Ursula Von der Leyen s’est exprimée lors du Forum de Davos

Le 17 janvier 2023 : Discours spécial de la Présidente von der Leyen au Forum économique mondial.

Discours spécial de la Présidente Von der Leyen

Mesdames et Messieurs,

Lieber Klaus,

Chère Olena,

Depuis presque un an maintenant, l’Ukraine impressionne le monde. Ce matin tragique de février, nombreux étaient ceux qui prédisaient que Kiev tomberait en quelques jours. Mais c’était compter sans le courage moral et physique du peuple ukrainien. Contre toute attente, vous avez résisté à l’invasion russe et repoussé l’agresseur. Et ni les attaques acharnées menées par la Russie contre les civils, ni le spectre d’un hiver impitoyable n’ont ébranlé votre détermination. Durant l’année qui vient de s’écouler, votre pays a ému le monde et a inspiré l’Europe tout entière. Et je peux vous assurer que l’Europe se tiendra toujours à vos côtés.

Nombreux étaient ceux qui mettaient en doute l’indéfectibilité de ce soutien. Mais, aujourd’hui, les pays européens fournissent un nombre croissant d’armes critiques à l’Ukraine. Nous accueillons environ quatre millions d’Ukrainiens dans nos villes, nos maisons et nos écoles. Et nous avons adopté les sanctions les plus sévères jamais prises jusqu’à présent, faisant régresser de dix ans l’économie de la Russie et privant son industrie de toute technologie moderne et essentielle. Il n’y aura aucune impunité pour les crimes commis. Et le soutien inébranlable que nous apportons à l’Ukraine ne connaîtra aucun relâchement. Que ce soit pour aider à rétablir l’alimentation en électricité, en chauffage et en eau, ou pour préparer les efforts de reconstruction à long terme. Et, pour réaffirmer ce soutien, nous avons annoncé hier que la Commission allait fournir une aide financière d’un montant de 3 milliards d’euros. Il s’agit là de la première tranche du train de mesures de soutien de 18 milliards d’euros pour 2023. Cette aide renforcera la stabilité financière de l’Ukraine, l’aidera à payer salaires et retraites, et à assurer le fonctionnement des hôpitaux, des écoles et des services d’hébergement. Nous sommes avec vous — aussi longtemps qu’il le faudra.

Et la réaction de l’Europe à la guerre est le dernier exemple en date de la capacité qu’a notre Union de se rassembler lorsqu’il le faut absolument. Prenons le cas de l’énergie. Il y a encore un an, l’Europe dépendait massivement des combustibles fossiles russes, une dépendance accumulée sur plusieurs décennies. Cela nous a rendus vulnérables aux compressions de l’offre, aux hausses brutales des prix et à la manipulation du marché par Poutine. En moins d’un an, l’Europe s’est affranchie de cette dépendance dangereuse. Nous avons remplacé près de 80 % du gaz russe acheminé par gazoduc. Nous avons rempli nos installations de stockage et réduit notre demande – de plus de 20 % sur la période allant d’août à novembre. Et grâce à nos efforts collectifs, nous avons fait baisser les prix du gaz plus vite que quiconque aurait pu le prévoir. Après avoir atteint un pic au mois d’août, les prix du gaz naturel européen ont désormais chuté de 80 %, pour tomber au-dessous de leurs niveaux d’avant la guerre en Ukraine. L’Europe a une fois de plus montré la puissance de sa volonté collective.

Toutefois, aucune illusion n’est permise: ces périodes de pandémie et de guerre sont particulièrement difficiles pour les familles et les entreprises. Et nous devrons faire preuve de la même détermination face à ces crises en cascade. Comme l’indique votre rapport sur les risques mondiaux. Nous assistons à une inflation galopante qui fait flamber le coût de la vie et des affaires. Nous assistons à l’utilisation de l’énergie comme d’une arme. Nous assistons à des menaces de guerres commerciales et au retour d’une géopolitique de la confrontation. À cela s’ajoute le changement climatique, dont le coût est déjà immense et qui ne nous laisse pas une minute à perdre pour réaliser la transition vers une économie propre.

