Lettre Trésor-éco : Compétences et réallocations intersectorielles des emplois après la crise

● En 2020, 296 000 emplois salariés ont été détruits en France (1,2 % des emplois). Quelques secteurs concentrent  la majorité des destructions d’emploi, dont l’hébergement-restauration, les arts et spectacles, le commerce ou la  fabrication de matériels de transport. D’autres secteurs ont créé de l’emploi en 2020, comme la santé,  l’hébergement médico-social, l’enseignement, ou la construction. Au total la baisse nette de l’emploi est restée  limitée au regard de la perte d’activité de 8 % sur l’année, et l’emploi est reparti en hausse au 1er trimestre 2021. 

● Si la très grande majorité des travailleurs vont retrouver un emploi dans leur secteur d’origine après la crise, des  réallocations devront néanmoins s’opérer en raison d’évolutions durables de la demande, telles que le  développement du télétravail ou le recul des voyages d’affaires. La fluidité de ces réallocations sera déterminante  pour la vigueur du rebond de l’économie et de la productivité. L’enjeu est d’éviter une situation où un niveau de  chômage élevé coexisterait avec des emplois non pourvus.  

● Des tensions de recrutement existaient avant crise dans certains métiers. Une partie pourrait subsister, car les  facteurs qui en sont à l’origine persisteront – par exemple, celles qui sont liées à un manque de personnes formées  (aides-soignants, infirmiers, sages-femmes, techniciens et ingénieurs de l’informatique, ou personnel d’étude et  de recherche). 

● Certaines compétences (le management d’équipe, la gestion des commandes, l’utilisation  des technologies de l’information), très présentes  dans les secteurs détruisant de l’emploi, le sont  aussi parmi les secteurs créateurs, tandis que  d’autres (comme la gestion des stocks, la vente,  la relation client) le sont beaucoup moins. En  général, les travailleurs peu qualifiés disposent de  compétences plus éloignées des métiers en  croissance.  

● Pour faciliter les réallocations intersectorielles en  sortie de crise, il faut bien informer les demandeurs d’emploi et les salariés sur les opportunités d’emploi et d’évolution qui s’offrent à  leurs compétences et les accompagner dans leur  besoin de formation. La Loi pour la Liberté de  Choisir son avenir professionnel et le Plan de  relance mettent des moyens importants à leur  disposition dans ce sens. 

1. Les secteurs ont été touchés différemment par la crise

Plusieurs secteurs ont été particulièrement affectés par  les destructions d’emplois en 2020 : l’hébergement  restauration, les arts et spectacles, la fabrication de  matériels de transport, la métallurgie, le commerce, les  services administratifs et de soutien, les services aux  ménages, et les activités financières et d’assurance  sont les secteurs qui ont perdu le plus d’emplois sur  l’année (de 11 000 emplois détruits pour les activités  financières et d’assurance jusqu’à 137 000 pour  l’hébergement-restauration). Dans ces secteurs,  l’emploi se situait fin 2020 toujours en dessous du  niveau d’avant crise. Ces secteurs représentaient 35 %  de l’emploi salarié hors agriculture en 2019. 

Dans l’hébergement-restauration et le secteur des arts, spectacles et activités récréatives, l’emploi a fortement  baissé au premier semestre 2020 avant de rebondir  fortement durant l’été, sans toutefois retrouver son  niveau d’avant-crise. Dans la fabrication de matériels  de transport et la métallurgie, le repli de l’emploi a été  légèrement moins marqué en début de crise, mais le  rebond a été très limité durant l’été.

Enfin, les secteurs  des services aux entreprises, du commerce et des  activités financières et d’assurance subissent des  pertes limitées en termes de taux d’évolution de  l’emploi mais concentrent beaucoup d’emplois et sont  donc de fait très représentés dans les destructions  (cf. tableau 1).

Le dispositif exceptionnel d’activité partielle plus  généreux mis en place en réaction à la crise a permis  de limiter fortement les répercussions de la baisse  d’activité sur les entreprises et les ménages et d’éviter  un nombre important de licenciements économiques.  La baisse de l’emploi est en effet bien inférieure à celle  de l’activité : l’emploi marchand a chuté de 1,5 % en  moyenne annuelle, un repli plus faible que celui  observé en 2009 (–2,2 %), alors que la chute d’activité  est beaucoup plus importante (–8 % en 2020 contre –2,8 % en 2009).  

Le recours au dispositif d’activité partielle a été très  hétérogène selon les secteurs. Sur les mois de mars à  décembre 2020, trois secteurs représentent plus de la moitié des heures indemnisées : l’hébergement restauration, le commerce et les services aux entreprises. La répartition a évolué au fil des mois : le  poids du secteur de l’hébergement-restauration dans  les heures indemnisées est passé de 16 % lors du  premier confinement (mars-mai 2020) (mars-mai 2020)  à plus de 40 % pendant le deuxième confinement  (novembre-décembre 2020). 

