Indosuez WM : focus Macroéconomie & Allocations d’actifs

À LA CROISÉE DES CHEMINS

Par Lucas MERIC, Investment Strategist, Indosuez Wealth Management

Nos changements sur le scénario post-été mettent en avant la divergence de ces derniers mois entre une économie américaine résiliente qui flirte avec la possibilité d’un atterrissage en douceur, et une économie chinoise dont la faible dynamique a justifié l’implémentation de nombreuses mesures de la part des autorités. En Europe, l’horizon s’est quelque peu assombri cet été mais nous n’anticipons pas de contraction dans la zone euro.

CHINE : LES YEUX RIVÉS SUR L’IMMOBILIER

Après plusieurs mois de données macroéconomiques décevantes, l’été fut actif dans l’Empire du Milieu, les autorités chinoises ayant multiplié les mesures fiscales, quasi-fiscales et monétaires. Objectif ? Relancer une économie qui fait face à de nombreux vents contraires : une reprise modeste, une inflation proche de zéro, une tendance baissière sur les créations de crédit, des incertitudes montantes autour de la situation financière de certains promoteurs immobiliers chinois et le ralentissement économique global peu favorable pour les exportations chinoises. Selon nous, ces mesures vont dans le bon sens, mais demeurent pour le moment insuffisantes pour stabiliser un secteur immobilier en forte contraction qui pèse sur la confiance au sein de l’économie chinoise.

Au rayon des bonnes nouvelles, les données d’août ont montré des premiers signes de stabilisation ; les ventes au détail et la production industrielle ont accéléré, surprenant positivement les attentes, tandis que les exportations se sont contractées dans une moindre mesure, profitant de la fin progressive du cycle de déstockage mondial et d’effets de base plus favorables. Cependant, l’immobilier a continué de peser sur l’investissement, tandis que les ventes de nouvelles maisons poursuivent leur contraction et que les prix sur les maisons des villes Tier 3 et Tier 4 ne montrent pas de signes de stabilisation au contraire des plus grandes villes. Dans un pays où l’immobilier représente indirectement plus de 20 % du PIB qui, avant la pandémie, représentait 60 % du patrimoine des ménages, et grâce auquel l’État récolte près de 30 % des recettes fiscales par le biais des ventes de terrains et des taxes liées à l’immobilier, nous considérons qu’il est crucial que les autorités mettent en œuvre les moyens nécessaires pour stabiliser le secteur. Dans cet environnement de confiance en berne et de faible dynamique de consommation, nous révisons à la baisse à la fois nos prévisions de croissance et d’inflation chinoise pour 2023 et 2024, avec une croissance qui cette année devrait trôner juste au-dessus de l’objectif de 5 % fixé par le gouvernement chinois en mars dernier (tableau 1).

ÉTATS-UNIS : UNE RÉSILIENCE À L’ÉPREUVE DES VENTS CONTRAIRES

Aux États-Unis, la situation est bien différente, l’économie américaine reste résiliente, maintenue à flot par l’épargne excédentaire accumulée qui a continué de soutenir le consommateur et les politiques de soutien à l’investissement ces derniers mois. Dans le même temps, les tensions sur le marché du travail américain (la demande de travail des entreprises était en début d’année deux fois supérieure à l’offre des travailleurs) continuent de se résorber en douceur, le nombre de postes ouverts diminue graduellement tandis que les suppressions d’emplois restent contenues (les nouvelles demandes d’emplois demeurant encore bien en-deçà de leur niveau pré-pandémie). Une dynamique positive qui a alimenté durant l’été les attentes d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine, d’autant que l’inflation a décéléré jusqu’à 3 % en juillet, avant de rebondir légèrement en raison d’effets de base sur l’énergie. Cependant, nous continuons de penser que la consommation devrait se contracter légèrement en fin d’année, pénalisée par l’évaporation de l’épargne excédentaire (la Fed de San Francisco estimant que cet excédant aura été entièrement dépensé à la fin du troisième trimestre), un environnement de taux élevés (les ménages américains ayant de plus en plus recours aux cartes de crédit) et la reprise des remboursements sur la dette étudiante à partir d’octobre. Cela dit, nous ne voyons pas la consommation s’effondrer pour autant. En effet, le marché de l’emploi reste résilient, le pouvoir d’achat devrait être supporté par une désinflation toutefois sinueuse (l’inflation devrait rebondir légèrement en fin d’année en raison de la composante énergie) tandis que les ménages affichent des situations financières saines notamment en raison d’effets de richesse positifs depuis la pandémie que ce soit par le biais de l’immobilier, des marchés actions mais aussi d’une épargne richement rémunérée.