La transition vers une industrie neutre en carbone entraîne déjà d’énormes transformations sur le plan industriel, économique et géopolitique – de loin les plus rapides et les plus marquées que nous ayons connues de notre vivant. Elle transforme la nature du travail et la configuration de notre industrie. Mais nous sommes à l’aube de quelque chose de bien plus grand. Pensez-y: en moins de trois décennies, nous voulons atteindre la neutralité carbone. Mais y parvenir implique que nous concevions et utilisions toute une série de nouvelles technologies propres dans tous les secteurs de notre économie: dans les transports, les bâtiments, l’industrie manufacturière, l’énergie. Les prochaines décennies verront la plus grande transformation industrielle de notre époque – peut-être même la plus grande qui ait jamais eu lieu. Et ceux qui conçoivent et mettent au point les technologies qui seront le fondement de l’économie de demain bénéficieront du plus grand avantage concurrentiel. L’ampleur de l’opportunité que cela représente est une évidence. L’Agence internationale de l’énergie estime que, d’ici à 2030, la valeur du marché des technologies d’énergie propre fabriquées à grande échelle avoisinera les 650 milliards de dollars par an – soit plus du triple d’aujourd’hui. Pour prendre de l’avance dans cette course à la concurrence, nous devons continuer d’investir dans le renforcement de notre base industrielle et rendre l’Europe plus propice aux investissements et à l’innovation. C’est ce qui intéresse les investisseurs dans les différents marchés des technologies propres dans le monde. Ici, en Europe, nous avons pris les devants, avec le pacte vert pour l’Europe, pour poser les jalons de la neutralité climatique d’ici à 2050. Nous avons inscrit en droit notre objectif de neutralité carbone afin de fournir aux entreprises la prévisibilité et la transparence dont elles ont besoin. Nous y avons ajouté la force de frappe en matière d’investissement que nous assurent NextGenerationEU, notre plan d’investissement de 800 milliards d’euros, le Fonds pour une transition juste et d’autres instruments économiques. Il s’agit là d’un investissement inégalé dans les technologies propres dans tous les secteurs de la transition verte. Les technologies propres sont aujourd’hui le secteur d’investissement qui connaît la croissance la plus rapide en Europe – sa valeur a doublé ne serait-ce qu’entre 2020 et 2021. Et la bonne nouvelle pour la planète, c’est que d’autres grandes économies intensifient aussi leurs efforts. Les plans de transformation verte du Japon visent à contribuer à mobiliser 20 000 milliards de yens, soit environ 140 milliards d’euros, moyennant des obligations de « transition verte ». L’Inde a présenté son régime d’incitations liées à la production afin de renforcer sa compétitivité dans des secteurs tels que le solaire photovoltaïque et les piles solaires. Le Royaume-Uni, le Canada et de nombreux autres pays ont également présenté leurs plans d’investissement dans les technologies propres. Et bien sûr, nous avons vu la loi sur la réduction de l’inflation adoptée aux États-Unis, leur plan d’investissement dans les technologies propres avec son enveloppe de 369 milliards de dollars US. Cela signifie qu’à eux seuls, l’Union européenne et les États-Unis mobilisent ensemble près de 1 000 milliards d’euros pour accélérer l’économie des énergies propres. Cela pourrait donner un énorme coup de fouet à la transition vers la neutralité climatique.

Mais ce n’est un secret pour personne que quelques-unes des mesures d’incitation destinées aux entreprises prévues par la loi sur la réduction de l’inflation suscitent un certain nombre de préoccupations. C’est pourquoi nous coopérons avec les États-Unis pour trouver des solutions, par exemple de façon à ce que des entreprises de l’Union et des voitures électriques fabriquées dans l’Union puissent aussi bénéficier de la loi sur la réduction de l’inflation. Notre objectif devrait être d’éviter toute perturbation dans les échanges et les investissements transatlantiques. Nous devrions œuvrer en vue de faire le nécessaire pour que nos programmes d’incitation respectifs soient équitables et se renforcent mutuellement. Et nous devrions également expliquer la manière dont nous pouvons profiter conjointement de ces investissements considérables, par exemple en réalisant des économies d’échelle de part et d’autre de l’Atlantique ou en fixant des normes communes. Au cœur de notre vision commune figure notre conviction selon laquelle la concurrence et le commerce sont les pierres angulaires d’une accélération des technologies propres et de la neutralité climatique. Et cela signifie que nous, Européens, devons aussi faire mieux pour encourager notre propre industrie des technologies propres. Nous avons une petite fenêtre d’opportunité pour investir dans les technologies propres et l’innovation afin de nous positionner en tête, avant que l’économie fondée sur les énergies fossiles ne devienne obsolète. Notre industrie a été confrontée à une pandémie, à des problèmes d’approvisionnement et à des tensions sur les prix. Nous sommes témoins de tentatives agressives pour attirer nos capacités industrielles vers la Chine ou ailleurs. Nous devons absolument réaliser cette transition vers la neutralité carbone sans créer de nouvelles dépendances. Et nous savons que les futures décisions en matière d’investissement seront prises en fonction de nos décisions d’aujourd’hui.

