Rôle et impact du Haut Conseil pour le Climat – Olivier Fontan

Ses membres sont tous des experts des questions climatiques et remettre en cause leur légitimité n’est cette fois plus vraiment d’actualité. En revanche, le fait d’être experts donne-t-il plus d’écho auprès du gouvernement ?  Pour y répondre, Olivier Fontan, directeur exécutif du Haut Conseil pour le Climat.

Présentation et parcours de Oliver Fontan

“Pour ma part, en sortant de ScPo j’ai intégré le Quai d’Orsay et suis donc diplomate depuis 1995. J’ai passé une quinzaine d’années à l’étranger, d’abord à Sarajevo, puis en Bolivie et en Colombie. Plus récemment j’ai été membre de l’équipe de négociation de la COP21 et sous-directeur pour le Climat et l’environnement au ministère des Affaires étrangères. Ceci m’a conduit à connaître l’ensemble des négociations environnementales, de l’ozone à l’océan, et de l’insertion de ces sujets dans la politique extérieure et de coopération de la France. Après avoir participé à la négociation de ces cadres internationaux, ce poste au Haut conseil pour le climat m’a donné l’occasion en juin 2019 de passer de l’autre côté du miroir et de voir comment ces politiques sont mises en œuvre au niveau national.”

Quel est le rôle du Haut Conseil pour le Climat, notamment sur son financement et son indépendance ?

Le Haut conseil pour le climat est un organisme indépendant, fonctionnellement rattaché à France Stratégie et donc aux Services du Premier ministre. Il est chargé d’émettre des avis et des recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques et des mesures prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France. Il a été dans un premier temps créé par décret puis inscrit dans la loi Energie climat. Il ne peut recevoir aucune instruction, d’aucune institution qu’elle soit publique ou privée.

Le HCC est composé de treize personnes représentant un éventail d’expertise dans les domaines directement ou indirectement liés au climat. Elles se réunissent une fois par mois et doivent une autre journée de travail au HCC en moyenne, contre une indemnité de 400 euros – le double pour la présidente. Elles orientent, encadrent et précisent le travail de recherche et de confection des rapports du secrétariat que je dirige, au sein duquel nous sommes six. Une enveloppe de 507 835 euros en 2020 est destinée à couvrir notre fonctionnement ainsi que les études extérieures que nous commandons à des tiers pour nous appuyer dans notre travail de recherche.

Concernant l’indépendance, je crois qu’elle se démontre plus qu’elle ne se proclame. La rigueur et le sérieux du travail du HCC depuis son premier rapport annuel ne laissent, me semble-t-il, pas de doute, même si on peut toujours s’améliorer. Pour autant une évolution de l’institution serait envisageable pour la doter des garanties d’une autorité administrative indépendante et garantir sa présence et ses moyens dans le paysage institutionnel sur le long terme de cette transition bas-carbone. L’indépendance, c’est aussi avoir les moyens des ambitions qui nous sont confiées et de la crédibilité qui est attendue du travail du Haut conseil. On est aujourd’hui loin du compte. A titre de comparaison, l’équivalent britannique du HCC créé douze ans auparavant, dans un pays que l’on sait sourcilleux du denier public, est actuellement doté de 25 emplois depuis l’origine et d’un budget de fonctionnement de 3,5 millions de £.”

Jean-Marc Jancovici, le Haut Conseil pour le climat est-il ‘une des commissions créées tous les six mois par E.Macron ‘ ou avez-vous vraiment le sentiment d’apporter quelque chose de différent ?

“Il y a un petit mécanisme intéressant s’agissant du HCC, qui est à ma connaissance assez unique. Le rapport annuel, publié en juin, est remis au Premier ministre – c’est la loi qui le dit et Edouard Philippe nous a effectivement reçu avec attention en 2019, comme il avait prévu de le faire cette année, même si la fin de ses fonctions a bouleversé l’agenda. Six mois plus tard, toujours selon la loi, le Premier ministre fait une réponse au Parlement et au Conseil économique social et environnemental (CESE), qui peuvent en débattre, sur le contenu et les recommandations de ce rapport. L’idée est d’enclencher un cercle vertueux d’échanges autour de ces politiques climatiques. Elles appellent de grands changements et il est normal et sain qu’elles suscitent régulièrement un débat entre les pouvoirs et la société. Cette alternance rapport annuel à l’été / réponse en hiver donne deux bonnes occasions pour le faire.

