Haut Conseil pour le Climat. Les impacts du changement climatiques dû à l’influence humaine s’aggravent en France, avec des effets chroniques et aigus, et des conséquences matérielles et financières qui sont déjà importantes. La réponse de la France au réchauffement climatique progresse mais reste insuffisante et les politiques d’adaptation souffrent d’un manque d’objectifs stratégiques, de moyens et de suivi.
De nouvelles mesures pour la transition climatique
En 2021, la gouvernance de la transition climatique a été renforcée et de nouvelles mesures ont été prises pour la plupart des orientations sectorielles de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Néanmoins, des risques majeurs de ne pas atteindre les objectifs fixés par la France pour la réduction des gaz à effet de serre persistent. Ces risques et le renforcement des objectifs européens appellent à un sursaut de l’action climatique en France. Dans le contexte géopolitique actuel, ce sursaut serait d’autant plus important qu’il permettrait de réduire la forte dépendance de la France aux importations d’énergies fossiles et d’engrais minéraux. Pour répondre à ces enjeux, une vision de la transition écologique juste doit être partagée par les acteurs publics et privés, et déclinée de manière opérationnelle dans tous les secteurs et dans tous les territoires.
L’infuence humaine sur le réchauffement planétaire, du fait des émissions de gaz à effet de serre (GES), est un fait scientifiquement établi, comme le démontre le 6ème rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Elle est le principal facteur de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des extrêmes chauds et des pluies extrêmes, et contribue à l’augmentation des sécheresses. Le rythme d’élévation du niveau de la mer s’est accéléré. Les risques liés au climat s’accentueront pour chaque incrément de réchauffement planétaire supplémentaire.
Les impacts du changement climatique s’aggravent en France
Les impacts du changement climatique s’aggravent en France, avec des effets chroniques et aigus, notamment du fait de l’intensication des extrêmes chauds exacerbés dans les villes par le phénomène d’îlot de chaleur urbain, des sécheresses, et des pluies extrêmes. Les conséquences matérielles et financières sont déjà importantes, en particulier sur les infrastructures, la production agricole, les écosystèmes (dépérissement des forêts). Les impacts sur la santé humaine sont aussi importants (surmortalité). L’exposition à l’intensication des aléas côtiers dus à la montée du niveau de la mer (inondation chronique à marée haute, submersions rapides, érosion littorale) et au recul du trait de côte croît considérablement.
En France, l’année 2021 a été marquée par plusieurs événements météorologiques remarquables, dont la probabilité d’occurrence ou l’intensité ont été accentuées par le changement climatique dû à l’influence humaine. Du fait d’un hiver doux, le développement précoce de la végétation l’a exposée à un épisode marqué de gel tardif en avril qui a provoqué d’importants dommages pour les arbres fruitiers et la vigne. Le déficit pluviométrique réapparaît au printemps 2022 après une pause en 2021. Des pluies intenses ont provoqué des inondations dans les zones urbanisées et des dégâts sur les cultures fin 2021.
L’augmentation des émissions de gaz à effet de serre
En dépit d’un rebond partiel post Covid-19, les émissions de gaz de serre de la France en 2021 s’inscrivent dans la poursuite d’une tendance à la baisse, à un rythme proche de celui observé sur la décennie. L’absorption de CO2 par les puits de carbone forestiers s’est fortement dégradée entre 2013 et 2019 avant d’augmenter en 2020.
Les émissions de gaz à effet de serre en France ont ré-augmenté d’environ 6,4% de 2020 à 2021 pour atteindre 418 Mt éqCO2, mais restent 3,8% en-dessous de leur niveau de 2019, et 23,1% en-dessous de leur niveau de 1990. Le rythme de réduction estimé sur la période 2019-2021 (-1,9% par an) est proche du rythme observé sur la décennie 2010-2019 (-1,7 % par an).
