Une Fed plus dure

Le 08 aout 2022. : la robustesse de l’emploi américain prédit une Fed plus dure. Parfois, il en faut peu pour changer une tendance. Après plus d’un mois et demi de hausse conséquente des bourses, on a assisté à un tassement en fin de semaine dernière. Evidemment, nous avons déjà vu ces pertes d’élan au cours de la période.

Fed : la robustesse de l’emploi américain

Néanmoins, cette fois-ci, et depuis le début du mois d’août, un changement de dynamique s’est opéré sur les taux d’intérêt à long terme. En effet, les taux longs remontent. Leur baisse presque continue depuis la mi-juin avait sûrement jusqu’ici joué un rôle important dans l’appréciation des bourses. Cette baisse avait soutenu les titres les plus richement valorisés, ceux dit de croissance (tout particulièrement ceux du secteur de la technologie, comme le reflète la surperformance de l’indice Nasdaq). La remontée des taux longs pourrait s’avérer un véritable frein au retour de l’appétit pour le risque. Mais pourquoi il y aurait-il un changement de tendance des taux longs ? La raison essentielle est l’incertitude quant à la dynamique macroéconomique et la réponse de la politique monétaire. Le marché semblait avoir adhéré à un scénario où le ralentissement économique s’accompagnerait d’une baisse rapide de l’inflation, permettant aux banques centrales d’assouplir les politiques monétaires assez rapidement (notamment celle de la Fed, dès le début 2023). Les chiffres de l’emploi américain publiés vendredi dernier pour le mois de juillet, bien plus robustes qu’attendus, ont mis à mal une partie de ces certitudes.

Nous pensons que la prudence doit rester de mise. Nous gardons toujours un scénario de ralentissement graduel, avec une contraction de l’activité à cheval entre 2022-2023. L’inflation resterait plus élevée qu’anticipée et donc des banques centrales plus sévères. Un scénario qui ne nous semble pas, à ce stade, propice à accentuer la prise de risque, d’autant plus que le contexte géopolitique reste extrêmement tendu.

La guerre en Ukraine se poursuit, mais malgré les grandes incertitudes qui pèsent sur la stratégie militaire de la Russie, les marchés considèrent que l’ouverture du port d’Odessa, permettant à l’Ukraine de faire partir des chargements de céréales, devrait permettre d’éviter de tensions très fortes sur les prix. Ainsi, les prix des céréales sont aujourd’hui en dessous des niveaux d’avant le conflit. Par ailleurs, les prix du pétrole ont continué leur décrue, avec le prix du baril de Brent retrouvant les valeurs d’avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ce mouvement, semble être en grande partie la conséquence de la baisse de la demande. La lenteur de la reprise économique en Chine devrait maintenir la demande faible ainsi que le ralentissement économique en cours des grandes économies devrait aussi contribuer à freiner la demande. En ce sens, les dernières statistiques américaines sont venues appuyer cette hypothèse de baise de la consommation de produits pétroliers. En dépit des facteurs de demande, qui pourraient s’avérer favorables, il reste encore beaucoup d’incertitudes sur l’évolution de l’offre russe. Si elle venait à reculer davantage que prévu, l’équilibre du marché pétrolier serait très perturbé et pourrait de nouveau pousser les prix à la hausse.

Néanmoins, le constat qu’on doit faire aujourd’hui est que cette baisse des prix de l’énergie, notamment du prix de l’essence, devrait se traduire par une baisse de l’inflation aux Etats-Unis et apporter un peu de pouvoir d’achat aux ménages. En même temps, cette accalmie sur les prix de l’énergie touche moins l’Europe car les prix du gaz restent extrêmement élevés. En outre, la forte hausse des températures en Europe, pourrait perturber davantage la production nucléaire française et la production d’électricité allemande en raison des difficultés d’approvisionnement en charbon.

