Après que la mobilisation sociale et la pandémie de Covid en 2020 ont stoppé une première tentative de réforme, le gouvernement français a repris les demandes de retraite en janvier 2023, augmentant le nombre de personnes tenues de cotiser 43 annuités.
Une réforme des retraites 2023 injuste qui va aggraver les inégalités
Loin d’être une réforme « d’équilibre, de justice et de progrès », elle va contribuer à aggraver les inégalités. Engagée dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités, Oxfam France ne peut que soutenir les mobilisations et mouvements sociaux qui s’opposent à cette réforme.
Une réforme qui retire de la vie aux plus pauvres
La principale injustice de cette réforme, c’est qu’elle va s’abattre le plus durement sur les personnes les plus pauvres et aux métiers les plus précaires. A l’âge actuel de la retraite, ¼ des plus hommes les plus pauvres sont déjà morts, contre 6% des plus riches. Avec un âge légal de départ à 64 ans, 1/3 des plus pauvres seront déjà morts. 1/3 des plus pauvres, qui ont souvent les métiers les plus difficiles et les plus pénibles, et qui vivent quotidiennement les difficultés et contraintes de la pauvreté, auront cotisé toute leur vie pour payer la retraite des générations précédentes, alors qu’eux même n’en profiteront jamais. Entre les hommes les plus pauvres et les plus riches, l’écart d’espérance de vie est de 13 ans (source : INSEE).
Les riches peuvent échapper à la réforme, les pauvres non
Riches et pauvres ne sont pas égaux face à la mort, et ils ne le sont pas non plus face aux contraintes de cette réforme. Si les plus riches disposent d’un patrimoine leur permettant de s’affranchir de cette réforme et de partir plus tôt sans avoir besoin de compter sur la solidarité nationale, ce n’est pas le cas des plus pauvres. Ces derniers ne peuvent pas compter sur d’autres moyens de subsistance, et c’est donc sous une très forte contrainte qu’ils resteront plus longtemps au travail, alors même qu’ils exercent souvent les métiers les plus pénibles : 56% des ouvriers et 53% des employés pensent que l’âge de la retraite actuel est déjà trop élevé, contre 48% pour la moyenne des Français-es. Cette réforme va donc mettre au travail encore plus longtemps des gens qui en souffrent. Alors qu’ils souhaiteraient partir, c’est sur eux que pèse le joug de la contrainte économique.
Les plus pauvres souffrent plus du travail
Cette souffrance du travail est vécue dans la chair, puisque l’espérance de vie en bonne santé en France est de 64 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes. Mais encore une fois, riches et pauvres ne sont pas égaux : à 35 ans, un cadre peut en moyenne vivre encore 34 ans sans problèmes sensoriels et physiques. C’est 10 ans de moins pour un ouvrier.
Pour les séniors sans emploi, l’allongement de la précarité
D’après la DREES, en France, 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite. Ce sont en majorité des femmes, en moins bonne santé, moins diplômées. Le taux de pauvreté dans cette catégorie atteint 32%. On sait déjà quel a été l’impact du décalage de la retraite de 60 à 62 ans : entre 125 000 et 150 000 personnes supplémentaires bénéficieraient d’une pension d’invalidité entre 60 et 62 ans, et environ 80 000 personnes supplémentaires seraient allocataires de l’un des trois principaux minima sociaux. Repousser l’âge de départ à la retraite augmenterait encore le nombre de personnes nécessitant une pension d’invalidité ou des minima sociaux, qui ne permettent qu’un niveau de vie très faible. Pour les « seniors » dans ce « sas de précarité » entre l’emploi et la retraite, le gouvernement a déjà réduit la durée des indemnisations chômage : cette classe d’âge retrouve très difficilement un emploi après en être sortie, elle vient de voir la sécurité de l’assurance chômage diminuer, et elle va maintenant probablement rester dans cet état plus longtemps.
Cette réforme va donc précariser les plus âgés du monde du travail, tout en pénalisant les plus jeunes. En effet, si les séniors restent en emploi plus longtemps, ils libèrent des postes plus tard, ce qui ne laisse pas de place en bas pour celles et ceux qui sont en recherche d’emploi et pourraient rentrer dans l’entreprise.
Selon les calculs, taxer à peine 2% de la fortune des milliardaires français suffirait à financer le déficit attendu des retraites !