Tous les grands secteurs émetteurs connaissent désormais une baisse de leurs émissions. La baisse est bien établie et structurelle dans les secteurs des bâtiments, de l’industrie et de l’énergie. Elle est néanmoins ralentie depuis 2015 dans ces deux derniers secteurs. La baisse est récente, et reste à confirmer, dans les secteurs des transports et de l’agriculture. L’empreinte carbone de la France, due pour moitié aux importations, diminue quant à elle depuis au moins 2010, mais reste 1,4 fois plus élevée que les émissions produites sur le territoire français. En revanche, l’absorption de CO2 par les puits de carbone forestiers s’est fortement dégradée entre 2013 et 2019, pour ensuite augmenter légèrement entre 2019 et 2020.
Les émissions sur la période 2019-2021 sont inférieures au plafond moyen du deuxième budget carbone (2019-2023) fixé par la Stratégie nationale bas carbone révisée (SNBC2), ce qui est principalement dû aux effets de la pandémie de Covid-19, ainsi qu’au relèvement du plafond d’émissions du deuxième budget carbone lors de la révision de la SNBC2. La reprise encore partielle des activités en 2021 complexifie l’identication de la contribution des effets des politiques d’aénuation.
Les objectifs climat de 2030 de la France seront renforcés à la suite de la loi européenne sur le climat adoptée en juillet 2021. Le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » (« Fit for 55 ») en cours de discussion induira pour la France un rehaussement de l’objectif de réduction des émissions à -50% en 2030 par rapport à 1990 pour les émissions brutes (contre -40% actuellement), et -54% pour les émissions nettes. Ceci implique un doublement du rythme annuel de réduction des émissions pour atteindre environ -16 Mt éqCO2 (-4,7%) en moyenne sur la période 2022-2030, ce qui doit être comparé aux réductions annuelles observées de -8,1 Mt éqCO2 (-1,7%) depuis 2010 et à l’objectif actuellement inscrit dans la
SNBC2 de -12 Mt éqCO2 (-3,2%).
Des nouvelles mesures pour 6 orientations parmi les 25
Parmi les 25 orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), seules 6 bénéficient de mesures au niveau requis pour l’atteinte des budgets carbone. Néanmoins, de nouvelles mesures allant dans le sens de la plupart des orientations de la SNCF ont été prises en 2021.
De nouvelles mesures sont à souligner en 2021 pour 19 des 25 orientations sectorielles de la SNBC, mais seules les mesures concernant six orientations sont jugées en adéquation avec le niveau requis pour atteindre les budgets carbone. Des risques majeurs de ne pas atteindre les budgets carbone persistent pour la majorité (19) des orientations, incluant quatre orientations pour lesquelles les mesures prises sont en déphasage avec la SNBC. Parmi les avancées notables, le Haut conseil pour le climat identifie le repositionnement de l’action climatique au niveau du Premier ministre, la mise en place de plans d’action climat par plusieurs ministères, et l’effort de sanctuarisation des financements publics.
Pour le secteur de l’agriculture (19% des émissions nationales) :
Les émissions de l’agriculture présentent une trajectoire respectant à ce stade les budgets carbones sectoriels fixés par la SNBC2, mais l’objectif de réduction du secteur pourrait doubler avec la prise en compte du paquet européen « Ajustement à l’objectif 55 ». L’engagement de la France pris à la COP26 de réduire ses émissions de méthane de 30% en 2030 doit faire l’objet d’un suivi attentif pour les émissions des ruminants.
Dans sa version actuelle, le Plan stratégique national de la future Politique agricole commune 2023-2027 contribuerait à atteindre seulement la moitié des objectifs climatiques fixés par la SNBC2 à horizon 2030. Les enveloppes budgétaires pour le climat et les critères d’aribution des aides doivent être renforcés pour un meilleur alignement de ce plan avec la SNBC2 et avec le paquet « Ajustement à l’objectif 55 ». Les mesures du Varenne agricole de l’eau amorcent des stratégies d’adaptation des filières à court terme, qui doivent être compatibles avec les transitions systémiques nécessaires à plus long terme.
