Le prix de la lutte contre le changement climatique

L’Europe veut devenir une économie zéro émission d’ici 2050. Pour que la région reste compétitive, de nouvelles taxes carbone aux frontières pourraient s’avérer inévitables.

De nombreux pays européens et l’Union européenne elle-même se sont fixé des objectifs ambitieux pour atteindre une économie zéro carbone d’ici 2050. Afin d’atteindre son objectif tout en assurant des conditions concurrentielles équitables dans ses échanges avec d’autres pays du monde (en particulier ceux dont la réglementation environnementale est moins rigoureuse), l’UE sera probablement tenue d’imposer de nouvelles taxes carbone aux frontières.


L’UE s’est toujours postée à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique. Elle a été à l’origine des premiers grands quotas d’émission de carbone et du système d’échange de quotas d’émission, et des pays européens tels que l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont déployé leurs efforts très tôt pour promouvoir le développement d’un secteur de l’énergie solaire. Par ailleurs, l’UE a toujours établi les objectifs les plus ambitieux pour réduire les émissions globales parmi les grandes économies industrialisées.


Certaines des technologies nécessaires pour réaliser les objectifs environnementaux, comme l’énergie propre et les véhicules électriques, sont parvenues à leur maturité et devenues moins coûteuses que les processus traditionnels fonctionnant à l’énergie fossile. Mais ces solutions ne couvrent que la production d’électricité et le transport. À l’horizon
2050, l’objectif d’économie zéro carbone impliquera également des changements, voire des bouleversements dans plusieurs autres secteurs où les coûts de transformation deviendront plus élevés, ou de nouvelles technologies devront être financées et développées. Ces secteurs comprennent l’agriculture, le ciment, l’acier, l’aluminium, l’aérospatiale et une gamme d’autres industries manufacturières où apparaîtront des coûts importants liés à la décarbonisation. Il sera politiquement inacceptable
d’imposer ces dépenses aux entreprises européennes alors que les concurrents étrangers ne supportent pas les mêmes coûts.

Des impôts verts sont nécessaires pour garantir des conditions de concurrence équitables Étant donné que certains aspects de la lutte contre le changement climatique seront coûteux, les ajustements carbone
aux frontières (ACF) seront la seule façon pour l’UE d’assurer des conditions équitables dans les échanges commerciaux.
Ces impôts sont nécessaires à moins que les autres pays (en particulier, la Chine et les États-Unis) appliquent également des réglementations environnementales strictes et réduisent leur dépendance vis-à-vis du charbon et du pétrole.


Sans cette protection, la production industrielle se déplacerait simplement vers d’autres parties du monde où la réglementation environnementale est moins rigoureuse. Non seulement cela irait à l’encontre des objectifs, mais
affaiblirait aussi l’économie de l’UE en pénalisant son positionnement en faveur de l’environnement.
Les nouvelles taxes potentielles ne cibleraient pas un pays en particulier, et elles pourraient être conçues pour s’adapter à l’intensité carbone de la source de production spécifique. Si ces données ne sont pas disponibles, la taxe prélevée pourrait être ajustée à l’intensité carbone moyenne de l’électricité consommée dans l’industrie du pays d’origine.


Le groupe de réflexion londonien Climate Strategies a déclaré que les ACF avaient un attrait conceptuel et étaient politiquement populaires dans certains pays. « Ce mécanisme promet d’uniformiser les règles du jeu sur les marchés concurrentiels, de prévenir les évasions d’émissions de CO2 et d’encourager les partenaires commerciaux à renforcer leurs efforts en matière de climat », a déclaré le groupe dans un document de recherche publié en décembre 2017.

Les hommes politiques verts font face à un périlleux exercice d’équilibre
Les partis Verts en Europe ont affiché un solide succès lors des élections législatives européennes de mai. Les préoccupations concernant l’environnement et le réchauffement de la planète ont pris une place importante dans le débat politique, à la suite de manifestations qui se sont généralisées dans les grandes villes du monde entier, impulsées
par le groupe d’activistes Extinction Rebellion en début d’année. Les nouveaux élus verts qui cherchent à mettre en œuvre des politiques environnementales robustes devront en même temps assurer la protection de la prospérité économique et de la compétitivité de l’Europe.


Pour atteindre l’objectif de zéro carbone, l’UE devra probablement transformer tous ses processus de fabrication d’acier et d’aluminium en modes de production propres. Dans le cas de l’aluminium, la fabrication du métal à l’aide d’une fonderie à charbon produit 10 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre de plus qu’un mode de production fonctionnant
à l’énergie hydraulique. Cela équivaut à 250 euros au prix européen actuel du carbone, soit plus de 10 % du prix du métal.


Bien que l’Europe soit sur la bonne voie pour opérer cette transition, la plupart des autres pays du monde utilisent encore le charbon dans leurs usines de production d’aluminium. À 100 euros par tonne, c’est-à-dire le prix que le carbone atteindra probablement pour atteindre les objectifs fixés en vertu de l’accord de Paris, la différence entre les coûts (ou le
coût de production environnemental non payé à ce jour) représente plus de la moitié du prix actuel de la matière première.

Les produits fabriqués dans des centrales au charbon seront soumis à des
restrictions. Si l’Europe souhaite parvenir à une économie zéro carbone, elle ne peut importer des produits en aluminium fabriqués dans des centrales à charbon. De telles importations devront être découragées au même titre que la production au charbon qui fait l’objet d’une réglementation européenne dissuasive, actuellement à travers le prix du carbone (SEQE- UE). Un ACF appliquerait simplement le prix de carbone de l’UE à la quantité de carbone intégrée aux produits importés dans la région. L’idée semble avoir le soutien des acteurs de l’industrie.


« Si le monde veut vraiment remédier au changement climatique, la solution ne réside pas dans le transfert de l’empreinte carbone d’une région à une autre », a déclaré Lakshmi Mittal, PDG d’ArcelorMittal, le plus grand sidérurgiste du monde, dans un article du Financial Times de mai 2019. « Un pays ou une région qui veut jouer un rôle dans la réduction des émissions mondiales a plutôt besoin de politiques lui permettant d’élaborer une industrie bas carbone ».