Le gaspillage et l’empreinte carbone croissante de l’industrie de la mode en font l’une des plus polluantes au monde. Près de 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année, ce qui représente une hausse d’environ 50% par rapport à 2006 , due en grande partie à la « fast fashion », ou mode éphémère, qui encourage la consommation de vêtements bon marché, souvent renouvelés. Par Andrea Carzana, gérant actions Europe, Columbia Threadneedle Investments et Rupert Welchman, Gerant de portefeuille Actions Impact – Union Bancaire Privée (UBP) .
Investir dans le secteur de la mode écoresponsable
Le secteur de l’industrie de la mode émet désormais plus de CO2 que ceux du transport aérien et maritime réunis, et utilise 79 milliards m3 d’eau douce par an, tandis que la production des matières premières et du textile contribue également à la pollution des eaux.
Mais malheureusement, une très faible proportion des vêtements fabriqués est recyclée et réutilisée, la plupart terminant au rebut ou incinérés dans l’année suivant leur fabrication Selon la fondation Ellen Macarthur, l’industrie mondiale de la mode produit près de 53 millions de tonnes de fibres par an, dont plus de 70% finissent en déchets. Moins de 1% est réutilisé pour de nouveaux vêtements.
Nous observons toutefois les prémices d’un changement structurel des habitudes d’achat de vêtements, qui se caractérise par une plus grande sensibilisation à la durabilité, sous l’impulsion des jeunes consommateurs. Les détaillants commencent à s’ouvrir à l’idée du recyclage et de la revente et les gouvernements mettent en place des initiatives pour soutenir cette évolution.
Le recyclage de vêtements et de chaussures usagés en de nouveaux articles est une tendance croissante, comme l’affirme Pauline Grange, Global Equities Portfolio Manager, dans son récent article intitulé « La mode s’intéresse à la durabilité par le biais de l’économie circulaire ». Aux côtés du recyclage, cependant, l’essor du marché du réemploi et de la seconde main offrira aux investisseurs une opportunité formidable, dès lors qu’il devrait doubler au cours des cinq prochaines années pour atteindre 77 milliards USD et être deux fois plus important que celui de la « fast fashion » d’ici 2030.
Un changement impulsé par les clients
Zalando, qui commercialise des articles de mode et de beauté en ligne, est l’une des sociétés qui a repéré et profité de cette opportunité. Son objectif est d’intégrer la durabilité et les principes de l’économie circulaire dans sa stratégie afin de devenir une plateforme de mode à la contribution nette positive. La société devrait profiter d’une poursuite de l’évolution des préférences des consommateurs vers des produits plus durables et la revente.
Elle s’attache à promouvoir l’économie circulaire et s’est fixé pour objectif de prolonger la durée de vie d’au moins 50 millions de produits et de générer 25% de son volume brut de marchandises grâce à des produits plus durables d’ici 2023, contre 16% en 2020. Pour y parvenir, Zalando a introduit un système d’indicateurs et de filtres pour les produits plus durables proposés sur sa plateforme, afin de permettre aux consommateurs de sélectionner des articles d’une série de marques en fonction de thèmes tels que les matériaux respectueux de l’environnement, la conservation de l’eau et le bien-être des travailleurs. En vue de promouvoir l’économie circulaire, Zalando offre à ses clients la possibilité d’acheter et de vendre des articles d’occasion sur sa plateforme propriétaire Zircle et achète aussi directement des articles de seconde main aux clients par le biais de l’initiative Pre-Owned. La société espère capitaliser sur la fidélité que cela lui apportera, cet engagement supplémentaire étant susceptible de générer des relations plus longues et plus étroites avec les consommateurs.
