Mais où sont donc passés les masques FFP2 permettant de se protéger contre le virus du Covid-19 ? Selon Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, l’Etat n’a plus de stock stratégique en raison de décisions prises par ses prédécesseurs. LCI fait le point sur ce nouvel imbroglio en pleine épidémie de coronavirus.
Partout, les témoignages des personnels soignants et des médecins de ville sont les mêmes : nous n’avons pas assez de masques pour travailler. Après avoir fait leurs fonds de tiroirs, les hôpitaux font face à de grandes difficultés pour équiper correctement l’ensemble des équipes. Ils manquent particulièrement de masques de type FFP2, de l’anglais filtering facepiece et que nous pourrions traduire par “pièce faciale filtrante”. En forme de “bec de canard” et recouvrant le bas du visage, le FFP2 est considéré comme le plus protecteur contre le Covid-19.
Comment expliquer la pénurie ? Interrogé à ce sujet le 19 mars à l’Assemblée nationale, Olivier Véran a expliqué : “Nous disposons d’un stock d’Etat d’environ 150 millions de masques chirurgicaux et d’aucun stock de masques FFP2. Il avait été décidé, suite aux crises sanitaires précédentes – je remonte pour cela à 2011 et 2013 – qu’il n’y avait plus lieu de conserver des stocks massifs de masques dans le territoire.” Le ministre des Solidarités et de la Santé avait déjà tenu les mêmes propos le 3 mars dernier lors de la séance des Questions au gouvernement.
Ainsi, d’après Olivier Véran, l’absence de stock de FFP2 serait due à des décisions passées. LCI a remonté le fil et vous explique tout sur la gestion des stocks stratégiques d’Etat en matière de masque.
L’acquisition et la gestion des masques chirurgicaux et de type FFP2 pour la prévention des maladies – dont la transmission s’effectue par voie respiratoire – ont été dévolues à l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Ce dernier a été créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur. A l’époque, l’objectif est de constituer un stock suffisant pour faire face aux prochaines épidémies. Ce qui arrivera dès 2009 avec la grippe A H1N1.
Pour faciliter la gestion des stocks nationaux, la décision est prise de construire un immense hangar à Vitry-le-François (Marne) pour un coût de 33 millions d’euros. Le bâtiment accueille également des boîtes de Tamiflu, un médicament préventif contre les grippes, ou des combinaisons de protection.
En 2016, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé dissout les missions de l’Eprus au sein d’un nouvel établissement public : Santé Publique France. La gestion des stocks stratégiques de produits de santé et de médicaments est alors attribuée à l’Unité Etablissement pharmaceutique. La décision d’acquisition ou de renouvellement des stocks stratégiques appartient exclusivement au ministre chargé de la Santé, telle qu’énoncé dans l’article L. 1413-4 du code de la santé publique.
Si aujourd’hui il semble impossible d’avoir une réponse précise à cette question, les chiffres ont été plus clairs par le passé. En 2009, un rapport sénatorial, intitulé “Chronique d’une pandémie annoncée : la gestion du ‘stock national santé’ par l’Eprus”, indiquait que l’Etat détenait 723 millions de masques FFP2 et un milliard de masques chirurgicaux, tous répartis sur différents sites.
Les chiffres précis les plus récents que LCI a pu obtenir sont les prévisions de 2012, d’après une note de la Direction générale de la santé (DGS) datant de février 2011. Il y avait dans les stocks d’Etat 600 millions de masques FFP2 et 800 millions de masques chirurgicaux.
D’après Olivier Véran, l’Etat dispose aujourd’hui seulement d’un stock de 150 millions de masques chirurgicaux et d’aucun stock de masques FFP2 en raison de décisions précédentes.
Nous retrouvons effectivement la trace d’une nouvelle stratégie instaurée en 2013 par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) – qui relève du Premier ministre – avec la publication d’une note intitulée : ‘Doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire’. Désormais, le stock national géré par l’Eprus concerne uniquement les masques de protection chirurgicaux à l’attention des personnes malades et de leurs contacts, tandis que la constitution de stocks de masques de protection des personnels de santé – notamment les masques FFP2 pour certains actes à risques – sont à la charge des employeurs, publics ou privés.
Comme l’a expliqué Olivier Véran aux députés, la décision de réduire les volumes des stocks a été fondée sur le fait que “les usines de production étaient capables d’être active très rapidement, notamment en Chine”, en cas de besoin soudain. C’est effectivement ce que rappellent la doctrine du SGDSN de 2013 et le rapport sénatorial de 2015. En cas de crise, les autorités sanitaires comptent désormais sur une mobilisation rapide des moyens de production nationaux – la France fait partie des plus gros fabricants de masques – et sur une augmentation des importations.
Mais cette stratégie demande une anticipation… Alors ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn a répété plusieurs fois que tout était prêt pour faire face à l’arrivée du Covid-19 et s’appuyait alors sur des avis des scientifiques. Il a fallu attendre le 3 mars dernier pour qu’un décret de réquisition des stocks et de la production des masques jusqu’au 31 mai 2020 soit promulgué par le Premier ministre.
Les sénateurs avaient-ils vu juste dès 2015 ? Une phrase du rapport précité souligne, en effet, que la stratégie “comporte certaines difficultés liées aux priorités propres des laboratoires pharmaceutiques et à l’évaluation de leur capacité de production dans des délais très courts, dans un contexte où les ruptures d’approvisionnement en matières premières sont de plus en plus fréquentes.”