Les bonnes pratiques de stockage de carbone organique dans les sols agricoles sont peu soutenues et les développements méthodologiques ne sont pas encore harmonisés. Les fonds de développement technologique centrés sur le numérique, la robotique et la génétique pourraient contribuer aux innovations ayant un potentiel pour réduire les émissions.
L’analyse de la cohérence des mesures mises en place avec la SNBC2 ainsi que les recommandations spécifiques concernant le secteur de l’agriculture sont détaillées en Section 2.1.
Pour le secteur des bâtiments (18% des émissions nationales) :
Les émissions du secteur des bâtiments ont diminué de 1,9 Mt éqCO2 par an sur le premier budget carbone (2015-2018) mais de 0,2 Mt éqCO2 par an seulement sur la période 2019-2021. La baisse annuelle devra dépasser les 3-4 Mt éqCO2 visés par la SNBC2 sur la période 2022-2030, pour anticiper l’ambition du nouveau paquet « Ajustement à l’objectif 55 ». Depuis 2015, on observe une baisse de consommation finale de fioul et de gaz, et une croissance pour l’électricité et les énergies renouvelables thermiques, surtout liée au développement des pompes à chaleur.
Les dispositifs de subventions et de financement conséquents du Plan de relance encouragent peu les rénovations globales profondes. Comme le confirme le premier bilan de l’observatoire de la rénovation énergétique, le nombre d’opérations de rénovation a fortement augmenté, mais ces dispositifs ne ciblent pas suffisamment les opérations performantes.
Rendue plus nécessaire encore par la crise énergétique, et représentant la moitié de l’effort nécessaire pour atteindre l’objectif de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) en matière de consommation énergétique du secteur du bâtiment, l’éradication des passoires thermiques reste mal accompagnée, avec des réglementations et des dispositifs d’aide inadaptés.
Faute de pérennisation des financements publics au-delà de 2022, le déploiement d’un programme ambitieux et pérenne de rénovation n’est toujours pas garanti, fragilisant les efforts de structuration des filières de rénovation et la montée en compétence des professionnels.
L’analyse de la cohérence des mesures mises en place avec la SNBC2 et les recommandations spécifiques concernant le secteur des bâtiments sont détaillées en Section 2.2.
Pour le secteur des forêt-bois, utilisation des terres (contrebalançant 4 % des émissions nationales) :
Après une décrue majeure de 72% entre 2013 et 2019, les puits nets de carbone des forêts ont augmenté de 14% en 2020 (dernière année disponible) par rapport à 2019. Leur écart par rapport à la SNBC2 (-60%) s’explique surtout par une détérioration du puits forestier sous l’effet de trois facteurs : diminution de la production biologique, augmentation de la mortalité et accroissement des prélèvements.
La filière forêt-bois nécessite une forte restructuration pour la mettre en phase avec la trajectoire de la SNBC2 et le paquet « Ajustement à l’objectif 55 ». Les investissements consacrés au renouvellement forestier ont progressé, mais sont encore nettement insuffisants pour adapter les forêts françaises au changement climatique d’ici à 2050.
La stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée devra être étendue à d’autres pays que le Brésil et son extension à l’échelle de l’UE soutenue.
La Loi climat et résilience vise à atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) comme prévu dans son article 192, et dans le Plan biodiversité. Pour atteindre cet objectif, la lutte contre l’articialisation des sols devrait être étendue aux zones de stationnement et de stockage des installations commerciales et aux sites des secteurs de la logistique et du commerce en ligne.
L’analyse de la cohérence des mesures mises en place avec la SNBC2 et les recommandations spécifiques concernant le secteur des forêt-bois et de l’utilisation des terres sont détaillées en Section 2.3.
Pour le secteur de l’énergie (10% des émissions nationales) :
Le secteur de l’énergie est le seul secteur dont les émissions réalisées sont significativement inférieures aux budgets carbone sectoriels indicatifs de la SNBC2. La trajectoire pour la décarbonations complète du secteur de l’énergie manque cependant d’approche systémique. Les mesures d’efficacité énergétique et de sobriété restent insuffisamment déployées.