Nous avons un plan. Un plan industriel qui s’inscrit dans notre pacte vert. Notre plan pour faire de l’Europe le foyer des technologies propres et de l’innovation industrielle sur la voie de la neutralité carbone. Notre plan industriel du pacte vert comportera quatre piliers: l’environnement réglementaire, les financements, les compétences et le commerce.

Le premier pilier traitera de la vitesse et de l’accès. Nous devons créer un environnement réglementaire qui nous permette un déploiement rapide et la création de conditions favorables aux secteurs essentiels à la réalisation de l’objectif « zéro émission ». Il s’agit notamment des secteurs de l’énergie éolienne, des pompes à chaleur, de l’énergie solaire, de l’hydrogène propre, ou encore du stockage – dont la demande est stimulée par nos plans NextGenerationEU et REPowerEU. Pour contribuer à la réalisation de cet objectif, nous proposerons un nouveau règlement pour une industrie à zéro émission. Ce règlement suivra le même modèle que celui sur les semi-conducteurs. Le nouveau règlement pour une industrie à zéro émission fixera des objectifs clairs pour une technologie européenne propre d’ici à 2030. L’objectif consistera à concentrer les investissements sur des projets stratégiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Nous examinerons plus particulièrement les moyens de simplifier et d’accélérer les procédures d’autorisation des nouveaux sites de production de technologies propres. En parallèle à ce règlement pour une industrie à zéro émission, nous réfléchirons aux moyens de rendre les projets importants d’intérêt européen commun concernant les technologies propres plus rapides à traiter, plus faciles à financer et plus simples d’accès pour les petites entreprises et pour tous les États membres. Le règlement pour une industrie à zéro émission ira de pair avec le règlement sur les matières premières critiques. Pour les terres rares qui sont indispensables à la fabrication des technologies clés – telles que la production d’énergie éolienne, le stockage de l’hydrogène ou les batteries – l’Europe dépend aujourd’hui à 98 % d’un seul pays: la Chine. Prenez le lithium. Avec à peine trois pays représentant plus de 90 % de la production de lithium, toute la chaîne d’approvisionnement est devenue incroyablement tendue. Cela a entraîné une hausse des prix et menace notre compétitivité. Nous devons donc améliorer le raffinage, la transformation et le recyclage des matières premières ici en Europe. Et, en parallèle, nous travaillerons avec nos partenaires commerciaux pour coopérer au niveau de l’approvisionnement, de la production et de la transformation afin de mettre un terme au monopole existant. Pour ce faire, nous pouvons créer un club des matières premières critiques qui travaillerait avec des partenaires partageant les mêmes valeurs – des États-Unis jusqu’à l’Ukraine – pour collectivement renforcer les chaînes d’approvisionnement et les rendre plus diverses pour nous affranchir des fournisseurs uniques. Voilà donc le premier pilier – vitesse et accès au moyen du règlement pour une industrie à zéro émission.

Le deuxième pilier de notre plan industriel encouragera l’investissement dans les technologies propres et le financement de leur production. Pour maintenir l’attractivité de l’industrie européenne, nous devons être compétitifs par rapport aux offres et aux mesures incitatives actuellement disponibles en dehors de l’UE. C’est pourquoi nous proposerons d’adapter temporairement nos règles en matière d’aides d’État afin d’accélérer et de simplifier les choses. Les calculs seront plus faciles. Les procédures, plus simples. Les approbations, accélérées. Par exemple, nous proposerons des modèles simples d’allègement fiscal. Et une aide ciblée pour les installations de production au sein des chaînes de valeur des technologies propres, afin de contrer les risques de délocalisation liés aux subventions accordées en dehors de l’Union. Mais nous savons aussi que les aides d’État ne seront qu’une solution limitée, à laquelle seuls quelques États membres peuvent recourir. Si nous voulons éviter un effet de fragmentation du Marché unique et soutenir la transition vers des technologies propres dans l’ensemble de l’Union, nous devons également augmenter le financement de l’UE. À court terme, nous instituerons un fonds de souveraineté européen dans le cadre de l’examen à mi-parcours de notre budget qui aura lieu dans le courant de l’année. Il s’agit d’une solution structurelle qui permettra d’accroître les ressources disponibles pour la recherche en amont, l’innovation et les projets industriels stratégiques essentiels pour atteindre l’objectif de zéro émission nette. Mais parce que cela prendra du temps, nous chercherons une solution de transition pour fournir un soutien rapide et ciblé là où il est le plus nécessaire. À cette fin, nous travaillons actuellement d’arrache-pied à une évaluation des besoins.

