La bataille de chiffres pour discréditer le rapport sur les pesticides

Ce mardi 9 février, le Basic (Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne) a mis en lumière un chiffre alarmant sur l’utilisation des pesticides dans l’agriculture française dans son rapport pour la Fondation Nicolas Hulot liée à la nature et l’Homme (FNH). chiffres

Une augmentation de l’utilisation des pesticides

Jusqu’en 2018, il à été remarqué que le recours à ses produits aurait augmenté de 25% en dix ans. Peu de temps après la publication du rapport, deux journalistes ont clamé sur Twitter la «malhonnêteté» des calculs et du bilan qui en est fait par la fondation.

Le graphique qu’utilise la journaliste de l’Opinion Emmanuelle Ducros sur son compte Twitter, suivi par 56.000 comptes, utilise un autre indicateur que celui utilisé par la FNH. Pour ces calculs, le Basic s’est appuyé sur le Nodu, alors qu’Emmanuelle Ducros utilise le QSA. Ces acronymes peuvent paraître abscons mais le QSA représente «la quantité de substances actives vendues» alors que le Nodu («nombre de doses unités») prend en compte la toxicité et l’efficacité des produits.

Par exemple, si les ventes d’un produit phytosanitaire peu concentré diminuent fortement alors que les ventes d’un autre produit hautement concentré augmentent légèrement, le QSA va avoir tendance à diminuer puisque l’ensemble des quantités vendues vont baisser. Le Nodu, quant à lui, risque d’augmenter puisque ces produits sont peut-être moins nombreux, mais plus concentrés et font peser une pression plus forte sur l’écosystème.

De faux chiffres dévoilés par la FNH?

Selon le ministère de l’Agriculture lui-même, le Nodu est l’indicateur le plus pertinent pour évaluer ses propres politiques en matière de réduction des produits phytosanitaires.

Une autre journaliste, Géraldine Woessner a également réfuté en bloc les chiffres de la fondation sur son compte Twitter, suivi par plus de 75.000 internautes.

La journaliste du Point lance d’autres chiffres sur le réseau social, pour discréditer cette étude. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a réagi dans la journée pour avancer de nouveaux chiffres : la vente de produits phytosanitaires a diminué de 36% en 2019. Ces déclarations ont été relayées sur le compte des deux journalistes.

Cependant, comme illustré plus haut, malgré la diminution des ventes, le Nodu (indicateur utilisé par la FNH et le Basic) peut augmenter. Et la temporalité n’est pas la même non plus : le ministre de l’Agriculture s’est fondé sur la seule année 2018-2019.

Les chiffres dévoilés par la FNH ne sont pas nouveaux. Ils proviennent même d’un rapport d’évaluation gouvernemental du plan EcoPhyto. De plus, les chiffres 2017-2018 sur l’évolution de la consommation des pesticides de l’agriculture française rendus publics le 7 janvier et faisaient déjà état d’une hausse de la consommation de 21% de ces produits en 2018 par rapport à 2017.

Emmanuelle Ducros a été rémunérée par des groupes agroalimentaires pour des conférences

Emmanuelle Ducros et Géraldine Woessner, elles sont régulièrement présentes dans les débats qui agitent le monde agricole, notamment pour des prises de position qui remettent en cause des données ou des études scientifiques, ou qui tentent d’en faire une interprétation différente. Ce fut par exemple le cas pour la réintroduction des néonicotinoïdes mais également pour le débat autour du glyphosate.

Ces prises de position leur ont valu une enquête de Libération et de son service CheckNews. Il y a été prouvé qu’Emmanuelle Ducros a été rémunérée par des groupes agroalimentaires pour des conférences et des «ménages», ou encore une tribune du quotidien suisse Le Courrier, qualifiant les deux journalistes de «marchands de doute».

Cette bataille des chiffres et ce «doute» qui s’est installé dans le débat public masquent malheureusement les conclusions et les enseignements principaux du rapport de la FNH.

La Cour des comptes, début 2020, tirait déjà le même bilan : «Ainsi, l’objectif initial de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques de 50% en dix ans, reporté en 2016 à l’échéance 2025 et confirmé en avril 2019, assorti d’un objectif intermédiaire de – 25% en 2020, est loin d’être atteint.» Les propres chiffres du gouvernement décrédibilisé