Des nouvelles de Nicolas Hulot !

“Après ce que j’ai vécu, il faudra envoyer du lourd pour me faire vaciller”

Alors que Nicolas Hulot est en quasi diète-médiatique depuis plus d’un an suite à l’annonce de sa démission, l’ ancien ministre a accordé au magazine GQ une interview. Découvrez ci-dessous la reprise des principaux passages :

Etes-vous plus optimiste aujourd’hui que lors de votre démission en août 2018 ?

Ni plus ni moins, je me suis programmé pour ne pas perdre espoir, même si parfois, ça relève de l’acte de bravoure ! Nous sommes dans un moment très particulier de l’histoire de nos sociétés, on avance sur un seuil de crête étroit et le temps nous est compté. Par définition, on peut basculer du bon ou du mauvais côté. Récemment, je suis tombé sur Combien de catastrophes avant d’agir, un livre co-écrit il y a près de 20 ans avec le conseil scientifique de ma fondation : rien n’a changé, du moins dans le bon sens. La seule chose qui m’effraie, c’est le déni de réalité car la réalité n’a pas plusieurs versions, elle nous est livrée par la science et globalement tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le diagnostic. Alors, il y a bien sûr ceux dont le quotidien empêche d’entendre ce que la science nous dit.

Diagnostic par ailleurs non-contraignant …

Oui, c’est pour cela que j’étais le seul à l’époque à ne pas exulter quand Laurent Fabius a donné son fameux coup de marteau. Ça faisait certes très longtemps depuis Yalta qu’autant d’États n’avaient pas signé un tel document. Mais je savais que cet accord allait nous permettre de nous donner bonne conscience avant de passer à autre chose.

C’est un peu ce qui s’est produit quand vous avez rejoint le gouvernement Macron ? Vous étiez l’alibi rêvé …

Non, car ça supposerait que tout ait été pensé comme ça or ce n’est aussi simple. La conscience écologique, c’est un long chemin que moi-même je n’ai pas fini d’accomplir. Certains en sont au début, d’autres à la fin. Mais c’est vrai qu’il y a chez beaucoup d’élites, le sentiment que le progrès, la technologie ou l’économie nous sauveront de tout. Par ailleurs, le politique est confronté à ce que certains économistes appellent “la tragédie des horizons”, c’est-à-dire la confrontation du court et du long terme. Il est également sous le feu permanent d’injonctions contradictoires. Et la pression du court terme est énorme. Si elle n’est pas satisfaite rapidement, chacun peut – avec les réseaux sociaux- paralyser un pays, il faut le savoir. Il ne s’agit pas d’exonérer les politiques mais on ne peut pas les rendre responsables de tous les maux. Nous sommes dans une crise systémique, c’est donc bien l’ensemble du modèle économique qui est à revoir. De plus, on vit dans un monde où le temps s’est accéléré, où l’on ne peut rien planifier : nos sociétés ont été happées comme dans un fleuve en cru. Résultat : si on n’est pas mauvais dans le réactif, on est absolument indigents dans le rétrospectif. Pour l’instant, le principe de prévisibilité, de progressivité et d’irréversibilité n’est pas mis en oeuvre.

N’est-ce pas vous qui disiez que nous sommes en guerre ? Dans cette situation, on est en droit d’attendre de nos politiques qu’ils montent au front …

En période de guerre, la classe politique devrait parler d’une même voix et faire fi de ses sempiternelles joutes politiciennes dont se gavent les chaînes d’infos et qui font le lit des populistes. Tant que le rôle des appareils politiques sera d’entraver l’action de l’exécutif ou de la dénaturer, on n’y arrivera pas. Dit autrement, il faudrait presque un gouvernement d’union nationale. J’y ai cru quand Macron a fédéré autour de lui des gens de gauche, du centre, de droite et des membres de la société civile. Je me suis dit, c’est génial …

“J’AI VU DES INCOHÉRENCES DU GOUVERNEMENT TOUS LES JOURS. SAVEZ-VOUS POURQUOI J’AI ÉCHOUÉ À INTERDIRE L’IMPORTATION DE L’HUILE DE PALME ? PARCE QU’ON A DES CONTRATS D’ARMEMENTS AVEC L’INDONÉSIE.”

