Expérimenter des modèles économiques innovants directement dans les territoires ruraux, en déployant des living lab : c’est l’enjeu du projet européen Liverur auquel contribue le CEA depuis un an, fort de son approche circulaire et technologique de nombreuses filières industrielles dont celle de l’agriculture/agro-alimentaire. Interview de Françoise Cadiou et Damien Lemaire de la Direction de la recherche technologique du CEA.
Quel est l’objectif du projet européen Liverur ?
Françoise Cadiou : L’objectif de Liverur, projet européen H2020, est de déployer dans les territoires ruraux des modèles économiques innovants avec des Living Lab. Ces « laboratoires vivants » sont des écosystèmes territoriaux visant à co-créer des innovations en conditions réelles dans le cadre de partenariat publics-privés, en intégrant les dimensions sociale, environnementale, économique et technologique.
Pourquoi le CEA est-il impliqué dans ce type de projets, qui plus est ayant trait au secteur rural ?
FC : Liverur est un projet singulier. Il n’est pas techno push, c’est-à-dire qu’il ne consiste pas à « pousser des technologies » appropriées à son objet d’étude ; il est clairement dans l’approche use pull, dans le sens où il part des besoins des utilisateurs, des enjeux sociétaux et des spécificités propres à chaque territoire. Bien sûr, il a également un impact important sur les technologies, en réponses aux enjeux de transition énergétique et numérique des zones rurales.
Cette approche d’innovation ouverte, le CEA en a une grande expérience et il inaugurera fin 2019 Y.Spot, nouveau centre d’innovation ouverte au sein du campus Giant de Grenoble. Dès les années 1990 en effet, son Ideas’Lab faisait figure de pionnier : soutenus par Jean Therme, alors directeur du CEA-Leti, des chercheurs grenoblois conviaient artistes, industriels, architectes, designers à penser ensemble le monde de demain.
Damien Lemaire : L’intérêt du CEA pour les filières agriculture/agro-alimentaire (agri-agro) remonte également à Jean Therme ! Conscient du potentiel des technologies génériques du CEA dans de nombreux secteurs industriels, il avait notamment initié en 2014 un partenariat avec la coopérative auvergnate Limagrain pour robotiser certaines opérations dans les parcelles. L’offre technologique du CEA permet en effet de répondre à de nombreux enjeux de la filière agri-agro.
Quels sont les enjeux de la filière agricole ?
DL : Il y a de gros enjeux macroscopiques, la plupart semblable à d’autres secteurs industriels. Le premier concerne le réchauffement climatique et la réduction de l’impact sur l’environnement. Or, l’agriculture émet 24% des gaz à effet de serre et consomme 69% de l’eau. Par ailleurs, un tiers de l’énergie mondiale va dans la production agroalimentaire dont 1/3 des produits sont perdus ou jetés… Beaucoup de changements sont attendus pour infléchir ces réalités.
Il y a ensuite la problématique de la croissance de la population mondiale et de notre capacité à produire suffisamment de denrées. Ceci est directement lié aux problèmes d’arbitrage sur l’usage des terres agricoles, à l’essor de nouveaux modes de production ou encore à la nécessité de développer des gisements alternatifs de protéines comme celui des insectes ou des algues.
La sécurité de la chaîne agro-alimentaire est également un enjeu important pour faire face aux différentes crises sanitaires qui marquent régulièrement l’actualité. Les industriels prennent conscience de la perte de confiance qui s’est installée entre eux et les consommateurs. Pour continuer à exister, les acteurs de cette filière doivent impérativement restaurer cette confiance.
Partagez-vous cette analyse ?
FC : Les objectifs de Liverur visent précisément à répondre à ces enjeux, dans une approche de développement durable et d’économie circulaire. Car il s’agit également de redynamiser l’économie rurale dans sa globalité, en y incluant la dimension territoriale du fait notamment de la désertification de certaines campagnes.
Souvent, dans les filières agri-agro, les modèles sont linéaires avec d’un côté des productions en silos, et des modes de distribution tout autant segmentés, sur des circuits longs qui ne profitent pas à tous. Or, les modèles circulaires génèrent des écosystèmes qui ont des impacts directs sur la valorisation des producteurs, de différents métiers (agricoles, tourisme, artisanat, énergie, environnement) et de l’économie de tout un territoire.
Quelle est la prochaine étape de LIVERUR ?
FC : Après un an de travaux, nous entrons dans une phase opérationnelle pour déployer des concepts Living Lab au sein d’une quinzaine de sites pilotes identifiés. En France, il y en aura trois dans le Grand-ouest, avec une forte contribution du CEA, notamment via ses antennes régionales qui ont, comme le montre Damien Lemaire, identifié de nombreuses solutions pour la filière.
DL : En effet, la toute dernière antenne régionale développée est celle de Quimper. Sa feuille de route est précisément de contribuer à renforcer la compétitivité de la filière agri-agro en Bretagne.