ZONE EURO : DES RISQUES À L’HORIZON MAIS PAS DE CONTRACTION

Sur le vieux-continent, la dynamique de croissance a été quelque peu mitigée cet été, le ralentissement observé dans le secteur manufacturier s’étant désormais étendu au secteur des services, la contraction étant cependant plus prononcée en Allemagne et en France que dans les pays du sud de l’Europe. La reprise de la consommation en Europe nous semble plus modeste qu’attendue, la confiance du consommateur continue de se détériorer et nous pensons que les salaires réels devraient prendre plus de temps à rebondir, les salaires nominaux ayant montré quelques signes de décélération ces derniers mois. Dans ce contexte, nous avons légèrement revu à la baisse notre prévision de croissance pour 2024, cependant notre scénario d’une croissance modeste et graduelle en zone euro reste inchangé. En effet, au cours des prochains mois, le consommateur européen devrait profiter de la désinflation en cours (notamment tirée par décélération des composantes alimentaires et services) et d’un marché du travail solide. En 2024, la zone euro devrait également être supportée par la stabilisation dans le cycle manufacturier et du moindre impact de la politique monétaire sur l’économie.

Scénario d’investissement et convictions d’allocation

Par Gregory STEINER, Global Head of Multi Asset, et Adrien ROURE, Portfolio Manager Indosuez WM

SCÉNARIO D’INVESTISSEMENT

  • Croissance : notre scénario de croissance reste globalement inchangé. Nous maintenons notre vue d’une légère contraction ponctuelle aux États-Unis mais décalée au dernier trimestre 2023 en raison d’une résilience forte de l’activité économique outre-Atlantique. Nous ajustons à la baisse nos prévisions de croissance en Europe pour 2024 ce qui s’explique par des effets techniques et une consommation moins importante qu’anticipée initialement. Enfin, nous révisons à la baisse la croissance chinoise en lien avec la persistance des difficultés rencontrées par le secteur immobilier cet été. Nous demeurons en revanche positifs sur la croissance des pays émergents dans leur globalité.
  • Inflation : le processus de désinflation est en cours et devrait se poursuivre dans les économies avancées, en lien avec la décélération observée des prix des loyers et de l’alimentation et des effets de base favorables. En revanche, la disparition de ces effets techniques en fin d’année et le rattrapage des salaires devrait maintenir l’inflation à des niveaux élevés
  • Banques centrales : le cycle de hausse de taux de la Fed et de la BCE est désormais derrière nous. Les taux d’intérêt devraient maintenant connaître un plateau à minima jusqu’au début du deuxième semestre de l’année prochaine. Pour la Fed, nous prévoyons des réductions de 75 pb au second semestre si l’inflation sous-jacente se normalise vers 3 %. Pour la BCE, nous ne prévoyons aucune réduction en 2024 mais reconnaissons que la détérioration des perspectives économiques pourrait pousser les banques centrales à revoir leur politique monétaire. La réduction des bilans poursuit son cours et pourrait peser davantage sur la partie longue des courbes des taux.
  • Résultats d’entreprises : la divergence des révisions bénéficiaires entre les États-Unis et le Japon d’un côté et l’Europe d’autre part se poursuit, avec une croissance des résultats désormais attendue autour de 12 % aux États-Unis contre 6 % pour la zone euro.
  • Environnement de risque : la volatilité actions continue d’évoluer dans une fourchette étroite tandis que la volatilité taux revient sur ses points bas d’un an, un certain nombre d’opérateurs anticipant désormais le parfait scénario d’un atterrissage en douceur aux États-Unis. Nous pensons cependant que l’incertitude demeure élevée et reconnaissons en ce sens l’intérêt des stratégies optionnelles permettant d’accroître l’asymétrie des portefeuilles.

