Les marchés peuvent connaître des changements rapides en période de forte incertitude, comme celle que nous vivons actuellement. Par Sébastian Paris Horvitz, Directeur de la recherche à la Banque Postale.
Les marchés financiers
Comme on pouvait s’y attendre, les taux longs sont repartis à la hausse, en Europe encore davantage du fait de la montée des prix de l’énergie, et l’appétit pour le risque a souffert, avec des bourses qui ont baissé, notamment les segments qui restent les plus sensibles aux taux d’intérêt de long terme, tels que les titres dit de croissance et souvent proches des secteurs de la technologie. En effet, ces titres voient leur valorisation fluctuer au rythme des mouvements des taux d’intérêt.
Toutefois, rien ne dit qu’un nouveau mouvement s’est enclenché, mais nous restons dans le camp de la prudence, devant les défis qui se présentent devant nous.
- Comment l’Europe va-t-elle pouvoir gérer le choc énergétique qu’elle subit ?
- A quelle vitesse l’inflation va t’elle décélérer ?
- Quel chemin pour la politique monétaire pour permettre la maîtrise des forces inflationnistes et quel impact sur la croissance ?
- A quand un vrai démarrage de la Chine et quel pourra être son ampleur ?
- Quels nuages nous apportera une situation géopolitique mondiale déjà très tendue ?
Voici quelques-unes des questions auxquelles il est extrêmement difficile de répondre et qui forcent à une certaine prudence pour les mois à venir. Il est vrai que, malgré le rebond des bourses, il y a encore un sentiment très (trop ?) négatif sur les marchés, mais vu les enjeux ceci semble naturel. Aussi, les valorisations de certains actifs risqués sont devenues plus raisonnables, mais on peut difficilement dire que tous les risques sont dans les prix. C’est pour cela qu’un positionnement défensif fait encore sens, avec une grande sélectivité basée sur la qualité et la recherche de valeur, y compris dans les secteurs clés pour l’avenir, notamment liés à la transition énergétique.
La trajectoire économique de la Chine reste incertaine. Néanmoins, les derniers chiffres économiques et une confiance en berne semblent bien avoir sonné à nouveau le signal d’alarme pour que les autorités fassent davantage. Ainsi, les banques commerciales, en suivant la baisse du taux directeur de la Banque centrale la semaine dernière, viennent de baisser leur taux de crédit. Le taux à 5 ans, qui fait référence pour les marchés immobilier, a été réduit de 15 points de base (comme en mai dernier). Ceci pourrait aider le marché immobilier. Mais il faut surtout « réparer » l’état des promoteurs immobiliers qui continue de peser sur l’activité. En ce sens, les autorités, ont annoncé des nouveaux prêts, en provenance des banques d’Etat, pour redémarrer les projets de construction qui sont aujourd’hui au point mort. Il est difficile de déterminer quel sera l’impact de ses mesures, mais il semble bien que les autorités tentent, dans l’urgence, d’enrayer la spirale baissière dans l’économie.
Les commentaires de plusieurs membres de la Fed au cours de derniers jours semblent finalement avoir atteint les oreilles du marché. On a ainsi vu les taux à long terme se tendre avec des hypothèses sur l’évolution des taux directeurs moins agressifs sur un possible changement de trajectoire du resserrement monétaire en cours. On attend en fin de semaine ce que Jay Powell, le président de la Fed, va dire à la conférence annuelle de Jackson Hole organisée par la Fed de Kansas city tous les ans. Va-t-il tenter de convaincre les marchés que la Fed doit faire beaucoup plus, ou plutôt jouer la carte de la prudence, validant l’idée de certains que l’inflation pourrait baisser sans trop d’effort par la Banque Centrale ? Les commentaires de ses collègues nous poussent à croire qu’il visera à confirmer la volonté de la Fed de casser les pressions inflationnistes et donc la nécessité de la poursuite de la hausse des taux directeurs pendant un certain temps.