Le premier cycle a formellement bien fonctionné même si la réponse du gouvernement reflète le côté encore « patchwork » des politiques publiques, ce qui pouvait être attendu d’un premier exercice. Le CESE s’est emparé du débat, le Parlement ne l’a pas fait et là aussi on espère progresser d’année en année. Le rapport annuel 2020 a été envoyé, plus que remis, à l’actuel Premier ministre – faute d’interlocution directe avec lui sur le contenu ou les prochaines étapes – en juillet ; on attend donc la réponse en janvier 2021.

Sur le fond, la richesse du HCC tient à sa composition. Vous avez des membres travaillant ou ayant travaillé pour le GIEC, des physiciens, des représentants de sciences humaines et sociales – sociologie, économie, géographie – des experts en agriculture, en politiques publiques, etc. Chacun vient avec son cadre de pensée et vous avez donc à la fin une production qui est à la fois rigoureuse – je vous assure que la relecture des projets de rapport par treize regards aussi acérés ne laisse rien passer – et consensuelle au meilleur sens du terme, puisqu’il faut accorder les représentations, les priorités, essayer d’en faire des recommandations les plus opérationnelles possibles pour les acteurs publics, et ceci dans un temps limité.”

Pourquoi des émissions en inventaire national et non en empreinte carbone ?

“Les inventaires nationaux sont établis par les Etats, comme le demande la convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. Dans ce cadre onusien c’est le principe de la souveraineté des Etats qui préside, donc chaque Etat rapporte à titre national ses émissions et ses politiques. L’idée d’empreinte carbone est apparue un peu plus tard, à la suite de l’empreinte écologique, pour refléter la réalité de l’impact des modes de vie sur les émissions, mieux connaître leur structure et juger de leur compatibilité avec les limites planétaires. L’empreinte carbone considère les émissions produites nationalement, en retranche celles des produits qui sont exportés et y ajoute les émissions des produits importés, ainsi que celles liées à l’usage des biens sur le territoire.

Dans le cas de la France, l’empreinte carbone par personne est presque doublée par rapport aux émissions territoriales. Cela questionne ce que nous importons et d’où nous l’importons : faut-il continuer à importer des produits qui conduisent à la déforestation par exemple, ou importer des biens fabriqués dans des pays qui n’ont pas l’ambition de réduire leurs émissions ? C’est l’objet du dernier rapport du HCC, dans lequel nous avons aussi choisi d’élargir la réflexion à l’empreinte des transports internationaux, pour mieux restituer la responsabilité globale de la France.”

-0.9% d’émissions en 2019, pas vraiment mieux pour les 3 prochaines années.. Le gouvernement a-t-il bien intégré qu’il faut baisser les émissions de -7.6% par an ?

 La première est l’estimation du rythme annuel de baisse des émissions selon les budgets carbone que s’est donnés la France dans sa stratégie nationale vers la neutralité carbone en 2050. Le budget carbone 2019-2023 sous-entend une baisse annuelle des émissions de 1,5% – et l’an dernier c’était 0,9% seulement. Cette baisse annuelle devra passer à 3,2% à partir de 2024, on est donc très loin de l’effort à réaliser annuellement en France. L’autre chiffre que vous mentionnez concerne l’ensemble des émissions de la planète, relatif à un objectif de limitation de la hausse de la température mondiale à +1,5°C par rapport aux niveaux pré-industriels. La façon dont il a été calculé pour le Gap Report de 2019 du Programme des Nations unies pour le développement ne fait pas l’unanimité. Reste que dans un cas comme dans l’autre les efforts collectifs actuels sont clairement insuffisants pour limiter la hausse du réchauffement climatique.

Le HCC a-t-il imposé des conditions au gouvernement pour que son travail soit non seulement entendu, mais aussi appliqué ?

Ce n’est ni notre mandat ni notre rôle d’imposer des conditions à un gouvernement. Le HCC évalue les politiques en cours et recommande les inflexions et changements à prendre pour que ces politiques publiques soient plus efficaces vers la réduction de l’ampleur et de l’impact d’un climat qui change. Nos recommandations comme nos travaux sont publiques et accessibles à toutes et tous. Ensuite il revient aux gouvernements de choisir de suivre, ou pas, ces recommandations, et de l’assumer politiquement devant le Parlement et devant les citoyens. C’est le principe de fonctionnement d’une république, et c’est tant mieux. L’ajustement de nos sociétés au nouveau cadre de l’anthropocène mérite un débat public approfondi. Les travaux du HCC veulent contribuer à la qualité de ce débat, loin des anathèmes et des simplifications abusives.