Aux-Etats-Unis, le weekend a apporté une très bonne nouvelle à l’administration Biden avec l’adoption par le Sénat d’un programme budgétaire visant à traiter en premier lieu la transition climatique en la finançant par une hausse des taxes, essentiellement en fermant des niches fiscales utilisées par les entreprises. La législation devrait aussi permettre pour la première fois au dispositif du Medicaire de négocier les prix des médicaments avec les laboratoires. La proposition de loi connue comme « loi pour la réduction de l’inflation » (Inflation Reduction Act) devrait être maintenant adoptée par la chambre des Représentants et signée par le président Biden dans les jours qui viennent. L’impact sur l’activité devrait être assez négligeable, vu que les dépenses en matière d’adaptation pour la transition climatique seront lentes à être implémentées et surtout qu’elles devraient être financées par des recettes supplémentaires pour l’Etat. Néanmoins, ceci est une victoire symbolique pour Biden avant les élections parlementaires de mi-mandat en fin d’année, où les Démocrates sont toujours en risque de perdre leur majorité dans les deux chambres. Mais, évidemment cette loi, avec un montant de dépenses d’un peu moins de 440 milliards de dollars est une version lilliputienne du projet précédent, « Build Back Better », qui était estimé à près de 6000 milliards de dollars. Le chiffre de la semaine aura été celui de l’estimation des créations d’emplois aux Etats-Unis pendant le mois de juillet. Plus de 528 mille emplois auraient été créés, soit plus du double du nombre attendu par les économistes, et le taux chômage est descendu à 3,5%, soit le niveau d’avant la crise pandémique, et le plus bas depuis la fin des années 1960. En outre, dans un marché du travail très tendu, les salaires ont continué à progresser de manière marquée.

Ces chiffres sont venus perturber le scénario du marché d’une Fed qui pourrait s’arrêter rapidement dans son resserrement monétaire. Ainsi, les anticipations de hausse des taux d’intérêt directeurs ont été revues à la hausse et les taux longs ont monté, avec les taux sur les Treasuries à 10 ans qui ont gagné près de 15 points de base(pb). Une hausse des taux directeurs de 75pb par la Fed à sa réunion de septembre est maintenant presque certaine.

Le prix du pétrole a fortement baissé depuis la mi-juinEn effet, le prix du baril de Brent se situe aujourd’hui autour de 95 dollars le baril après avoir atteint près de 125 dollars au début de l’été. Cette baisse s’explique en partie par l’anticipation d’un recul de la demande en pétrole que devrait provoquer le ralentissement économique que tout le monde anticipe aujourd’hui. Cette baisse de la demande attendue devrait aussi être le fruit de l’impact négatif qu’on constate toujours sur la demande de pétrole quand les prix deviennent très élevés.

Ainsi, l’accélération de la baisse du prix sur la dernière semaine a été en grande partie due au constat d’un recul bien plus important qu’anticipé de la demande américaine. En effet, les dernières statistiques montrent une réponse très marquée de la consommation d’essence à la hausse des prix. En fait, alors que nous nous trouvons dans la saison haute des déplacements en voiture, la consommation s’est réduite assez drastiquement et serait simplement au niveau atteint en 2020, juste après le début de la crise pandémique.

La demande d’essence semble avoir été fortement touchée par la hausse des prix

En outre, les stocks de pétrole sont en train d’augmenter plus rapidement que prévu. Néanmoins, ce constat pourrait vite changer au vu de la force du recul récent des prix du pétrole qui pourrait de nouveau stimuler la demande.

La baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour le pouvoir d’achat

Evidemment ce facteur de demande est essentiel pour essayer d’anticiper l’évolution du prix du pétrole qui a été un élément majeur dans la poussée de l’inflation dans le monde. Néanmoins, une des difficultés est aussi de pouvoir anticiper l’évolution de l’offre.

Par exemple, la baisse de la demande d’essence aux Etats-Unis se fait alors que les stocks de produits distillés sont à un niveau très faible comparé à la moyenne historique. Ainsi, toute reprise de la demande pourrait de nouveau créer des tensions, poussant de nouveau les raffineurs à augmenter leurs marges.