Le réseau électrique n’est pas adapté à l’augmentation des capacités de production liée à l’électrication croissante des usages (mobilité, bâtiment, industrie), et à la nécessaire diversification des vecteurs énergétiques renouvelables.
Le déploiement des énergies renouvelables est insuffisant pour atteindre les objectifs 2030 actuels, qui seront renforcés par la nouvelle loi climat européenne.
L’énergie nucléaire a produit 69% de l’électricité en France en 2021, mais le vieillissement du parc réduit son taux de disponibilité. Les investissements annoncés dans le renouveau du parc prendront plus d’une décennie à se concrétiser.
Le développement de l’hydrogène décartonné pourrait permettre de répondre à des besoins de décarbonations ciblés (processus industriels, transport aérien et maritime, et éventuellement transport routier poids lourds), mais selon des échelles de temps qui restent incertaines.
Les mesures d’urgence en réponse à la hausse des prix de l’énergie et à la guerre en Ukraine pourraient avoir des conséquences structurelles sur la trajectoire d’émissions à long-terme, et nuire à l’atteinte des objectifs climatiques sectoriels si ces mesures sont maintenues sur le long-terme. La substitution du gaz russe par du gaz naturel liquéfié (GNL) pourrait quant à elle générer à la fois des actifs échoués, et une augmentation de l’empreinte carbone de la France. L’analyse de la cohérence des mesures mises en place avec la SNBC2 et les recommandations spécifiques concernant le secteur de l’énergie sont détaillées en Section 2.4.
Pour le secteur de l’industrie (19% des émissions nationales) :
Le secteur de l’industrie doit accélérer son rythme de réduction des émissions pour respecter les budgets carbone futurs et les ambitions du paquet européen « Ajustement à l’objectif 55 ». Les réductions annuelles attendues doivent dépasser les 2,2 Mt éqCO2 visés par la SNBC2 sur la période 2022-2030, alors qu’elles ont été de 1,8 Mt éqCO2 en moyenne sur 2018-2021.
Quatre feuilles de route de décarbonations ont été établies par les Comités stratégiques de filière (chimie, ciment, mines-métallurgie, papeterie), qui représentent près de 75% des émissions de l’industrie. Ces feuilles de route restent en deçà de l’ambition de la SNBC2. Elles n’intègrent ni les évolutions de la demande, ni les transformations des emplois, et restent peu opérationnelles.
Les financements climat augmentent, mais sont insuffisants face aux besoins de décarbonations à l’horizon 2030. Le plan France 2030 prévoit 4 Mrd € pour le développement de technologies innovantes, mais dont les effets sont attendus après 2030. Les dépenses défavorables au climat concernant l’industrie dans le « budget vert » de l’État n’ont pas été réduites. Peu de financements sont en place pour accompagner les filières et les transitions professionnelles.
Des avancées pour renforcer le cadre législatif et règlementaire sur les émissions de l’industrie sont à relever dans les matériaux de construction avec la RE 2020, et, à la marge, au titre de la commande publique dans la Loi climat et résilience. Au niveau européen, la révision du système de quotas d’émissions (SEQE) et le mécanisme d’ajustement aux frontières (MACF) peuvent permettre des avancées structurantes selon leurs modalités de mise en œuvre.
L’analyse de la cohérence des mesures mises en place avec la SNBC2 et les recommandations spécifiques concernant le secteur de l’industrie sont précisées en Section 2.5.
Pour le secteur des transports (30% des émissions nationales) :
Le secteur des transports, premier secteur émetteur en France, doit fortement accélérer son rythme de réduction des émissions pour respecter les budgets carbone futurs et les ambitions du paquet européen « Ajustement à l’objectif 55 ». Les réductions annuelles attendues doivent dépasser les 3-4 Mt éqCO2 visés par la SNBC2 sur la période 2022-2030, pour anticiper les nouveaux objectifs européens. En comparaison, les émissions de ce secteur ont diminué de 0,7 Mt éqCO2 par an sur la période du premier budget carbone (2015-2018) et 4,5 Mt éqCO2 par an sur la période 2019-2021.