Derrière une façade féministe, la précarisation des femmes
En France, actuellement, les pensions de droit direct des femmes sont inférieures de 40% à celles des hommes. Cela s’explique à la fois par des salaires inférieurs à ceux des hommes, une forte part de métiers à temps partiel et par des carrières plus souvent hachées par le soin non-rémunéré, notamment auprès des enfants. Ces inégalités ne s’expliquent pas uniquement par les congés parentaux, ce qui rend leur prise en compte dans le calcul de la retraite inefficace face à l’ampleur des inégalités.
En allongeant la durée légale de cotisation, une carrière incomplète devient plus pénalisante. Face à la précarité entre le moment du travail et de la retraite, hommes et femmes ne sont pas égaux non plus : d’après l’ANACT, en 2019, 57% des hommes entre 55 et 64 ans sont en activité, contre seulement 53% des femmes. La question du chômage des séniors qui aggrave avec le report de l’âge de départ touche donc plus les femmes. L’impact de la réforme risque donc d’aggraver les inégalités déjà existantes.
Enfin, la prise en compte de la pénibilité dans les carrières est défavorable aux femmes. Alors que les accidents du travail et les congés maladies augmentent fortement chez les hommes et qu’ils diminuent chez les femmes, les critères de pénibilité concernent surtout les métiers les plus masculinisés. Les métiers féminisés sont moins pris en compte dans les critères de pénibilité alors que les femmes sont surexposées aux risques psychosociaux. En outre, les métiers de service dans un cadre privé favorisent l’invisibilisation des conditions de travail difficiles. Le gouvernement annonce vouloir mieux prendre en compte les critères de pénibilité, mais les risques psychosociaux n’y seront pas intégrés, et l’évaluation de la pénibilité non plus.
Ainsi, il est extrêmement probable que la réforme proposée par le gouvernement aggrave les inégalités entre femmes et hommes, en ne prenant pas en compte la racine des inégalités. C’est pourquoi Oxfam France recommande de mettre en place des dispositifs d’évaluation des réformes proposées qui interrogent leur impact genré. Les politiques publiques doivent cesser d’être aveugles au genre, sous peine d’augmenter les logiques d’inégalités déjà existantes.
Derrière la prétendue nécessité de la réforme, le refus de mettre à contribution les plus riches et les grandes entreprises
Il n’y a pas de nécessité à mener cette réforme
Rappelons d’abord que d’après le Conseil d’Orientation des retraites, la trajectoire financière est maitrisée, avec une part du PIB dédiée au financement des retraites vouée à se stabiliser puis à diminuer.
Les mesures fiscales prises sous les quinquennats d’Emmanuel Macron ont avant tout bénéficié aux plus riches et aux grandes entreprises : on ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’argent tout en privant l’État de ressources fiscales par des mesures qui bénéficient aux plus riches et aux plus polluants.
Selon la CGT, les dépenses de l’État en faveur des entreprises s’élèvent à 157 milliards. Les pertes de l’évasion fiscale sont estimées à 100 milliards. La seule baisse des impôts de production représente un manque à gagner d’environ 15 milliards par an depuis 2020 et en 2023-2024, 8 milliards par an. La suppression de la CVAE a retiré 8 milliards d’euros par an des recettes de l’État. Les baisses d’impôts bénéficiant aux plus riches (suppression de l’ISF, flat tax, diminution de l’impôt sur le revenu) ont privé l’État de 16 milliards d’euros annuels. Les dépenses socio-fiscales (niches sociales et baisses de cotisations patronales) sont quant à elles estimées à 64 milliards. Et ce n’est encore rien comparé aux 544,5 milliards d’euros possédés par les milliardaires français. La France a de quoi financer son système de retraite. C’est une question de choix politique.
« Nous ne voulons pas augmenter le coût du travail », ou comment favoriser la captation de la valeur par les plus riches
Depuis 2020, les 1 % les plus riches ont capté près des deux tiers de toutes les nouvelles richesses, soit près de deux fois plus que les 99 % les plus pauvres de la population mondiale. Un impôt taxant jusqu’à 5 % de la fortune des multimillionnaires et des milliardaires du monde entier pourrait rapporter 1 700 milliards de dollars par an, soit une somme suffisante pour sortir 2 milliards de personnes de la pauvreté et financer un plan mondial d’éradication de la faim. En France, Depuis début 2020, les milliardaires se sont enrichis de plus de 200 milliards d’euros. Le discours qui consiste à justifier des cadeaux de plus en plus importants aux plus riches n’est pas tenable face à l’ampleur de la concentration des richesses dans leurs mains.
En France comme ailleurs dans le monde, l’augmentation des inégalités vient d’un partage de la valeur inégalitaire. Sur les 10 dernières années, en moyenne, pour 100€ de richesses créées en France, 35€ ont été captés par les 1% des Français-e-s les plus riches, 32€ par les 9% suivants. Les 50% les plus pauvres n’en ont capté que 8€.
