LE PUZZLE DU MARCHÉ DU TRAVAIL AMÉRICAIN

Les rapports sur l’emploi des mois d’avril et de mai ont déçu, avec des créations d’emplois bien en deçà des attentes, un taux de chômage qui baisse lentement et un taux de participation qui ne rebondit pas. Cela tendrait à faire penser que le marché du travail américain est dans une configuration typique des débuts de cycle économique. Cependant, d’autres indicateurs sont eux cohérents avec une configuration de fin de cycle, ce qui rend la lecture de ces rapports bien plus compliquée que d’ordinaire.

En faisant l’hypothèse que les statistiques ne sont pas biaisées (nous verrons en fin de texte que certaines questions peuvent se poser), les créations d’emplois ont déçu en avril et mai (respectivement 278 000 et 559 000 emplois non-agricoles), en sortant nettement en dessous des attentes (près de 1 million en avril et 650 000 en mai). Le taux de chômage n’a que légèrement baissé, à 5,8% de la population active en mai (et même 8% si on réincorporait les 3,5 millions de personnes sorties de la population active depuis février 2020). Intuitivement, le fait que les demandeurs d’emplois soient aussi nombreux fait penser aux phases post-récession.

L’un des points frappants au sujet du marché du travail américain est que le nombre de personnes dans la population active reste inférieur de 3,5 millions par rapport à février 2020. Un tiers d’entre eux concerne les plus de 55 ans, ce que l’on peut expliquer par des départs à la retraite anticipés (retrait définitif du marché du travail) ou par une crainte du covid, cette catégorie d’âge étant plus menacée que les autres. Outre cette classe d’âge, c’est pour les 25-34 ans que le taux de participation a le moins rebondi, probablement à cause des problèmes de garde d’enfants. En tout cas, il est vraiment indispensable de regarder le taux de participation classe d’âge par classe d’âge car le taux de participation calculé par le BLS a de moins en moins de sens.

le taux de participation calculé par le BLS n’a plus de sens

Chaque mois, l’une des variables les plus commentées du rapport sur l’emploi est le taux de participation, qui est le ratio de la population active sur la population totale. Le « hic » est que pour la population totale, le BLS considère la population de 16 ans et plus, sans limite supérieure or le vieillissement de la population fait que la population en âge de travailler (15 à 64 ans dans les statistiques d’Eurostat ou de l’OCDE) a atteint un pic ces derniers trimestres et se met à baisser alors même que la population de 16 ans et plus continue d’augmenter rapidement.

Ainsi, le taux de participation publié par le BLS, qui stagne depuis des mois, n’était pas non plus remonté sur la période 2015-2019 alors que les conditions sur le marché du travail s’étaient nettement améliorées. Au contraire, un taux de participation calculé à partir de la population en âge de travailler était bien cohérent avec une telle amélioration sur la période et remonte bien graduellement sur l’année écoulée.  

Enfin, même si les créations d’emplois ont été inférieures aux attentes, il est important de noter que leur rythme a été malgré tout robuste depuis la réouverture de février (fort assouplissement des restrictions sanitaires, en particulier dans les Etats républicains), avec une moyenne de 539 000 par mois pour la période allant de février à mai. En restant sur ce rythme, l’emploi retrouverait son niveau de février 2020 vers l’été 2022.

Mais d’autres indicateurs, eux, sont caractéristiques des périodes de fin de cycle

Cela peut paraître paradoxal en période de chômage élevé mais ces dernières semaines, les articles de presse ont surtout fait état … de difficultés de recrutement expérimentées par les entreprises.  En réalité, l’offre de travail observable aujourd’hui est cohérente avec une période de fin de cycle et cela se comprend bien : dans un certain nombre de secteurs, la pandémie a été gérée de manière assez fluide avec la mise en place du télétravail ou de protocoles sanitaires.

Jerome Powell lui-même avait souligné cette « adaptation » lors du FOMC de janvier. En mai, 48% de PME indiquaient qu’elles avaient des offres d’emplois non pourvues, la proportion la plus élevée depuis la création de cette enquête en 1975, alors qu’elle est généralement très basse en début de cycle…

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