Des avancées sont à souligner dans l’élaboration de stratégies de décarbonations, mais ne sont pas systématiquement traduites de manière opérationnelle et les financements ne sont pas assurés dans la durée. La stratégie de décarbonations de l’aérien n’est pas engagée, malgré les démonstrateurs technologiques et industriels, et n’intègre pas la maitrise de la demande.
La part des voitures électriques (9,8%) dans les immatriculations de voitures neuves s’accélère en 2021. Le verdissement des flottes soutenu par le Plan de relance, les normes européennes, et les mesures de la Loi sur les mobilités, ont contribué à cette accélération. Le déploiement des infrastructures de recharge électrique accuse cependant un retard. Les dispositifs d’accompagnement pour le renouvellement des véhicules particuliers ne ciblent pas suffisamment les ménages à faible revenus et les professionnels, dont les activités dépendent de leurs véhicules.
Le déploiement des services de mobilité à faibles émissions se poursuit, mais de manière trop lente et hétérogène, et peu opérationnelle à ce stade. La mise en œuvre des nouvelles mesures prévues par la Loi d’orientation des mobilités reste très variable. Le développement de solutions de mobilités alternatives dans les territoires ruraux n’est pas accompagné de moyens suffisants. La transition cyclable se poursuit, avec un besoin de nouvelles infrastructures et d’appui à la filière industrielle française du vélo.
L’analyse détaillée de la cohérence des mesures mises en place avec la SNBC2 et les recommandations spécifiques concernant le secteur des transports sont précisées en Section 2.6.
Une accélération sans précédent de la baisse des émissions dans tous les secteurs
La loi européenne sur le climat et le paquet « Ajustement à l’objectif 55 », en cours de discussion, imposent une accélération sans précédent de la baisse des émissions dans tous les secteurs. A l’international, l’objectif de neutralité carbone, adopté par un nombre croissant de pays, nécessite des engagements pour l’adaptation des pays en voie de développement au minimum cohérents avec les engagements déjà pris.
La COP26 de Glasgow a permis de renforcer l’ambition climatique internationale, en finalisant l’Accord de Paris et en impliquant un nombre croissant de pays vers des objectifs de neutralité carbone. Cependant les engagements fermes, portant pour l’essentiel au-delà de l’horizon 2030, ne permettront pas de limiter le réchauffement à 1,5°C. Le « Pacte de Glasgow » adopté en conclusion de la COP26 réaffirme que la décennie actuelle doit être celle d’un sursaut de l’action climatique au niveau mondial. Les pays signataires se sont engagés à renforcer leurs objectifs de court terme dès 2022.
La publication du 6ème rapport d’évaluation du GIEC souligne la nécessité d’une réponse globale immédiate afin de limiter le réchauffement climatique bien au-dessous des 2°C et au plus proche possible des 1,5°C. Le rapport démontre que des solutions existent pour réduire les émissions en profondeur d’ici 2030, y compris en agissant sur la demande et les services, dans tous les secteurs émetteurs, mais que les années à venir seront critiques. En particulier, les flux financiers doivent être réorientés vers les investissements bas-carbone et augmentés pour l’adaptation.
Les crises multiples fragilisent l’action multilatérale en faveur du climat, alors que les objectifs de soutien aux pays en voie de développement ne sont pas atteints. La mise en œuvre de l’Accord de Paris, fondée sur le principe de contributions volontaires, et les dimensions transfrontières et transgénérationnelles du changement climatique, exigent un niveau de coopération internationale sans précédent. Les financements mobilisés en faveur du climat par les pays développés vers les pays en développement ont atteint 79,6 Mrd$ en 2019, comparé à l’engagement de 100 Mrd$ par an, lui-même inférieur aux besoins réels de financement des pays en développement.