L’activité récente d’autres acteurs du secteur de la mode suggère qu’eux aussi anticipent ce changement structurel à long terme. La société de commerce en ligne Etsy paie 1,6 milliard USD pour Depop, une application britannique consacrée à la mode de seconde main dont 90% des utilisateurs ont moins de 26 ans. H&M a acheté une participation de 70% dans Sellpy, un marché de deuxième main axé sur la durabilité et souhaite s’étendre à 20 marchés supplémentaires dans le cadre d’une vaste opération d’internationalisation. La filiale de H&M COS a lancé une plateforme de revente numérique appelée Resell8, qui permettra de revendre entre particuliers des articles COS. Vinted, une plateforme européenne de revente de vêtements en ligne, a levé 250 millions EUR lors de son dernier tour de table, ce qui valorise la société à 3,5 milliards EUR.Même le conglomérat spécialisé dans le luxe Kering suit le mouvement, puisqu’il a acquis une participation de 5% dans Vestiaire Collective, une plateforme de revente de vêtements haut de gamme entre particuliers. Nous assistons là à des changements généralisés et structurels dans l’ensemble du secteur.
Une autre évolution susceptible de déclencher un changement structurel des habitudes d’achat d’articles de mode est le lancement par Nike de son projet pilote de collecte et de revente de baskets d’occasion, Nike Refurbished. Il s’agit là d’un exemple d’entreprise qui s’implante directement sur le marché de la revente de produits, une démarche susceptible d’avoir des conséquences au niveau de ses propres ventes de baskets neuves et des plateformes de revente tierces. Jusqu’à présent, la plupart des grandes marques ont évité de prendre de telles initiatives.
Soutien réglementaire
Cette tendance s’accompagne par ailleurs d’initiatives réglementaires. Le Royaume-Uni et l’Union européenne cherchent à sortir de l’économie du jetable et du gaspillage en fixant des objectifs contraignants pour 2030 et 2050. L’initiative Textiles 2030 s’appuie sur les connaissances et l’expertise des leaders britanniques en matière de durabilité pour soutenir les secteurs de la mode et du textile au Royaume-Uni dans leur transition vers le développement durable et un changement systémique. Cette initiative est ouverte à toutes les entreprises de la chaîne de valeur de la mode et du textile, des distributeurs aux recycleurs. Cet accord volontaire leur permet de collaborer sur des cibles liées au carbone, à l’eau et à l’économie circulaire dans le textile. Elles peuvent également contribuer aux discussions sur les politiques nationales avec le gouvernement britannique pour faire encore évoluer la réglementation.
Le ministère britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales mène des consultations relatives à un plan de responsabilité élargie des producteurspour les secteurs de la mode, de la construction, des véhicules, de l’alimentation et de l’électronique et l’UE envisage des mesures similaires, y compris pour la mode, dans le cadre de son plan d’action pour l’économie circulaire. Les producteurs seront ainsi incités à prendre des décisions meilleures et plus durables lors de la phase de conception des produits, ce qui simplifiera la réutilisation ou le recyclage. Dans la mode, il faudra probablement que les marques et les distributeurs financent le recyclage des vêtements et proposent des innovations dans la conception des matériaux et des textiles.
Les objectifs nationaux de réduction des émissions alignés sur l’accord de Paris, ainsi que les efforts déployés par les entreprises pour atteindre les objectifs de neutralité constituent un troisième volet de soutien réglementaire indirect. Ils devraient favoriser la tendance à la revente, dès lors que l’allongement de la durée de vie des produits peut réduire l’empreinte écologique du secteur de la mode.
Cet élan des consommateurs associé à la pression réglementaire pourrait entraîner un changement structurel inéluctable et à long terme, qui ne fait que commencer. Etant donné que les consommateurs du secteur de la mode prévoient d’acheter davantage d’articles d’occasion que dans tout autre secteur les vêtements de seconde main pourraient représenter une opportunité d’investissement de premier ordre.
