Des moteurs, des emplois et des tomates

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Des moteurs, des emplois… et des tomates : quand l’écologie punitive bloque la réindustrialisation française 

Pendant que la France rêve de réindustrialisation verte et souveraine, Safran, fleuron technologique de l’aéronautique, se fait littéralement accueillir à coups de tomates à Rennes. En cause ? La création d’une fonderie qui générerait pourtant 500 emplois. Retour sur une audition parlementaire édifiante où industrie, écologie, souveraineté, compétitivité, formation, énergie et absurdités politiques ont été mis sur la table – et où, pour une fois, ce ne sont pas les extrêmes qui sont visés, mais… les écologistes.

Une success story industrielle française, méconnue et critiquée

Safran, c’est 100 000 salariés dans le monde, dont 50 000 en France. Leader mondial des moteurs d’avion, avec 80 sites sur le territoire et un chiffre d’affaires dont 90 % provient de l’export. Une machine industrielle qui crée de la valeur, de l’emploi, de la souveraineté technologique… et qui s’est engagée, dès maintenant, à décarboner le secteur aérien.

Le PDG Olivier Andriès l’a rappelé : « L’aéronautique est peut-être le seul secteur industriel où la France peut jouer un rôle mondial dans la décarbonation. » Grâce à Airbus et Safran, le pays dispose d’une filière complète capable de produire des avions plus propres. Mieux : le futur moteur développé par Safran promet 20 % d’économie de carburant, rien que par le progrès technologique. Un moteur qui pourrait équiper les prochains Airbus et Boeing autour de 2035.

Le paradoxe de la réindustrialisation verte

Mais voilà : vouloir produire proprement en France se heurte à… la France elle-même. À Rennes, un projet de fonderie de pièces critiques pour moteur d’avion, dans une zone déjà artificialisée (ex-Stellantis), avec 500 emplois à la clé, a suscité l’hostilité immédiate d’élus et de militants écologistes. Tomates jetées, accusation de pollution à venir, hostilité frontale.

La réaction d’Andriès ? Glaciale et logique :

« Il n’est plus question pour nous d’investir dans une ville à majorité écologiste. Ce n’est pas politique, c’est pragmatique. »

Conclusion brutale : en France, on peut porter l’excellence technologique, la création d’emplois industriels, la réindustrialisation régionale… mais se faire traiter en criminel si cela ne colle pas au dogme vert local.

 Un message fort sur les freins à l’industrie en France

Au-delà de cet épisode, Safran a pointé de manière très structurée les obstacles à l’investissement industriel dans l’Hexagone :

  • Le coût du travail : en France, les charges patronales représentent 50 % du salaire brut, contre 30 % en Allemagne.
  • Les impôts de production : encore trop lourds, malgré les réformes.
  • La volatilité des prix de l’énergie, accentuée par le marché européen, rend l’installation de sites industriels électro-intensifs beaucoup plus attractive aux États-Unis (50 $/MWh au Québec, contre des pics à 250 en France).
  • La complexité administrative ralentit les projets : raccordements, autorisations, lenteurs bureaucratiques.
  • Le manque de stabilité fiscale et politique, décourageant les projets à long terme.
  • L’instabilité dans l’enseignement des sciences, notamment la baisse du niveau en mathématiques, considérée comme une “bombe à retardement” pour l’industrie.

Souveraineté, export, défense : une vision stratégique claire

Andriès a aussi insisté sur un point trop souvent oublié : le lien entre industrie, souveraineté et résilience.

  • Safran développe des moteurs pour l’aviation civile et militaire, équipe le Rafale, et fournit des composants critiques à l’armée française.
  • Le groupe a racheté Aubert & Duval, seul producteur français d’alliages critiques, pour garantir l’indépendance stratégique de la France.
  • Le moteur du futur programme SCAF (aviation de combat européenne) sera conçu en France – si l’Europe ne continue pas à préférer les équipements américains.

Car oui, l’Europe achète encore 75 % de ses équipements militaires aux États-Unis, sans exiger de contreparties ou de réciprocité.

Innovation et formation au cœur du modèle Safran

Safran investit plus d’1 milliard d’euros par an en R&D, dont 90 % en France. Le groupe est régulièrement n°1 des dépôts de brevets.

Mais ce modèle repose sur deux piliers aujourd’hui fragiles :

  1. Le crédit d’impôt recherche (CIR) : remis en question à chaque alternance politique, alors qu’il compense le coût très élevé des ingénieurs français.
  2. La formation technique : Safran appelle à valoriser les filières industrielles et l’apprentissage, plutôt que de poursuivre des objectifs absurdes comme “80 % de bacheliers”, synonymes de baisse du niveau.

Un plaidoyer assumé pour le financement de la défense

Face aux défis géopolitiques, Safran assume : la défense, ce n’est pas honteux, c’est nécessaire. Le PDG a salué les récentes initiatives du gouvernement pour mobiliser les investisseurs privés et lever les blocages ESG qui empêchaient les banques ou les fonds de financer les industriels de la défense.

Andriès parle même de “servir les valeurs de la démocratie”. On est loin de l’image du marchand d’armes opaque.

Écologie dogmatique : quand la bonne cause devient son propre saboteur

Et pourtant, malgré cet engagement pour un mix énergie/emplois/souveraineté/décarbonation, Safran s’est retrouvé ciblé non pas par l’extrême droite, ni par les altermondialistes, mais par une frange radicale du camp écologiste. Celle qui ne veut ni avions, ni moteurs, ni militaires, ni usines… mais exige des emplois, de la sécurité, et des solutions pour le climat.

Le paradoxe est évident, presque comique s’il n’était pas tragique. Un industriel français vient créer 500 emplois verts dans une région frappée par la désindustrialisation, et on lui répond par… des tomates.

La France doit choisir entre discours et décisions

L’audition d’Andriès n’a pas seulement révélé la complexité des défis industriels français. Elle a mis au jour une forme d’incohérence nationale : celle de vouloir tout sans rien céder.

On veut la souveraineté mais pas l’effort.
L’écologie mais pas les usines.
L’innovation mais sans ingénieurs.
Des emplois mais pas dans “ces secteurs-là”.
Et des tomates, si possible, pour ponctuer le tout.

La France doit décider : veut-elle être un musée écologique aux principes figés, ou un pays productif capable d’inventer l’industrie propre de demain ?

Dans cette audition, ce n’est ni la droite, ni la gauche, ni les libéraux qui en ont pris pour leur grade. Ce sont les contradictions d’une écologie militante devenue contre-productive. Et ça, c’est peut-être le signal le plus fort du moment.

Et Bernard Arnault, DG de LVMH disait lors du gouvernement Philippe :
“…En France, et qu’on voit qu’on s’apprête à remonter les impôts de 40% sur les entreprises qui fabriquent en France, quand même, a peine croyable.
Donc on va taxer le Made in France, pour refroidir les énergies, on fait difficilement mieux. Pour pousser à la délocalisations, c’est l’idéal.
Alors je ne sais pas si c’est vraiment l’objectif du gouvernement, mais en tout cas il ne va pas. Si il arrive au bout de ses plans, ça c’est inévitable. Alors qu’il y a d’autres solutions.
On leur a proposé d’autres solutions, mais évidemment la bureaucratie. Pour ça on devrait faire comme aux États-Unis, nommer quelqu’un pour se lâcher un peu sur la bureaucratie, mais dès qu’on essaye de faire ça, on est poursuivi, c’est impossible.
Voilà ce que je peux dire.
Alors les taxes, ça je préfère ne pas m’exprimer. On préfère agir tranquillement, essayer…”

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