Pourquoi le problème de répartition de la valeur est lié à celui des retraites ?
Parce que ce qui justifie cette réforme pour le gouvernement, c’est de refuser d’augmenter le « coût du travail », c’est-à-dire ce qu’un travailleur coûte à une entreprise (salaire et cotisations). Refuser d’augmenter le coût du travail, c’est donc refuser d’augmenter la part de la richesse créée qui revient à la majorité la plus pauvre. Alors que, sur les dix dernières années, les 10% les plus riches captent en France les deux tiers de la richesse créée, et que les 50% les plus pauvres n’en touchent que 8%, le gouvernement refuse de rééquilibrer ce rapport, en prenant un peu plus à ceux qui touchent la majorité des profits pourtant créés par le travail des plus pauvres.
On peut aussi trouver des ressources fiscales en augmentant les salaires. Une étude a par exemple montré que si les femmes étaient payées comme les hommes, on toucherait 5,5 milliards d’euros de cotisation retraites. Alors qu’on pourrait mieux payer les travailleurs, et donc gagner en cotisation, on ne fait que pressuriser les salaires. Le gouvernement fait le choix de baisser les cotisations, en asséchant donc le système de retraite, pour faire augmenter le salaire net. Mais ce n’est pas une véritable augmentation, puisque c’est du salaire différé en moins pour les salariés.
Alors que la part du profit (qui revient aux entreprises) dans la valeur ajoutée (créée par le travail) après redistribution n’a cessé d’augmenter, il devient de plus en plus urgent d’agir pour réduire les inégalités. Le refus d’augmenter la fiscalité pour les plus riches qui est la motivation principale de la réforme des retraites va donc à contre-sens de la construction d’une société plus juste.
Travailler plus, pour quoi faire ?
Favoriser la retraite par capitalisation, c’est augmenter le financement des énergies fossiles
Reclaim Finance a publié une note sur l’impact potentiel de la réforme des retraites : en rendant plus difficile l’accès à une retraite à taux plein, cette réforme risque d’encourager les plus riches à se tourner vers des fonds de pension pour assurer une partie de leur retraite par un système de capitalisation. Ce système de capitalisation représente 250,6 milliards d’euros d’actifs pour l’épargne retraite en 2020, et la réforme risque fortement de faire augmenter ce chiffre. En plus de creuser les inégalités, ce mécanisme a des conséquences écologiques dévastatrices, puisque les fonds de pension continuent à investir massivement dans les énergies fossiles, et aucun engagement sérieux par rapport au respect de l’accord de Paris n’a été pris par les principaux gestionnaires d’actifs.
« On vit plus longtemps donc il faut travailler plus longtemps »
C’est l’argument éternel pour repousser l’âge de départ à la retraite. D’abord, on peut s’interroger sur le fait que la vie soit dédiée au travail. Penser une société plus juste et plus égalitaire, c’est aussi imaginer une société où on travaille pour vivre et où on ne vit pas pour travailler.
Ensuite, l’augmentation de l’espérance de vie s’est stabilisée en France, et l’espérance de vie en bonne santé n’augmente pas. Pour les personnes qui exercent les métiers les plus difficiles, prolonger la durée du travail risquerait même de la faire baisser.
Enfin, les précédentes réformes des retraites ont déjà fait diminuer l’espérance de vie à la retraite. Avec le passage de la retraite à 62 ans, on a déjà fait augmenter la durée du travail obligatoire plus vite que l’espérance de vie.
Face à cette réforme, comment Oxfam se positionne ?
Oxfam défend un monde de solidarité en mettant en œuvre des mesures concrètes pour lutter contre les inégalités. Une chose est sûre, la réforme proposée par le gouvernement va dans le sens inverse de ce qu’il faudrait faire. Au lieu de réduire les inégalités, il les accroit. Au lieu de construire une société plus démocratique, il va contre l’opinion de la majorité des Français-es. Au lieu de construire une société écologique, il poursuit la surenchère de la production. Oxfam s’oppose fermement à cette réforme, et soutient le mouvement social qui veut la faire échouer.
Alors que notre dernier rapport sur les inégalités mondiales montre qu’en France, pendant les dix dernières années, les 10% les plus riches ont capté les deux tiers des richesses produites, et que seulement 2% de la richesse des milliardaires français·es permettrait de compenser le déficit du système de retraite, il est impératif d’agir par tous les leviers possibles pour réduire les inégalités et permettre à chacun·e de vivre vraiment, dignement et en bonne santé sa retraite.