Au niveau des institutions, le mécanisme d’aller-retour que j’évoquais tout à l’heure, entre rapports annuels du HCC et réponses du gouvernement, est l’occasion de s’interroger collectivement sur les choix opérés et la capacité des dirigeants à inscrire leur action dans le cadre de plus en plus étroit des évolutions climatiques. Au Parlement de s’en emparer. Quant aux citoyens, ils ont de multiples façons d’exprimer leurs idées ou leurs désaccords, depuis les médias jusqu’aux manifestations organisées par les jeunes ou le monde associatif, en passant par l’engagement personnel autour des solutions à la portée des individus.

Que veut dire ‘neutralité carbone ‘ ?

“C’est un concept qui a émergé dans les années 2000 et qui a été inscrit dans l’article 4.1 de l’accord de Paris, qui mentionne l’équilibre entre les émissions anthropiques et les absorptions anthropiques dans la deuxième moitié du XXème siècle. Globalement c’est l’idée que pour stabiliser le climat on n’émette pas plus de gaz à effet de serre que le système-terre ne peut en absorber – on trouve aussi des scénarios dits ZEN pour « zéro émissions nettes ». Après, le diable est dans les détails et on peut trouver beaucoup de détails dans la neutralité carbone : gaz à effet de serre concernés, rôle des technologies ou de la compensation carbone, etc. Il reste que c’est à la fois un mot-obus, qui remplit son office de déclencheur du débat, et un concept à la fois clair et souple qui peut être utilisé par tous les acteurs.

En France, la loi nous engage à atteindre la neutralité carbone en 2050. C’est-à-dire qu’en 2050 nous ne devrons plus émettre de gaz à effet de serre qui ne puissent être absorbés par un puits de carbone anthropique – concrètement les sols, les forêts et les techniques artificielles qui aujourd’hui ne sont pas déployées. Cela implique donc deux choses : d’abord réduire au maximum les émissions de tous les secteurs pour ne laisser que des émissions incompressibles – quelques procédés industriels, des secteurs agricoles comme l’élevage, les déchets – ensuite préserver et développer nos puits de carbone, prendre soin de nos forêts et de nos sols notamment à travers les pratiques agricoles.

L’enjeu est exactement le même au niveau mondial, avec évidemment d’autres ordres de grandeur et surtout l’inconvénient que ces puits de carbone nécessaires au bien commun sont territorialement situés et donc appartiennent à des Etats. Il est absolument essentiel de préserver les grands massifs forestiers comme ceux du bassin de l’Amazone ou du Congo ou encore ceux de l’Indonésie, tout comme les tourbières et les marais. Outre le dialogue politique à établir avec les pays qui gèrent ces espaces, nous devons aussi veiller à ce que notre consommation et nos importations ne favorisent pas leur dégradation – le HCC mentionne évidemment ce point dans son dernier rapport émissions importées. L’affaiblissement de ces écosystèmes est une source potentielle de déstabilisation majeure du climat, et donc de la sécurité internationale. Il n’est pas suffisamment perçu comme tel.”

Un ministre de l’environnement a vraiment la main pour faire ce qu’il faut ?

“C’est une vaste question qui là aussi dépasse les comportements individuels pour toucher les structures. Il n’y a aucun doute sur les connaissances, l’intérêt ou la motivation de la ministre, pas plus que sur les talents des personnes qui travaillent à l’atténuation et à l’adaptation au sein des services de son ministère. L’enjeu que souligne le HCC, c’est que la politique climatique doit véritablement devenir transversale dans l’action gouvernementale et que les budgets carbone que nous nous sommes donnés par la loi doivent être le cadre de référence. Or cette ligne interministérielle de référence, permanente, ne peut être portée par le seul ministère de l’Environnement, quel que soit le profil du titulaire ou son rang protocolaire. La politique, ce sont d’abord les rapports de force et le MTE n’est pas en position surplombante des autres ministères. Tout cela doit donc être articulé et porté à Matignon. Vous trouverez ça dans tous les rapports ou presque du HCC. Le jour où ce sera le cas, et que tous les ministres auront intégré cette contrainte climatique, on changera de braquet.”