Les perspectives de rebond de l’activité de ces  secteurs restent inégales. Selon l’enquête de la Dares  sur l’activité et les conditions d’emploi de la main d’œuvre pendant la crise sanitaire (Acemo-covid),  37,2 % des salariés du secteur de la fabrication de  matériels de transport travaillaient en mai 2021 dans  une entreprise anticipant que l’activité mettra plus d’un  an à revenir à la normale. Ce chiffre s’élève à 28,3 % pour les salariés travaillant dans le secteur de  l’hébergement-restauration (cf. graphique 1).

Les secteurs très touchés font face à des enjeux  différents en termes de dynamique d’emploi, de capital  humain et d’accès à la formation. Dans les services  fortement affectés par la crise sanitaire, l’emploi était  particulièrement dynamique avant la crise. Dans  l’hébergement-restauration, l’emploi salarié (y compris  intérim reventilé) en moyenne annuelle était en hausse  de 1,7 % par an en moyenne entre 2012 et 2019. À  l’inverse, dans les secteurs industriels (hors industries  pharmaceutique et extractive), l’emploi salarié (y  compris intérim reventilé) était en déclin depuis  plusieurs années (–0,9 % en variation de moyenne  annuelle sur la période 2012-2016), même s’il était  reparti à la hausse en 2017 et 2018 (+0,5 % puis  +0,6 %), reflétant le fait que certaines industries  comme la fabrication d’équipements et d’autres  produits industriels avaient recommencé à créer des  emplois. 

Les différents secteurs diffèrent aussi par le niveau des  qualifications qu’ils requièrent. Les secteurs de la  fabrication de matériels de transport, des arts,  spectacles et activités récréatives, et des activités financières et d’assurance sont caractérisés par un  niveau de diplôme assez élevé, les activités de  services administratifs et l’hébergement-restauration  emploient davantage de non diplômés que la moyenne. 

Enfin, certains de ces secteurs sont caractérisés par un  faible accès à la formation professionnelle. Dans le  secteur du commerce, selon l’enquête de l’Insee sur la  formation des adultes (AES) de 2016, 45 % des  travailleurs ont participé à au moins une formation sur  une année, soit l’un des taux d’accès sectoriels à la  formation les plus faibles (cf. graphique 2).

Ce faible  accès la formation professionnelle pourrait se traduire  par des difficultés à retrouver un emploi en sortie de crise pour des personnes souhaitant s’orienter vers d’autres secteurs. 

2. En miroir des destructions d’emploi, d’autres secteurs ont créé de l’emploi  en 2020  

À l’opposé, des secteurs ont été créateurs nets  d’emplois en 2020. Les activités informatiques, la  recherche-développement scientifique, la construction,  les activités pour la santé humaine, l’hébergement  médico-social et l’enseignement ont créé 96 000  emplois en 2020 et ils représentaient 29 % de l’emploi  salarié avant la crise (cf. tableau 1).  

Selon la Dares et Pôle Emploi1, 57 métiers étaient  concernés par des difficultés de recrutement en 20192.  

Ces tensions pouvaient avoir plusieurs origines :  fréquence élevée des besoins de recrutement,  conditions de travail ou d’emploi peu attractives,  manque de main-d’œuvre disponible, décalage entre  les compétences requises par les recruteurs et celles  détenues par les personnes en recherche d’emploi, ou  désajustement géographique entre la demande et  l’offre de travail.  

On peut anticiper que certaines de ces tensions  perdureront après la crise, comme celles qui sont liées  à un décalage entre la formation des demandeurs  d’emploi et les compétences requises par les  employeurs (travailleurs qualifiés dans le bâtiment et  l’industrie, personnels de recherche, technicien et ingénieurs de l’informatique, aides-soignants,  infirmiers, sages-femmes), celles qui sont liées aux  conditions de travail contraignantes (ouvriers qualifiés  et non qualifiés dans le bâtiment et l’industrie, aides soignants, infirmiers) ou encore à l’inadéquation  géographique entre employeurs et travailleurs (ouvriers  qualifiés et non qualifiés dans l’industrie, employés de  maison, assistantes maternelles, cadres et technicien  de la banque/assurances). Ces tensions représentent  un gisement d’emplois potentiel. À l’inverse, si les  emplois ne sont pas pourvus dans des délais  raisonnables, les tensions dans ces métiers peuvent  devenir un frein à la croissance de la productivité et  coexister avec un chômage élevé. 

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