La guerre en Ukraine a révélé la vulnérabilité de la France et de l’Europe aux importations d’hydrocarbures et de matières premières comme les engrais minéraux. Au-delà des mesures immédiates de gestion de la crise, la réponse de la France doit privilégier les actions contribuant à la résilience aux
chocs externes et à la réduction accélérée des émissions de gaz à effet de serre. L’accélération de la décarbonations de l’économie prévue par le plan européen RepowerEU va dans ce sens. La sobriété permet quant à elle de renforcer l’indépendance aux importations d’énergies fossiles et
d’engrais minéraux, tout en poursuivant les objectifs climatiques. L’accélération du déploiement des énergies renouvelables et l’évolution des pratiques de production agricoles vers moins d’engrais azotés minéraux peuvent contribuer à la baisse des émissions, tout en réduisant la dépendance commerciale vis à-vis de la Russie et d’autres pays.
La loi européenne sur le climat adoptée en juillet 2021 rehausse les ambitions climatiques pour 2030 et le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » en cours de discussion impose une accélération sans précédent de la baisse des émissions dans tous les secteurs. Cet ensemble de propositions modifie l’architecture de la politique climatique européenne à travers notamment la révision du règlement sur la répartition de l’effort (RRE), du règlement sur le système d’échange de quotas d’émissions (SEQE) ainsi que du règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF). La révision du SEQE pourrait inclure la mise en place d’un nouveau système distinct pour le transport routier et les bâtiments et des ajustements concernant les transports internationaux. Enfin, le paquet européen crée un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF).
Les recommandations spécifiques concernant les dimensions Européennes et internationales sont détaillées en Sections 3.1 et 3.2.
La gouvernance climatique est désormais sous la responsabilité du Premier Ministre, qui doit piloter sa déclinaison pour chaque ministère et sa mise en oeuvre interministérielle et à l’echelle des territoires, en lien avec la nouvelle stratégie française énergie climat (SFEC) et en intégrant l’adaptation.
La planification écologique relève désormais de la responsabilité du Premier ministre. Les instruments de planification sont insuffisamment développés et articulés. La mise en œuvre y compris au plan budgétaire doit impliquer l’ensemble du gouvernement et veiller à articuler le niveau national et le niveau territorial. Si la SNBC2 a pu accroitre la sensibilisation des administrations aux objectifs climatiques, la future SFEC doit aller plus loin, en devenant un outil de pilotage opérationnel de l’action climatique de la France.
Le pilotage formel et régulier de l’action climatique nécessite un suivi plus continu des indicateurs et des évaluations des politiques publiques. Le caractère irrégulier de la tenue du conseil de défense écologique, qui ne s’est pas réuni depuis décembre 2020, et le grand nombre des sujets couverts n’ont pas permis ce suivi. Les plans climat publiés par les ministères relèvent davantage du recensement des actions publiques, que d’une programmation concrète d’actions aux effets mesurables. Les feuilles de route sectorielles, insuffisamment alignées avec la SNBC2 et sans mécanisme de pilotage permettant de garantir l’atteinte des objectifs, n’ont pas de capacité suffisante de mobilisation des acteurs économiques.
Enfin, peu de progrès ont été constatés dans l’année sur l’évaluation des lois au regard du climat.
L’absence d’une programmation de long terme des financements publics pour le climat n’apporte pas la visibilité nécessaire aux entreprises, aux ménages et aux acteurs publics. L’évaluation des mesures défavorables au climat manque encore de transparence et de régularité.
Une action sur les normes sociales, puissants leviers de changement structurel, est nécessaire afin d’impulser un engagement de l’ensemble de la société vers la neutralité carbone. L’exemplarité des décisions publiques et privées, l’encadrement des publicités non compatibles avec des modes de vie bas carbone et une plus grande présence des enjeux climatiques dans les médias relèvent de cette action.
Les recommandations spécifiques concernant la gouvernance sont détaillées en Sections 3.3.