Mais plus fondamentalement, les incertitudes restent très grandes sur l’offre de pétrole mondiale. En particulier sur la production Russe. Pour l’instant la Russie ne semble avoir réduit que de manière assez faible sa production. On estime la baisse autour d’un million de baril jour. Mais, la réduction graduelle de la demande européenne pourrait forcer la Russie à baisser sa production bien davantage. Certes, la Chine ou l’Inde pourraient absorber une partie de l’offre russe, mais il est difficile de penser que ces pays vont complétement compenser la demande européenne, sans même considérer les problèmes logistiques au niveau de la production et du transport vu les sanctions que subit la Russie. Certains analystes pensent que la réduction de l’offre russe pourrait atteindre 2 millions de barils jours. Une quantité difficile à compenser par le marché aujourd’hui.

Pour l’instant, ce sont plutôt des dynamiques favorables à la baisse des prix qui se sont établies. C’est plutôt une bonne nouvelle pour la dynamique d’inflation et l’impact négatif que la hausse du prix de l’énergie a eu dans des nombreux pays. Un peu de pouvoir d’achat est donc rendu aux consommateurs. On devrait le voir dès cette semaine dans les prix de la consommation américaine pour le mois de juillet, avec une contribution des prix à l’énergie négative à la progression de l’indice des prix. Néanmoins, l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire hors énergie et aliments, devrait progresser par des simples effets de base.     

Aux Etats-Unis, les créations d’emplois en juillet ont fortement surpris à la hausse. En effet, 528 mille emplois ont été créés au cours du mois, dont 471 mille dans le secteur privé, soit plus du double de ce qu’était attendu par le consensus des économistes. Ces hausses ont été assez généralisées, touchant à peu près tous les secteurs, notamment ceux bénéficiant de l’ouverture de l’économie, comme la restauration et l’hôtellerie.

Cette dynamique du marché du travail, s’est aussi traduite par une légère baisse du taux de chômage à 3,5%, retrouvant le niveau d’avant crise pandémique et le plus faible niveau depuis 1969.

Taux de chômage reste proche au plus bas historique, depuis 1969

Certes, l’emploi est une variable retardée du cycle économique et la dégradation graduelle que nous voyons dans les indices d’activité devrait conduire à une détérioration du marché du travail. Mais, tout comme l’ampleur du ralentissement économique, il est difficile à ce stade de déterminer quelle sera la réponse de l’emploi.

Ce qui est certain est que le marché du travail reste très tendu. Ceci se reflète notamment par une progression des salaires qui est toujours rapide, avec une légère accélération sur le dernier mois, à 0,5% en rythme mensuel pour le salaire hebdomadaire moyen, même si, au vu des effets de base, en glissement annuel, les salaires progressent un peu moins vite qu’il y a quelques mois, ils conservent tout de même une allure inédite depuis des décennies. 

La progression des salaires reste solide…avec une accélération mensuelle

La surprise du marché quant à la robustesse des chiffres de l’emploi a été assez brutale, en particulier sur le marché obligataire avec une révision à la hausse presque instantanée sur l’évolution des taux directeurs dans l’année à venir. Ceci s’est aussi traduit par une poussée des taux à long terme, avec notamment le taux à 10 ans américain qui a gagné près de 15 pb.

Ces chiffres sont venus rappeler au marché les incertitudes qui planent sur les perspectives économiques pour les mois à venir. Le scénario qui était devenu prédominant, et presque certain, était une décélération de l’activité, mais qui serait limitée notamment grâce à un retournement rapide des politiques monétaires. Aux Etats-Unis, la Fed allait rapidement venir au secours de l’économie et, non seulement terminer son resserrement, mais aussi assouplir sa politique monétaire très rapidement. Cette trajectoire était justifiée par un recul tout aussi rapide de l’inflation.

Ce scénario n’est pas impossible, mais il est difficile de lui donner une probabilité extrêmement élevée, à notre avis. 

Quoi qu’il soit, les statistiques de l’emploi nous montrent que les tensions inflationnistes pourraient persister bien plus longtemps qu’anticipées aujourd’hui, à moins de nous retrouver avec une récession bien plus dure, celle-ci étant en partie la conséquence d’un resserrement monétaire plus fort que prévu.

La prudence nous semble encore justifiée devant un avenir où les incertitudes restent très importantes et plutôt orientées négativement du point de vue macroéconomique, avec notamment une inflation qui pourrait s’avérer bien plus persistante.