Dossier : La justice climatique au cœur de la reprise post COVID-19

Malgré une baisse importante des émissions de CO2 en 2020 en lien avec la pandémie de COVID-19, la crise climatique résultant de l’accumulation des émissions dans l’atmosphère a continué de s’aggraver. Un nouveau travail de recherche démontre comment les inégalités extrêmes en matière d’émissions de CO2, à l’œuvre depuis plusieurs décennies, précipitent le monde vers une catastrophe climatique. Il souligne pourquoi et comment les gouvernements doivent saisir ce moment historique afin de construire des économies plus justes et dans des limites soutenables pour notre planète.

L’ère des inégalités extrêmes en matière d’émissions de CO2

En pleine crise économique et sanitaire mondiale, la crise climatique continue sa progression. Les catastrophes climatiques extrêmes n’ont pas marqué d’arrêt pendant la pandémie de coronavirus, avec le cyclone Amphan qui a frappé l’Inde et le Bangladesh ou les incendies qui dévastent actuellement les États-Unis, nous rappelant à quel point le monde est proche de dépasser l’objectif de 1,5 °C défini dans le cadre de l’Accord de Paris.


Une nouvelle recherche menée par Oxfam et le Stockholm Environment Institute (SEI) révèle que les inégalités extrêmes en matière d’émissions de CO2, à l’œuvre depuis plusieurs décennies, précipitent le monde vers une catastrophe climatique. Entre 1990 et 2015, une période critique pendant laquelle les émissions annuelles ont augmenté de 60 % et les émissions cumulées ont doublé, nous estimons que :
• les 10 % les plus riches de la population mondiale (env. 630 millions de personnes) étaient responsables de 52 % des émissions de CO2 cumulées, soit près d’un tiers (31 %) du budget carbone mondial au cours de ces seules 25 années (voir Figure 1) ;
• les 50 % les plus pauvres (env. 3,1 milliards de personnes) étaient responsables de seulement 7 % des émissions cumulées soit 4 % dans le budget carbone disponible (voir Figure 1) ;
• les 1 % les plus riches de la population (env. 63 millions de personnes) étaient responsables à eux seuls de 15 % des émissions cumulées et de 9 % du budget carbone, soit deux fois plus que la moitié la plus pauvre de la population mondiale
• les 5 % les plus riches (env. 315 millions de personnes) étaient responsables de plus d’un tiers (37 %) de la croissance totale des émissions, tandis que la croissance totale des émissions des 1 % les plus riches était trois fois plus élevée que celle des 50 % les plus pauvres.

Cette année, les restrictions liées à la pandémie ont entraîné une baisse des émissions dans le monde. Mais à moins que les émissions ne continuent de chuter considérablement, le budget carbone mondial visant à limiter le réchauffement à 1,5 °C sera complètement épuisé à l’horizon 2030. Les inégalités sont telles que les 10 % les plus riches épuiseraient à eux seuls ce budget quelques années plus tard, et ce même si les émissions du reste de la
population mondiale devenaient nulles dès demain.

“Les deux groupes qui souffrent le plus de cette injustice sont les moins responsables de la crise climatique”

Au cours des 20-30 dernières années, la crise climatique s’est amplifiée et le budget carbone mondial limité a été dilapidé au service d’une intensification de la consommation d’une population nantie, et non pour sortir des personnes de la pauvreté. Les deux groupes qui souffrent le plus de cette injustice sont les moins responsables de la crise climatique : les personnes pauvres et marginalisées déjà confrontées aux impacts du changement climatique et les générations futures qui héritent d’un budget carbone épuisé et d’un monde frappé de plein fouet par le dérèglement climatique. Les gouvernements qui se relèvent de la pandémie de COVID-19
doivent également s’attaquer à la double crise climatique et des inégalités. Ne pas s’attaquer aux inégalités extrêmes en termes d’émissions de CO2 à un tournant historique (en privilégiant une croissance économique encore plus inégale et fortement émettrice de carbone au profit d’une minorité aisée) nous fera tomber de Charybde en Scylla, basculant de la pandémie actuelle vers une crise climatique irréversible et non contrôlée. Pourtant, si la pandémie a provoqué une contraction chaotique et souvent inéquitable de la consommation à travers le monde, elle a également permis de démontrer que des changements autrefois inimaginables dans les modes de vie des plus riches pouvaient être adoptés pour le bien de toutes et tous. Les politiques publiques, de l’application d’une taxe carbone sur les produits de luxe (SUV, vols fréquents en classe Affaires, jets privés) au développement d’infrastructures numériques et de transport public, peuvent réduire les émissions et les inégalités et améliorer la santé publique. Mais pour y parvenir avant que le budget carbone visant à limiter le réchauffement à 1,5 °C ne soit totalement épuisé, elles doivent être mises en application dès maintenant.