Evidemment, le risque dans cet exercice de resserrement monétaire et d’en faire trop et donc d’affecter fortement la croissance, provoquant une récession coûteuse. C’est une des raisons de l’abandon par la plupart des banques centrales des orientations à moyen terme de la politique monétaire. Ainsi, la Fed, comme les autres banques centrales, navigue à vue, en considérant chaque statistique économique pour calibrer leur politique. On comprend les raisons devant les incertitudes actuelles, mais cela entraîne des changements brutaux sur les marchés qui spéculent sur l’éventuel changement de cap des autorités monétaires au regard de chaque nouvelle information économique.
Le président de la Fed devrait insister sur le fait que, pour l’instant, l’économie reste robuste, même si les fragilités internes, et sur le plan international, ont augmenté les probabilités d’une récession. L’exercice ne sera pas facile, et il est probable que J. Powell reste prudent comme à son habitude, sachant qu’avant le prochain comité de politique monétaire de la Fed (20-21 septembre), il disposera de deux statistiques importantes supplémentaires, l’état des marchés de l’emploi et l’évolution de l’inflation en août.
Plus que jamais, le marché tend à évoluer au gré des anticipations sur l’évolution des politiques monétaires. Ceci reflète en grande partie la dépendance forte qui s’est forgée au cours de la décennie passée, voire davantage, à l’apport considérable de liquidités au marché par les banques centrales dans une économie mondiale en déficit de croissance et d’inflation faible.
La rupture qui s’est opérée en début d’année avec la mauvaise surprise du réveil de l’inflation, mais surtout le basculement de la politique monétaire vers l’urgence d’une normalisation, s’est conclue par un ajustement brutal du prix des actifs, jadis gonflés par une aisance monétaire sans précédent.
Depuis la fin juin, la trajectoire a soudainement changé, avec un retour de la prise de risque et des taux longs en baisse. En partie, ceci correspondait à un mouvement typique de respiration du marché, après une forte tendance baissière. Mais, ceci s’explique surtout par un changement d’opinion d’une partie du marché quant à l’évolution de la politique monétaire, notamment de la Fed.
Ce changement, s’est nourri d’une accalmie sur le front des prix des matières premières, lui-même alimenté par la décélération de l’activité économique. Pour les marchés, la Fed allait devoir abandonner le resserrement monétaire dès le début 2023 et même assouplir rapidement sa politique monétaire.
Le marché considérait, que ce changement de cap devrait assurer un atterrissage en douceur de l’économie, alors que des taux d’intérêt en baisse pouvaient redonner, sur le plan boursier, un élan aux valeurs dites de croissance, gonflant de nouveau leur valorisation.
Ce scénario, qui est possible, est toujours présent. Néanmoins, il nécessite une dynamique de l’inflation très favorable. Il est encore bien trop tôt pour en être convaincu.
C’est aux banquiers centraux, et au premier chef, J. Powell de mieux guider les marchés pour ce qui est à attendre de la politique monétaire.
La bonne nouvelle est que, pour l’instant, l’économie américaine continue de résister malgré une conjoncture internationale dégradée. La récente baisse des prix de l’énergie devrait permettre de soutenir la demande en donnant du pouvoir d’achat aux ménages américains. Ceci pourrait permettre de préserver la croissance plus longtemps que prévu. De fait, la dernière livraison du modèle de la Fed de New York sur la probabilité d’une éventuelle récession, bien qu’ayant monté, reste à un niveau assez modéré. Pour notre part, nous continuons de penser que la fin d’années pourrait s’avérer plus difficile.
Etat-Unis : la probabilité d’une récession monte, mais reste encore modérée
En grande partie, ce modèle s’appuie sur l’évolution de la pente de la courbe des taux d’intérêt.
Sur les derniers mois, nous avons vu les taux à long terme reculer assez fortement, en partie lié à la baisse d’anticipations sur la montée des taux directeurs, conduisant même à une inversion de la courbe entre les taux à 10 ans et celui à deux ans (le 2 ans devenant supérieur au 10 ans). Ces derniers jours, on a vu les taux remonter, sans néanmoins combler la baisse depuis la mi-juin.
Evidemment, l’évolution de la courbe des taux dépend très largement de la capacité du marché obligataire à anticiper l’évolution des taux directeurs.