Le troisième pilier du plan industriel du pacte vert consistera à développer les compétences nécessaires pour mener à bien la transition. La meilleure des technologies ne vaut que s’il existe des personnes qualifiées capables de la mettre en place et de la faire fonctionner. Alors que les nouvelles technologies connaissent une forte croissance, nous aurons également besoin d’une forte croissance des compétences et de la disponibilité de travailleurs qualifiés dans ce secteur. Cela vaudra dans tout ce que nous entreprenons, qu’il s’agisse de réglementation ou de finance, et sera une priorité pour notre Année européenne des compétences.

Le quatrième pilier sera destiné à faciliter un commerce équitable et ouvert qui profitera à tous. Pour atteindre la neutralité carbone à l’échelle mondiale grâce aux technologies propres, il nous faudra des chaînes d’approvisionnement solides et résilientes. Nos économies s’appuieront de plus en plus sur le commerce international alors que la transition s’accélère pour ouvrir davantage de marchés et accéder aux intrants dont l’industrie a besoin. Il nous faut un programme commercial ambitieux, qui tirera aussi le meilleur parti des accords commerciaux, par exemple avec le Canada ou avec le Royaume-Uni, avec lequel nous nous efforçons de régler nos différends. Nous travaillons à conclure des accords avec le Mexique, le Chili, la Nouvelle-Zélande et l’Australie – et à obtenir des avancées avec l’Inde et l’Indonésie. Il nous faut également relancer les débats en ce qui concerne l’accord du Mercosur. Parce que le commerce international est essentiel pour aider notre industrie à réduire les coûts, à créer des emplois et à développer de nouveaux produits.

De la même manière, lorsque le commerce n’est pas équitable, nos réactions doivent être plus vigoureuses. La Chine a fait de la promotion de la fabrication de technologies propres et de l’innovation en la matière une priorité clef dans son plan quinquennal. Elle domine la production mondiale dans des secteurs tels que les véhicules électriques ou les panneaux solaires, qui sont essentiels à la transition. Mais la course à la neutralité carbone doit reposer sur des conditions de concurrence équitables. La Chine encourage ouvertement les entreprises grandes consommatrices d’énergie situées en Europe et ailleurs à délocaliser tout ou partie de leur production sur son territoire, ce qu’elles font avec la promesse d’une énergie bon marché, de faibles coûts de main-d’œuvre et d’un environnement réglementaire plus accommodant. Dans le même temps, la Chine subventionne massivement son industrie et restreint l’accès à son marché pour les entreprises de l’UE. Nous aurons encore besoin de travailler et de commercer avec la Chine, notamment pour réaliser cette transition. Nous devons donc nous concentrer sur la réduction des risques plutôt que sur le découplage. Cela implique que nous utilisions tous nos outils pour faire face aux pratiques déloyales – y compris le nouveau règlement relatif aux subventions étrangères. Nous n’hésiterons pas à ouvrir des enquêtes si nous estimons que nos marchés publics ou d’autres marchés sont faussés par de telles subventions.

Mesdames et messieurs,

C’est maintenant que s’écrit l’histoire de l’économie des technologies propres. Durant toutes ces années où je suis venue à Davos, j’ai souvent entendu dire que nous sommes à l’aube d’une de ces périodes de destruction créatrice dont parlait l’économiste Joseph Schumpeter. Il pensait que l’innovation et la technologie remplacent l’ancien, entraînant l’abandon à la fois de l’industrie précédente et des emplois qui y étaient liés. Cette dynamique s’applique, de bien des manières, à la révolution des technologies propres de demain. Mais je pense que si l’Europe fait bien les choses, l’histoire de l’économie des technologies propres peut être celle d’une construction créatrice. En apportant le soutien et les incitations nécessaires pour que les entreprises innovent. En mettant l’accent qui convient sur les compétences et les personnes. En offrant l’environnement adéquat pour tirer au mieux parti de notre capacité d’innovation de premier plan au niveau mondial. L’Europe a déjà tout ce qu’il faut: des talents, des chercheurs, la capacité industrielle. Et l’Europe a un plan pour l’avenir. C’est pourquoi je pense que l’histoire de l’économie des technologies propres sera écrite en Europe.

Merci.