Une soixantaine de personnalités engagées dans la lutte contre le changement climatique ont adressé une lettre à la Première Ministre pour lui demander de garder au label public français une politique d’exclusion des énergies fossiles “ambitieuse”. On attend depuis plusieurs mois l’arbitrage du Ministère des finances sur la critériologie du label ISR, objet d’un intense lobbying de ceux qui veulent conserver l’exception française “best in class” contre ceux qui veulent l’aligner sur les engagements climatiques français.
Certaines décisions d’apparence technique peuvent avoir des impacts politiques majeurs en particulier dans le domaine de la lutte contre le changement climatique. C’est ce que veulent montrer les signataires de la lettre à Élisabeth Borne qui lui demande de mettre en œuvre des critères d’exclusion du label ISR “ambitieux et crédibles” dans le cadre de son projet de refonte. Lancé depuis plus de deux ans à la suite d’un rapport de l’Inspection Générale des Finances qui soulignait les risques de réputation auprès des épargnants d’un label ISR incapable de leur garantir un investissement clair et lisible dans une économie bas carbone et durable, le projet est toujours en cours. Il est suspendu aux arbitrages du Ministère des finances qui tardent à venir. Depuis juillet il doit suivre, ou pas, les recommandations du comité du label ISR qui préconise une méthodologie permettant de ne pas inclure dans les fonds labellisés ISR les entreprises pétrolières qui préparent de nouveaux projets contribuant à aggraver le changement climatique.
TotalEnergies au cœur du sujet
Derrière ce “paramétrage technique” se cache la sempiternelle question de l’éligibilité ou non de TotalEnergies à figurer dans des fonds qui ont le label ISR ? La question récurrente depuis une vingtaine d’années est d’autant plus d’actualité que la major pétrolière française fait partie de la cartographie des bombes climatiques qui vient d’être publiée. Elle comptabilise 33 nouveaux projets d’exploration des énergies fossiles pétrolières et gazières mais figure dans une partie des fonds labellisés ISR au nom de la stratégie de diversification de son mix énergétique et de sa part d’investissement dans les énergies renouvelables.
Même si les fonds durables sont globalement moins exposés aux énergies fossiles que des fonds qui n’ont pas de caractéristiques ESG ce qui explique en grande partie leurs contre-performance de 2022, les gérants d’actifs français sont plus que réticents à les exclure clairement et formellement. Si cela relève de leurs choix de gestion, il est paradoxal de vouloir étendre ce raisonnement au label ISR supposé garantir aux épargnants des caractéristiques durables crédibles. L’ONG Reclaim Finance à l’origine de la lettre ouverte, a réalisé un sondage il y a quelques semaines montrant que 60 % des personnes interrogées estiment cette exclusion indispensable.
Qu’est ce qui bloque ? Encore et toujours la même question. L’investissement responsable doit-il permettre d’investir dans l’économie telle qu’elle est en choisissant les entreprises qui prennent le mieux en compte les dimensions ESG de leurs activités ou doit-il conduire à investir dans ce qui reste une niche, des entreprises vertes ou en train de verdir leurs modèles économiques en l’alignant sur la taxonomie et donc le Green Deal ? Le label ISR d’aujourd’hui appartient au premier camp mais il a été lancé en 2015. Depuis l’urgence climatique n’a cessé de grandir, la Commission Européenne a lancé sa stratégie de finance durable et avait, en 2018, un projet d’éco label pour les produits financiers supposé inciter à l’accélération de ce verdissement encore balbutiant.
Décalage avec les attentes des épargnants
Étude après étude, Novethic montre le décalage entre les attentes des épargnants de plus en plus clairement en quête de placements qui misent sur la partie la plus résiliente de l’économie et l’offre de fonds durables très proche des grands indices de référence. La dernière en date sur les chiffres de marché des labels de finance durable européens n’y fait pas exception.
Vous pouvez revoir sa présentation sur YouTube. Comme le dit à cette occasion, la présidente du Forum pour l’Investissement Responsable Nathalie Lhayani : “Les allégations de greenwashing sur les produits de finance responsable labellisés, qui ont émergé dans les médias grand public, témoignent de l’urgence d’apporter un label adressant des signaux à la fois plus clairs, plus exigeants en termes de durabilité et plus révélateurs de la diversité des stratégies adoptées par les fonds ISR”.
Élisabeth Borne partagera-t-elle son avis et entrainera-t-elle Bruno Lemaire ? Réponse possible le 5 décembre prochain pour les rendez-vous de Bercy dédié au thème “Croissance et climat”.