L’histoire nous enseigne que la capacité des marchés à anticiper très en avance la fin du resserrement monétaire est plutôt faible. En général, les taux longs atteignent leur pic seulement quelques mois avant le changement de politique monétaire. Ceci est assez normal, d’autant plus dans une situation de grande incertitude.
Etats-Unis: Le marché semble anticiper trop tôt le pic des taux directeurs
Néanmoins, nous vivons une conjoncture économique extrêmement incertaine, et les « réglés » du passé peuvent bien être mis à mal. En même temps, l’absence d’inflation sur les dernières décennies et la dépendance du marché et de l’économie à de politiques monétaire plutôt accommodantes peuvent pousser les opérateurs de marché à espérer un retour vers le passé un peu trop rapidement.
Les dynamiques enclenchées au cours de l’épisode de lutte contre le Covid pourraient, comme le pensent certains, s’estomper rapidement.
Mais, l’histoire nous enseigne que le réveil de l’inflation n’est pas facile à apaiser, d’autant plus quand les conditions financières ne sont pas trop restrictives, comme c’est le cas aujourd’hui, notamment aux Etats-Unis.
Par ailleurs, on peut rester perplexe sur la dynamique qui domine encore dans la détermination des taux à long terme. Malgré la multitude d’incertitudes qui pèsent sur l’avenir, que ce soit sur l’inflation ou la croissance, quand on essaie d’estimer la prime de terme (la rémunération du risque) demandée par les marchés pour détenir des Treasuries à 10 ans, on reste perplexe par le niveau actuel. En effet, ce calcul est fait par la Fed de New York, qui continue de donner un niveau historiquement bas, avec un chiffre toujours négatif ! Ces estimations sont évidemment fragiles mais, on peut y trouver sûrement un lien avec les distorsions provoquées par le maintien de politiques ultra accommodantes et le présence massive de la Fed sur le marché des Treasuries. Est-ce que la tentative de normalisation en cours de la politique monétaire va changer cette situation ? il est encore bien trop tôt pour le dire.
En même temps, la bonne nouvelle est que, les taux réels, restent quant à eux à un niveau positif.
Etats-Unis: les taux réels sont légèrement positifs…mais la prime de terme reste négative
En partie, cette lutte contre l’inflation passe par l’inflexion de la demande qui la mettrait plus en adéquation avec l’offre. En zone Euro, le choc énergétique qu’on subit, et les incertitudes associées à celui-ci, continue de peser sur la conjoncture. Ainsi, les dernières statistiques économiques continuent de décevoir les attentes, même si un peu moins qu’au cours du mois de juillet. On peut penser, que cette situation risque de perdurer malgré les aides des Etats pour atténuer l’impact sur le pouvoir d’achat de la hausse du coût de l’énergie.
Aux Etats-Unis, après un premier semestre très médiocre, l’activité semble enfin un peu rebondir, avec des nouvelles économiques qui s’approchent des attentes. En partie, ceci s’explique par l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages grâce à la baisse des coûts de l’énergie, mais aussi par de conditions financières qui se sont améliorée, avec la baisse des taux d’intérêt et la montée du prix des actifs risqués.
Une dégradation plus rapide que prévue de la conjoncture économique…mais en légère amélioration récemment
Aussi, contribuant à ces conditions financières plus favorables aux Etats-Unis, on trouve la nouvelle tendance à l’appréciation du dollar. Celle-ci est plus récente et provient en partie du changement qui s’opère sur les anticipations de hausses des taux directeurs, mais aussi à la dégradation de la situation internationale. Le billet vert sert donc comme d’habitude de valeur refuge.
Cette hausse du dollar contribue en partie à la décélération de l’inflation. De fait, la robustesse du dollar a contribué à faire baisser les prix des importations. Néanmoins, ce qui est on bon pour les Etats-Unis ne l’est pas forcément pour le reste du monde. Un dollar fort pourrait venir à nouveau compliquer la situation des pays émergents et évidemment enchérir les coûts de certaines matières premières exacerbant les pressions inflationnistes.
L’incertitude et la Fed maintiennent un dollar fort
La rentrée qui s’approche devrait apporter plus de volume de transactions au marché et nous donner plus de clarté sur les attentes, avec, espérons aussi, une idée plus précise sur la volonté des banquiers centraux.