L’industrie de la mode a une très forte empreinte écologique. Tout d’abord, le gaspillage est considérable puisqu’il faut entre 10’000 et 20’000 litres d’eau pour produire 1 kg de coton (soit l’équivalent d’un jean et d’une chemise)[1], et la consommation de vêtements mondiale est en nette augmentation (la production a doublé entre 2000 et 2014) – ce qui est d’autant plus inquiétant que 75% des vêtements finissent à la déchetterie[2].
Autre impact majeur – la pollution. Selon les indicateurs utilisés pour le classement des industries les plus polluantes, la mode vient juste après l’énergie et l’alimentation. Ceci s’explique en partie par l’extrême complexité de sa chaîne logistique, qui implique plusieurs autres secteurs (agriculture, transport, énergie). Aujourd’hui, 20% de la pollution industrielle de l’eau est liée au secteur de la mode, et 0,5 milliard de tonnes de microplastique sortent de nos machines à laver chaque année.
La situation est certes alarmante mais, en réalité, les facteurs qui rendent cette industrie si polluante sont aussi ceux qui peuvent lui permettre de changer véritablement la donne. Une transparence accrue et un meilleur contrôle de la chaîne logistique seraient en effet extrêmement bénéfiques sur le plan environnemental, mais également sociétal.
Quel rôle le luxe peut-il ainsi jouer face à cette situation ? Si ce secteur ne représente qu’une faible part de l’industrie de la mode en volume (entre 5 et 10%), il a en revanche une forte capacité à faire évoluer les consciences et à favoriser le changement. Les grands noms du luxe ne sont pas seulement des créateurs de tendances en termes de mode, leur pouvoir va bien au-delà : ils fixent le cadre et définissent les normes acceptables pour l’ensemble du secteur. Cette responsabilité est certainement plus facile à endosser pour les sociétés du luxe qui affichent des marges supérieures et un bilan solide et qui, bien souvent, bénéficient du long-termisme lié à leur structure familiale.
Ces sociétés pourraient ainsi montrer la voie aux chaînes de magasins classiques et discount ; elles sont d’ailleurs nombreuses à l’avoir déjà fait. Le long-termisme qui tend à être associé aux sociétés familiales peut cependant avoir un prix. Le manque d’indépendance du Conseil d’administration signifie que les actionnaires institutionnels peuvent avoir du mal à prôner le changement s’ils estiment que les questions environnementales et sociales ne font pas l’objet d’une attention suffisante.
En ce qui concerne l’aspect social – le « S » d’ESG –, des changements positifs concrets ont été observés ces dernières années, la transparence et l’audit de la chaîne logistique ayant été au cœur des priorités. Les grandes marques ont fait de réels progrès dans leur approche au quotidien, qu’il s’agisse des standards en termes d’emploi (salaires, droits des employés et conditions de travail) ou de la sécurité de l’origine des produits (soutien des producteurs, internalisation, avec notamment l’objectif d’aider ces derniers à s’adapter à un contexte plus volatil, lié au changement climatique).
Les diverses initiatives des sociétés pour diminuer leur empreinte environnementale ont par contre été plus mitigées. En effet, cette démarche va, dans une certaine mesure, à l’encontre de la raison d’être de cette industrie, à savoir vendre des vêtements. Les marques du luxe prétendront que leurs collections sont destinées à durer – échappant à l’évolution rapide des tendances qui prévaut dans la mode –, même si la croissance du chiffre d’affaires de ces sociétés et la fréquence toujours plus grande des nouvelles collections en magasin semblent indiquer le contraire. Par ailleurs, certaines enseignes leaders sur le marché défraient trop souvent l’actualité avec leurs pratiques consistant à brûler les invendus, à hauteur de plusieurs millions de dollars, dans le but de préserver la valeur de la marque.
Le tableau n’est cependant pas totalement noir. Il existe en effet des innovations majeures qui contribuent à réduire la production de vêtements dérivés de combustibles fossiles. A souligner également l’initiative menée par la Global Fashion Association (et signée par plusieurs grands noms de l’industrie) visant à encourager la mode « circulaire ». Ce type d’actions devrait ainsi permettre d’accroître la proportion (encore trop faible) des articles produits à partir de vêtements recyclés.
Le changement pourrait finalement provenir des sociétés qui cherchent à répondre aux nouvelles attentes d’une clientèle avide de luxe et socialement responsable – les Millennials. Ces clients devront alors clamer haut et fort leurs revendications, et mettre leurs principes en pratique pour que les profondes transformations attendues puissent réellement se concrétiser. D’ici là, les fabricants s’emploieront encore à satisfaire notre boulimie d’achat, à l’heure où la durée de vie moyenne d’un vêtement ne cesse de baisser. Pour remédier à cette tendance, et plus globalement relever les grands enjeux environnementaux, il est donc primordial d’endiguer l’uberisation du monde. Quel que soit le niveau d’engagement des marques, le changement repose avant tout sur le consommateur – c’est à cette condition que l’industrie de la mode pourra réussir le pari de révolutionner les habitudes d’achat. Au final, seul un véritable partenariat entre le consommateur, la marque et l’actionnaire permettra de réduire l’empreinte écologique.
UBP- Victoria LEGGETT, Directrice de l’Investissement Responsable à l’Union Bancaire Privée