Une lourde empreinte carbone
Epuisement des ressources naturelles, pollution, forte consommation d’energie,emissions de gaz à effet de serre- la chaine d’approvisoonment coche en effet toutes les cases ! Sans parler de la main-d’oeuvre sous-payée ( Voire de l’exploitation des enfants), de la précarité de l’emploi, et des conditions de travail parfois dangereuses . Le secteur du ‘fast-fashion’, qui vise une consommation accrue et une baisse des prix, utilise encore trop de ressources, et il est grand temps qu’il se mette au vert .
Une des préoccupations majeures est l’impact des matières premières utilisées pour la fabrication des textiles. Le coton est certes naturel, biodégradable et recyclable, mais sa production nécessite beaucoup d’eau et de terres agricoles. Quant au polyester, la fibre synthétique la plus utilisée dans la confection, il consomme moins d’eau et génère moins de déchets que les fibres naturelles, mais il n’est pas biodégradable et, lors du lavage, il libère dans l’eau des microplastiques qui nuisent à la vie sous-marine et, au final, affectent tout l’écosystème, dont nous faisons partie.
Sur le marché des fibres écologiques, qui pèse CHF 37,3 milliards, les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à vouloir proposer des alternatives comme le chanvre, la pâte de bois, ou encore le marc de café et les algues. Des efforts sont aussi déployés dans le recyclage des matières synthétiques telles que le P.E.T. pour la fabrication des sacs et des chaussures notamment. Autre industrie émergente, la production de teintures naturelles à partir de microorganismes visant à remplacer les substances chimiques toxiques généralement utilisées pour le traitement et la coloration des fibres.
Pour que le secteur de la mode devienne circulaire, le choix de telles alternatives doit s’inscrire dès la conception, et cela suppose de garder à l’esprit l’intégralité du cycle de vie du produit, y compris son élimination. Les déchets textiles aux prémices de la fabrication peuvent être nettement réduits simplement en optimisant les processus de design et de coupe (jusqu’à 15% du tissu utilisé pour la production est jeté uniquement à ce stade).
Toutefois, aussi importante soit-elle, la refonte des méthodes de production doit également s’accompagner d’un profond changement de mentalité du consommateur. Selon Euromonitor International, ces quinze dernières années, le taux d’utilisation des vêtements a baissé de 36% (à 10 utilisations par article). En étant prêts à dépenser plus pour chaque article, en privilégiant la qualité à la quantité, et en profitant de nos vêtements plus longtemps, nous pouvons, en tant que consommateurs, avoir un impact considérable. Il existe en outre une tendance à s’orienter davantage vers le marché de l’occasion et la location, surtout parmi les jeunes. Nul doute qu’une consommation réfléchie a de réels avantages sur le plan culturel, financier et écologique.
La fin de vie des vêtements,
L’industrie a besoin d’une meilleure coordination et de centres de tri et de recyclage à grande échelle. Seul 1% environ des tissus sont recyclés, et 20,5 milliards d’articles vont à la déchetterie chaque année. Des méthodes de recyclage mécaniques et chimiques se développent certes, mais il faudrait davantage d’investissements pour qu’elles puissent se généraliser.
Selon les estimations, l’amélioration des différentes phases de la chaîne de valeur pourrait faire économiser CHF 174 milliards environ par an, tout en optimisant la consommation d’énergie et d’eau ainsi que les pratiques de travail.
Vu l’importance de l’innovation technologique pour le succès de ces transformations majeures, la mission du secteur financier prend ici tout son sens. C’est grâce à l’investissement que des initiatives sporadiques deviennent des vecteurs du changement structurel. Ainsi, les investisseurs ont un rôle clé à jouer en guidant les capitaux vers des entreprises d’impact novatrices en quête de solutions, et aussi en s’engageant directement auprès d’elles pour favoriser la coopération tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
C’est grâce aux investisseurs d’impact et aux consommateurs responsables – sans oublier la collaboration entre les différentes parties prenantes (entreprises, législateurs, organisations à but non lucratif, etc.) – que le secteur de la mode aura la capacité de revêtir pleinement son potentiel : devenir une industrie au service de la société et respectueuse de la nature.