
CSRD : Mardi 10 juin 2025, lors du Paris Finance Forum, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, n’a pas mâché ses mots. Face à un parterre d’investisseurs français conquis, il a violemment critiqué la récente réforme européenne des labels de finance durable. Cette réforme, censée clarifier le champ des fonds « ESG », exclut désormais les entreprises dont plus de 1 % du chiffre d’affaires provient du charbon ou plus de 10 % du pétrole. Résultat ? TotalEnergies, pourtant engagé dans des investissements massifs dans les énergies renouvelables, se retrouve exclu d’une majorité de fonds durables européens.
« J’en veux au régulateur qui a confondu transition et grand soir, en pensant que du jour au lendemain, on allait se débarrasser de toutes les énergies fossiles », a lancé Patrick Pouyanné, applaudi, lors du débat intitulé « Ajustements ou remises en cause pour la finance durable ? »
Une réforme pensée contre le greenwashing, mais jugée contre-productive
Cette nouvelle réglementation européenne vise à restaurer la crédibilité d’un secteur ESG miné par le greenwashing. Pendant des années, des fonds estampillés « verts » finançaient sans distinction des entreprises fortement polluantes, parfois sur la base de simples engagements vagues ou non vérifiables. Bruxelles a voulu marquer une rupture nette.
Mais selon Patrick Pouyanné, ce virage réglementaire confond volontarisme écologique et dogmatisme idéologique.
« Parce qu’en Europe, on a décidé que le monde était blanc ou noir (…), nous allons perdre des actionnaires », a-t-il déploré, avant de préciser que 49,5 % des actionnaires de TotalEnergies sont désormais américains, moins regardants sur les critères ESG.
« Il ne faut pas verser des larmes de crocodile quand ces entreprises regardent vers New York », a-t-il tranché.
Une critique partagée par Jean-Laurent Bonnafé (BNP Paribas)
Le PDG de TotalEnergies n’est pas seul à tirer à boulets rouges sur la nouvelle doctrine européenne. Le Directeur Général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, avait déjà déclaré en décembre dernier dans Green Finance que la CSRD et ses déclinaisons devenaient un « délire bureaucratique ».
« Nous passons d’une logique de transparence utile à une surcharge déclarative qui menace la compétitivité de nos entreprises européennes », déclarait-il dans notre article du 3 décembre 2024.
Un dilemme : exclure ou accompagner la transition ?
Ce débat soulève une question de fond : veut-on transformer les entreprises polluantes ou les exclure ? En refusant tout financement ESG à celles qui dépassent des seuils rigides, ne risque-t-on pas de priver la transition énergétique de ses principaux leviers d’action ?
La finance durable ne peut-elle pas jouer un rôle d’incitation stratégique en orientant les capitaux vers des acteurs qui réduisent effectivement leurs émissions, même s’ils partent de loin ?
« La CSRD constitue une avancée majeure pour structurer la transparence extra-financière en Europe et renforcer la crédibilité de la finance durable. Mais face à la complexité des enjeux industriels et économiques, il est essentiel d’écouter les retours de terrain. Les prises de parole de dirigeants expérimentés comme Patrick Pouyanné ou Jean-Laurent Bonnafé rappellent utilement que la réussite d’une transition ne repose pas uniquement sur des normes, mais aussi sur leur applicabilité concrète. »
— Bruno Boggiani, CEO Strateggyz – Green Finance
Vers une fuite des capitaux ?
Alors que la cotation de TotalEnergies à Wall Street est activement envisagée, les critiques des acteurs français de la finance deviennent alarmistes : exclure systématiquement les grands émetteurs pourrait accélérer leur départ vers des marchés moins regardants, et donc affaiblir la souveraineté économique et climatique européenne.
Ce qui se joue aujourd’hui autour de la CSRD, ce n’est pas seulement une bataille technique sur des seuils d’exposition au charbon ou au pétrole. C’est une lutte entre deux visions de la transition : l’idéalisme pur contre le réalisme stratégique. L’audace réglementaire européenne, si elle ne s’adapte pas rapidement, risque bien de se heurter à la loi du marché globalisé.
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