La planification et la mise en œuvre des politiques climatiques dans les territoires montent en puissance, mais ne sont pas assez articulées avec les objectifs nationaux. La mise en cohérence des actions entre les différents échelons et aux différentes échelles temporelles est indispensable. Pour réaliser les diagnostics, élaborer les stratégies locales et déployer efficacement les plans d’action, les territoires disposent de ressources, moyens et compétences inégaux, qui appellent un accompagnement de l’État, pour répondre aux enjeux de transition juste.
- L’adoption des outils de planification climatique régionaux et locaux s’accélère. Les PCAET (Plan climat air-énergie-territoire) et SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) ont des cibles globalement alignées avec l’objectif de réduction des émissions pour 2030, mais pas avec celui de neutralité carbone en 2050. L’exercice de la SFEC n’a pas prévu une révision des plans et stratégies territoriales.
- L’action de l’État et celle des échelons territoriaux ne sont pas assez coordonnées, tout comme les actions régionales entre elles.
- La planification écologique et climatique n’intègre pas suffisamment les dimensions nationales de l’aménagement du territoire. Aux échelons locaux, les horizons temporels en matière d’aménagement et d’urbanisme ne correspondent pas à ceux de l’intensication du changement climatique et de ses impacts et risques.
- L’évaluation des documents de planification régionaux et locaux n’est pas assez développée. Des bilans des SRADDET ont été réalisés, mais sans méthodologie commune. Si le nombre de PCAET augmente, il n’y a pas de suivi ni d’évaluation prévus au niveau des collectivités.
- Le relèvement européen des objectifs climatiques implique une accélération de l’action dans les territoires, alors que les effectifs des opérateurs d’État dédiés ont diminué. Les dotations de financement et d’ingénierie territoriales restent insuffisantes, non pérennes, et le recours croissant aux appels à projets exclut les collectivités les moins dotées.
- Les recommandations spécifiques concernant les territoires sont précisées en Sections 3.4.
Les politiques d’adaptation manquent d’objectifs stratégiques, de moyens et de suivi et ne sont pas articulées avec la SNBC. En l’état, la France n’est pas prête à faire face aux évolutions climatiques à venir. Si de nombreux instruments existent déjà, ils doivent être rapidement consolidés, améliorés et complétés. L’aménagement est un outil insuffisamment mobilisé, notamment à l’échelle nationale. Si les actions d’adaptation sont locales, une vision stratégique globale et nationale, qui anticipe les impacts du réchauffement et les relocalisations, est nécessaire. La maladaptation constitue un risque important, de même que le sentiment d’injustice.
- La SFEC est une opportunité pour faire évoluer le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) vers une véritable stratégie nationale d’adaptation, avec une vision globale des actions, la définition des objectifs, jalons et moyens de sa déclinaison opérationnelle dans les territoires, et avec une meilleure articulation à la SNBC.
- La France dispose déjà d’instruments efficaces (prévention des risques, gestion de crise, indemnisation), mais l’aménagement et l’urbanisme sont insuffisamment mobilisés. La pérennité des instruments d’indemnisation est menacée.
- Les relocalisations et réaménagements sont mal anticipés. Face aux besoins croissants, la solidarité nationale et régionale est sous-dimensionnée.
- Faute d’une méthodologie partagée, l’adaptation est insuffisamment évaluée. Les risques de mal adaptation doivent être mieux identifiés. Ces risques sont forts si l’adaptation n’est que curative et réactive. Les effets négatifs de la maladaptation accentuent les inégalités et augmentent ainsi la résistance au changement.
- L’équité, la soutenabilité et le sentiment de justice sont essentiel pour que les efforts soient socialement acceptables. La présentation des co-bénéfices, la co-construction, la prise en compte des contextes locaux, connaissances et valeurs, favorisent l’appropriation.
- Les recommandations spécifiques concernant l’adaptation sont précisées en Sections 3.5.
Cohérence avec la SNBC2 : évaluation des politiques publiques avec la trajectoire SNBC
Le rapport annuel Haut Conseil pour le climat