Pourtant, jusqu’aux sorties climaticides du Président argentin, Emmanuel Macron était un ardent défenseur des traités de libre-échange …

Aviez-vous mésestimé le poids des lobbies avant d’entrer au gouvernement ?

Je pense plutôt que le Président et le Premier ministre ont sous-estimé la radicalité des transformations que je voulais initier. Ils se sont dit “on va en faire un peu plus que le gouvernement précédent”, sans s’imaginer que j’allais vouloir remettre à plat le modèle économique et les traités de libre-échange. Ils ne pensaient probablement pas que mon intervention irait jusque-là. Pourtant, ce n’est pas faute de leur avoir répété que l’écologie n’est pas une variable d’ajustement.

Au fond, le ministère de la transition écologique et solidaire n’est-il pas celui de l’impossible ? François de Rugy y est resté encore moins que vous, c’est un poste maudit !

François de Rugy a démissionné pour d’autres raisons que je me garderai bien de juger. Mais comme dans toutes cses affaires, tout a été excessif – de part et d’autre. Au ministère, je m’étais fixé un délai pour apprécier la réalité du soutien de l’Elysée et Matignon. J’avais beau être ministre d’Etat, n°3 du gouvernement, je n’avais aucune autorité politique sur mes camarades. Mais je pensais que sous mon impulsion, l’exécutif allait distribuer les rôles et faire en sorte que les interministériels nous soient la plupart du temps favorables. Ça a été tout l’inverse. Je ne suis pas parti sur un coup de tête mais quand je me suis aperçu que quelque soit le ton employé – rien ne changerait.

Cette décision avait donc été mûrie, mais à la matinale d’Inter, on a le sentiment que c’est sorti tout seul …

C’est en effet sorti tout seul ! Ça m’avait traversé l’esprit, mais pas sous cette forme-là, assez inédite. Ce qui prouve qu’au fond de moi, j’étais prêt.

Pour certains, votre démission a été un électrochoc. Mais d’autres l’ont vécu comme un abandon de poste. Qu’auriez-vous envie de leur dire ?

Que j’ai essayé ! Si j’étais resté, je me serais fait complice d’une illusion d’optique, j’aurais laissé penser que les choses allaient dans le bon sens.

C’est ballot, un an après votre démission, l’écologie serait, à ce qu’il paraît, la priorité du gouvernement. Le Président Macron assure avoir profondément changé sur ces questions. Vous y croyez ?

Bah si c’est vrai, tant mieux ! Je ne suis ni télépathe, ni naïf, mais je refuse les procès d’intention, j’en ai moi-même suffisamment souffert. Je juge aux actes. Laissons la possibilité aux gens de changer d’autant que ces temps-ci l’actualité et sa litanie de catastrophes est suffisamment éloquente. Emmanuel Macron, comme Edouard Philippe, comme n’importe qui, voit ce qui se passe.

N’empêche : la France qui vole au secours de l’Amazonie alors qu’elle participe activement à la déforestation de la Guyane, de l’Indonésie ou de la Malaisie, c’est un peu schizo, non ? …

Ça fait partie des incohérences que j’ai vécues au quotidien. Savez-vous pourquoi j’ai échoué à interdire l’importation de l’huile de palme ? Parce qu’on a des contrats d’armements avec l’Indonésie.

Comment est-ce qu’on garde le moral pour nous distraire de ce suicide qui est annoncé ?

L’humour, l’autodérision sont de bons antidotes. Je n’ai pas envie dès le matin que l’on vienne me parler d’écologie. Je laisse un peu de place à la légèreté et me refuse d’assommer mes copains avec cela en permanence.

Je vous laisse le mot de la fin …

Le mot de la fin, c’est celui que je m’applique à moi-même : « vaille que vaille, il faut oser l’espoir ».