurs et de limiter les coûts d’ajustement générés par la transition écologique. Il s’agit par exemple de faciliter l’acquisition des compétences nécessaires à la transition, comme la rénovation énergétique des bâtiments. La décarbonation de l’économie s’accompagnera de réallocations d’emplois, entre secteurs et à l’intérieur des secteurs. L’emploi dans les secteurs intensifs en émissions devrait diminuer ou se transformer, tandis que les métiers stratégiques pour la transition écologique recruteront, pourvu qu’ils trouvent des travailleurs avec les compétences requises ou capables de les acquérir rapidement. Les politiques de formation auront alors un rôle important à jouer pour faciliter les transitions professionnelles.