
Un rapport publié par EcoVadis et le Boston Consulting Group (BCG) tire la sonnette d’alarme : ignorer les émissions issues des chaînes d’approvisionnement, dites de « Scope 3 », pourrait coûter aux entreprises plus de 500 milliards de dollars par an d’ici 2030. Pourtant, loin d’être uniquement une menace, cette réalité ouvre aussi un immense champ d’opportunités pour renforcer la résilience, réduire les coûts futurs et construire une économie bas-carbone.
Les émissions de Scope 3, l’angle mort du climat en entreprise
Les émissions de Scope 3 regroupent celles générées tout au long de la chaîne de valeur d’une entreprise : extraction des matières premières. Fabrication chez les fournisseurs, logistique, utilisation et fin de vie des produits. Elles représentent en moyenne 21 fois plus d’émissions que celles des Scopes 1 et 2 (liées aux sites et activités directes).
Malgré leur importance, ces émissions restent massivement ignorées. Seules 24 % des entreprises dans le monde les déclarent et 8 % fixent des objectifs de réduction. La France fait un peu mieux, avec un tiers des entreprises qui publient ces données et 11 % qui adoptent des cibles chiffrées. Ces chiffres traduisent une sous-estimation flagrante d’un risque majeur.
L’inaction n’est pas seulement un problème environnemental : elle représente aussi un gouffre financier. En effet, la montée en puissance des politiques climatiques, notamment les mécanismes de tarification du carbone, exposera les entreprises récalcitrantes à des coûts astronomiques dans un avenir proche.
Le double péril : risques physiques et risques de transition
Les entreprises subissent aujourd’hui deux types de pressions simultanées.
- Les risques physiques, liés aux impacts directs du dérèglement climatique : inondations, vagues de chaleur, perturbations logistiques, pénuries de matières premières. Ces événements fragilisent les chaînes d’approvisionnement mondialisées et génèrent déjà des pertes économiques significatives.
- Les risques de transition, induits par l’évolution des politiques publiques, des réglementations et des marchés. À mesure que les États renforcent leurs ambitions climatiques et que les consommateurs exigent des produits durables, les entreprises incapables de s’adapter seront confrontées à des coûts supplémentaires, à une perte de compétitivité et à une érosion de leur réputation.
En combinant ces deux risques, les auteurs du rapport estiment que plus de 500 milliards de dollars de pertes annuelles pourraient peser sur les entreprises d’ici 2030.
Des opportunités économiques insoupçonnées
L’étude insiste sur un point clé : investir dès maintenant dans la décarbonation des chaînes d’approvisionnement n’est pas une dépense, mais un levier de performance. Les initiatives de réduction des émissions offrent un retour sur investissement estimé entre trois et six fois supérieur aux coûts engagés, en anticipant notamment la hausse du prix du carbone et les futures obligations réglementaires.
En d’autres termes, traiter le Scope 3 n’est pas qu’une contrainte réglementaire : c’est une stratégie de compétitivité. Les entreprises qui prennent de l’avance gagneront un double avantage : elles éviteront des charges massives à venir et bénéficieront d’une image renforcée auprès des clients, investisseurs et partenaires.
Cinq leviers pour transformer la prise de conscience en action
Le rapport EcoVadis-BCG identifie cinq priorités pour que les entreprises passent de la réflexion à l’action et fassent du Scope 3 un pilier stratégique de leur transformation :
1. Mobiliser les fournisseurs
L’essentiel des émissions se concentre chez les fournisseurs. Il est donc crucial d’impliquer ces derniers dans une démarche collective : partage de bonnes pratiques, objectifs communs, innovations conjointes. Plus les chaînes d’approvisionnement sont alignées, plus les résultats sont significatifs.
2. Mesurer précisément les émissions
On ne réduit que ce que l’on mesure. La construction d’un inventaire fiable des gaz à effet de serre, avec des données détaillées allant jusqu’au niveau produit, constitue une étape incontournable pour orienter les décisions.
3. Créer une gouvernance climatique interne
Une équipe dédiée, disposant de moyens réels et intégrée aux instances de direction, doit piloter la stratégie bas-carbone. Sans portage fort au plus haut niveau, la transition restera un discours sans effet.
4. Élaborer un plan de transition structuré
Au-delà des annonces, les entreprises doivent définir un plan clair avec des étapes, des échéances et des objectifs chiffrés, traduisant la vision long terme en actions concrètes.
5. Allouer un budget spécifique à la décarbonation
Sans financement dédié, les ambitions restent théoriques. Les entreprises doivent inscrire dans leurs budgets des enveloppes réservées à l’innovation, à l’efficacité énergétique et aux solutions bas-carbone.
Les cinq prochaines années : une fenêtre décisive
Les experts du BCG rappellent que le calendrier est serré : pour espérer limiter le réchauffement à 1,5 °C ou au maximum 2 °C, les cinq prochaines années seront déterminantes. Reporter l’action reviendrait à multiplier les coûts et à compromettre la résilience des chaînes d’approvisionnement mondiales.
La base de données utilisée pour cette étude, issue de plus de 133 000 évaluations menées sur 83 000 entreprises, confirme que les leviers identifiés ne relèvent pas d’une théorie abstraite, mais de pratiques concrètes déjà observées sur le terrain.
Du risque à l’opportunité stratégique
L’inaction climatique face aux émissions de Scope 3 représente un danger financier colossal. Mais au lieu de subir cette réalité, les entreprises ont la possibilité d’en faire un moteur de performance. En transformant leur chaîne d’approvisionnement en levier de décarbonation, elles réduisent leur exposition aux risques, répondent aux attentes de leurs parties prenantes et renforcent leur compétitivité.
Le message est clair : les entreprises qui prendront dès aujourd’hui le virage du Scope 3 seront les gagnantes de demain. Les autres risquent de payer au prix fort leur retard.
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