CONVICTIONS EN MATIÈRE D’ALLOCATION D’ACTIFS

Actions

  • Au cours de la saison estivale, nous sommes devenus plus constructifs sur les actifs risqués à la faveur d’un environnement économique plus résilient (en particulier aux États-Unis). Ceci se traduit par une préférence pour les actions américaines au sein de nos portefeuilles. Si la saisonnalité est généralement défavorable pour les marchés actions en septembre, nous maintenons cependant une vue tactique positive à court terme sur cette zone du globe.
  • Nous conservons une opinion neutre sur les actions européennes. Bien que les valorisations demeurent attractives, la croissance économique ne montre pas de signes nets d’amélioration à ce stade tandis que le resserrement monétaire et la raréfaction de la liquidité en zone euro pourrait continuer de peser sur le sentiment à court terme. En revanche, nous estimons que certains sous-secteurs et zones géographiques pourraient redevenir attractifs à l’image du marché actions britannique qui s’échange sur de faibles ratios de valorisation et pourrait profiter du rebond récent des prix de l’énergie.
  • Les actions des pays émergents demeurent une conviction forte, ces dernières devraient profiter d’un différentiel de croissance à l’avantage des économies en cours de développement par rapport aux économies avancées.

Obligations

  • Nous estimons que les récents mouvements sur la courbe des taux américains et européens peuvent offrir des points d’entrée attractifs pour réduire notre position sous-pondérée en termes de durée.
  • Néanmoins, nous continuons de penser que le risque demeure orienté à la hausse sur la partie longue des courbes. Le changement de la structure des émissions du trésor américain aux États-Unis (et une potentielle accélération de la réduction du bilan de la BCE en zone euro) devrait continuer de mettre sous pression la partie longue des courbes. Notre préférence demeure ainsi pour la partie courte des courbes, dont les niveaux de rendement offrent une protection avantageuse, sans grande volatilité attendue.
  • Nous appelons en revanche à davantage de prudence sur les emprunts des états périphériques, notamment sur la dette souveraine italienne, sur fonds de déséquilibre offre-demande et d’un environnement économique moins propice dans les mois à venir.
  • Côté crédit, nous maintenons notre préférence pour la dette d’entreprise de qualité de courtes échéances (les courbes de crédit étant relativement plates) et restons à l’écart du segment du haut rendement, notamment les notations les plus faibles, dont les niveaux de valorisation nous semblent relativement élevés.

Marché des changes

  • Au début de l’été nous avons tactiquement réduit notre conviction sur la parité EUR/USD. Depuis, l’euro est revenu sur ses points bas de mai, de concert avec l’élargissement de l’écart de taux transatlantique. À court terme, l’environnement macroéconomique pourrait continuer de soutenir le dollar mais les risques semblent désormais mieux équilibrés, limitant le potentiel d’appréciation de ce dernier.
  • Si le franc suisse a longtemps bénéficié d’un environnement presque unique de taux d’intérêt réels positifs à travers le globe, ce temps semble révolu. Nous conservons ainsi notre opinion neutre sur la devise helvétique, alors même que la Banque nationale suisse devrait en avoir terminé avec son cycle de hausse de taux.
  • Le yen continue de s’échanger à ses plus bas niveaux, se rapprochant des niveaux d’intervention précédents de la Banque du Japon. Il ne serait donc pas surprenant d’observer une plus grande volatilité de la devise à court terme, bien qu’un changement plus structurel de l’environnement monétaire soit nécessaire pour une appréciation durable du yen face au billet vert.
  • L’attrait des rendements des emprunts d’état représente un frein à la détention d’or. À l’opposé, la forte demande de métal jaune de la part des banques centrales limite le potentiel de baisse. Nous continuons d’anticiper des prix de l’or évoluant dans une fourchette, sans tendance majeure, tant que les taux d’intérêt réels resteront sur ces niveaux.